De nombreux pays ont continué lundi à évacuer leurs ressortissants du Soudan, au bord du « précipice » selon le secrétaire général de l’ONU, après dix jours de combats meurtriers entre l’armée et les paramilitaires.
Explosions, raids aériens et tirs n’ont pas cessé depuis le 15 avril à Khartoum, poussant à l’exode des milliers d’habitants de la capitale plongée dans le chaos. Ceux qui ne peuvent s’enfuir tentent de survivre, privés d’eau et d’électricité, soumis aux pénuries de nourriture et aux coupures d’internet et de téléphone.
Lundi, le syndicat des médecins a lancé un appel urgent: « Plusieurs quartiers de Khartoum sont bombardés, il y a des morts civils et une cinquantaine de blessés graves, tous les médecins proches doivent s’y rendre au plus vite ».
Les combats ont déjà fait plus de 420 morts et 3.700 blessés, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Les violences dans ce pays de l’est de l’Afrique risquent d' »envahir toute la région et au-delà », a mis en garde lundi le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres. Il a réclamé une nouvelle fois un cessez-le-feu pour « éloigner le Soudan du précipice ».
Malgré le départ de nombreux ambassadeurs, diplomates et ressortissants étrangers, Volker Perthes, le chef de la mission de l’ONU qui tente depuis quatre ans d’obtenir des militaires au pouvoir une transition vers la démocratie, a annoncé qu’il resterait au Soudan.
Les capitales étrangères sont parvenues à négocier des passages avec les deux belligérants: l’armée du général Abdel Fattah al-Burhane , dirigeant de facto du Soudan, et son adjoint devenu son rival, le général Mohamed Hamdane Daglo , qui commande les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR).
Il a fallu « profiter d’une petite fenêtre d’opportunité », explique un porte-parole du gouvernement britannique. « Avec des combats intenses à Khartoum et la fermeture du principal aéroport », « une évacuation temporaire plus large était impossible ».
Plus de 1.000 ressortissants de l’UE ont malgré tout été évacués. « Un premier groupe » de Chinois, plusieurs dizaines de Sud-Africains et des centaines de ressortissants de pays arabes sont aussi partis, par la route, la mer ou les airs.
– « Comme dans un thriller » –
Un ressortissant libanais, prêt à embarquer pour l’Arabie saoudite à Port-Soudan, une ville côtière de l’est du pays épargnée par les violences, raconte à l’AFP être parti avec « un tee-shirt et un pyjama », tout ce lui reste « après 17 ans » au Soudan.
A Khartoum, « on était en état de siège, comme dans un thriller », confie-t-il. « La guerre nous est tombée dessus sans avertissement », et maintenant, « tout est détruit ».
Environ 700 employés internationaux de l’ONU, d’ONG internationales et d’ambassades « ont été évacués vers Port-Soudan », a indiqué l’ONU. Des dizaines d’autres employés humanitaires ont été évacués vers le Tchad depuis le Darfour, dans l’ouest, la région la plus touchée par les combats avec Khartoum, selon l’ONU.
La plupart des étrangers évacués sont des membres du personnel diplomatique, comme ceux des Etats-Unis et du Royaume-Uni. De nombreux ressortissants attendent toujours une place dans les longs convois de voitures blanches ou les bus qui partent en continu de Khartoum.
A l’arrivée à Djibouti, où sont stationnées de nombreuses troupes étrangères, des familles hagardes débarquent au milieu de militaires qui organisent l’incessant ballet des évacuations.
– « Peur pour l’avenir » –
Experts et humanitaires s’inquiètent maintenant du sort des Soudanais.
« J’ai peur pour leur avenir », a admis l’ambassadeur norvégien Endre Stiansen.
Les deux camps s’accusent d’avoir attaqué des prisons pour faire sortir des centaines de prisonniers et de piller maisons et usines. Des affrontements ont éclaté aux abords de plusieurs banques.
Dans un pays où l’inflation est déjà à trois chiffres en temps normal, le kilo de riz ou le litre d’essence s’échangent désormais à prix d’or.
Or, le carburant est la clé pour s’échapper vers l’Egypte, à 1.000 kilomètres au nord, ou pour rallier Port-Soudan et espérer monter dans un bateau.
« Alors que les étrangers qui le peuvent s’enfuient, l’impact des violences sur une situation humanitaire déjà critique s’aggrave », prévient l’ONU, dont les agences, comme de nombreuses organisations humanitaires, ont suspendu leurs activités.
Cinq humanitaires ont été tués et, selon le syndicat des médecins, près des trois quarts des hôpitaux sont hors service.
Des Soudanais ont déjà fui en Egypte et au Soudan du Sud, qui compte 800.000 réfugiés au Soudan. Parmi eux, des femmes et des enfants traversent désormais dans l’autre sens, selon l’ONU. Au moins 20.000 Soudanais se sont réfugiés au Tchad, frontalier du Darfour.
Cette région, la plus pauvre du pays, a été ravagée dans les années 2000 par une guerre ordonnée par le dictateur Omar el-Béchir, déchu en 2019, et menée notamment par les miliciens Janjawids, le gros des troupes du général Daglo.
La guerre couvait depuis des semaines entre les deux généraux rivaux, alliés pour évincer les civils du pouvoir lors du putsch de 2021 mais qui ne sont pas parvenus à s’entendre sur l’intégration des FSR aux troupes régulières.
Le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken a exprimé lundi de « très sérieuses préoccupations » sur la présence du groupe russe de mercenaires Wagner au Soudan.