Dans son article intitulé « Le Sénégal dans l’œil du cyclone », publié en page 17 du Parisien dimanche le 22 septembre 2024, Jean-Christophe Rufin, médecin, écrivain lauréat du prix Goncourt et membre de l’Académie française, brosse un portrait alarmiste de la situation politique actuelle au Sénégal. Il déplore notamment la dissolution de l’Assemblée nationale par le nouveau président sénégalais Bassirou Diomaye Faye et dépeint son Premier ministre Ousmane Sonko, comme un « populiste… maniant une violente rhétorique antifrançaise » dangereux, suscitant des inquiétudes à Paris. Monsieur Rufin établit un parallèle avec les récentes crises politiques au Sahel, suggérant que le Sénégal, autrefois stable, pourrait suivre le même chemin que le Burkina Faso, le Niger ou le Mali. Au centre de ses préoccupations, il y a la montée du sentiment anti-français et la volonté de Monsieur Sonko de redéfinir les relations entre le Sénégal et la France.
Dissolution de l’Assemblée : une décision démocratique incomprise
Cependant, il est étonnant qu’une simple mesure démocratique telle que la dissolution de l’Assemblée nationale, visant à aligner les institutions sur une nouvelle donne politique après l’élection de Bassirou Diomaye Faye à la présidence, soit perçue comme un geste déstabilisant. Cette décision, loin de mettre en danger la démocratie sénégalaise, s’inscrit dans un processus classique de restructuration institutionnelle après un changement de président. Il s’agit d’une mesure destinée à réorganiser la représentation parlementaire pour mieux refléter la volonté populaire exprimée lors de la dernière élection présidentielle. Plutôt que de voir dans cette action une menace, il serait plus judicieux d’y percevoir une manifestation de la vitalité démocratique du Sénégal.
Le terme « populisme », utilisé par Jean-Christophe Rufin pour décrire Ousmane Sonko, est un cliché qui sert souvent à discréditer les figures politiques progressistes ou radicales, particulièrement lorsqu’elles remettent en cause l’ordre établi. Qu’est-ce que le populisme, si ce n’est répondre aux aspirations du peuple, lutter pour la souveraineté nationale et proposer une alternative aux élites traditionnelles ? Si le Premier ministre Ousmane Sonko est qualifié de populiste, c’est sans doute parce qu’il incarne un projet politique profondément ancré dans la volonté populaire. Cette tentative de disqualification reflète une peur profonde des changements profonds que prône le nouveau pouvoir, notamment la fin des liens néocoloniaux avec la France.
Monsieur Rufin semble également oublier que ce que le peuple sénégalais a exprimé dans les urnes est une volonté claire de rupture avec l’ordre ancien. L’élection du Président Bassirou Diomaye Faye et la nomination d’Ousmane Sonko comme Premier ministre ne sont pas des accidents de parcours, mais le résultat d’une révolution démocratique et citoyenne. Ce projet souverainiste, largement soutenu par la jeunesse et les classes populaires, vise à libérer le Sénégal des influences étrangères, notamment celles de la France, et à affirmer une autonomie politique, économique et monétaire. Le souverainisme prôné au Sénégal n’est ni un repli sur soi ni une soumission à une autre puissance, comme le laissent entendre certains critiques, mais une volonté de réappropriation des moyens de développement du pays.
Le projet souverainiste : un choix populaire, pas du populisme
Dans une intervention publique en mai 2024, Ousmane Sonko, lors d’une conférence avec Jean-Luc Mélenchon à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, a précisé les contours de son projet souverainiste. Il s’agit d’un projet économique, civique, panafricaniste et anti-impérialiste, visant à transformer les structures étatiques pour répondre aux aspirations populaires. La dissolution de l’Assemblée nationale s’inscrit dans cette dynamique de refonte institutionnelle. Elle permet d’aligner le cadre législatif sur la nouvelle donne politique, et d’offrir aux Sénégalais l’opportunité d’élire des représentants en phase avec ce projet de rupture. Il n’y a rien d’extraordinaire dans ce processus ; il est au contraire le signe d’une démocratie en mouvement, capable de se réformer pour mieux servir les intérêts de la majorité.
Il est également important de souligner que ce que nous appelons ici au Sénégal « le Projet » est profondément panafricaniste. Contrairement à une vision étroite du nationalisme, le souverainisme porté par PASTEF et Ousmane Sonko est inclusif, mettant en avant une coopération avec d’autres nations africaines, tout en rejetant le modèle néolibéral qui privilégie les intérêts des multinationales au détriment des pays en développement. C’est pour cela qu’est dénoncé l’utilisation du franc CFA, un outil de domination néocoloniale. Cette critique n’est pas nouvelle, et elle résonne avec les aspirations de nombreux pays africains qui cherchent à se libérer du joug économique imposé par leur ancienne puissance coloniale.
Ce qu’il y a d’inquiétant dans l’analyse de M. Rufin, c’est cette incapacité à reconnaître que les aspirations souverainistes du Sénégal ne sont pas une menace pour la stabilité régionale ou pour les relations avec la France, mais bien l’expression d’un désir légitime de contrôle sur ses propres affaires. Les craintes exprimées à Paris révèlent une vision anachronique des relations internationales, où les anciennes puissances coloniales se considèrent encore comme les gardiennes de la stabilité politique de leurs anciennes colonies. Cette mentalité, qui sous-tend l’argumentaire de Rufin, est non seulement déplacée, mais elle fait fi des réalités actuelles. Le Sénégal, en votant massivement pour Bassirou Diomaye Faye et en soutenant Ousmane Sonko, a exprimé une volonté de rupture claire avec un passé marqué par la dépendance vis-à-vis de la France.
Une vision dépassée des relations franco-sénégalaises
L’article de Jean-Christophe Rufin s’apparente à une tentative de disqualification d’un projet politique qui, à l’inverse, vise à redonner dignité et autonomie au Sénégal. S’il est compréhensible que des changements aussi radicaux puissent provoquer des inquiétudes dans certains cercles, il est inacceptable de les interpréter à travers le prisme d’une supériorité morale ou politique supposée de la France sur le Sénégal. Les Sénégalais ont fait un choix souverainiste et panafricaniste, et ce choix doit être respecté. Les propos de M. Rufin, bien qu’enrobés dans une rhétorique alarmiste, reflètent en réalité une incompréhension totale du projet porté par Sonko et le peuple sénégalais.
En définitive, ce que cet article révèle, c’est cette persistance d’une mentalité coloniale dans certains esprits, qui voient dans l’émancipation politique des pays africains une menace pour l’ordre établi. Monsieur Rufin, pourtant ancien ambassadeur de France à Dakar, semble ne pas avoir compris que les temps ont changé. Le Sénégal, comme tant d’autres nations africaines, ne veut plus être guidé par une autre puissance. Il veut tracer sa propre voie, en toute autonomie. Ignorer cette réalité, c’est non seulement méconnaître le projet politique en cours au Sénégal, mais aussi se placer du mauvais côté de l’Histoire.
Félix Atchadé