Le ministre des Transports a posé un acte à la fois fort, audacieux et risqué. Les bus de la société publique de transport, Dakar dem dikk, affrétés pour faire face à l’augmentation injustifiée des tarifs, a été un acte largement salué par les populations. El Malick Ndiaye a même réussi à faire oublier le fiasco du départ des pèlerins à la Mecque en se rachetant de fort belle manière.
Depuis ce jour, des transporteurs comme Gora Khouma ne cessent de râler, dénonçant tantôt une mesure qu’ils qualifient de populiste, tantôt une décision prise sans concertation, oubliant qu’ils ne se sont jamais concertés avec qui que ce soit lorsqu’il s’agit d’augmenter les tarifs durant les évènements. Du côté des usagers, le résultat a été fort appréciable. Certains ont même eu l’audace de défier un chauffeur, refusant de payer un tarif autre que celui habituel.
Ainsi, le ministre El Malick Ndiaye s’est engagé dans un voyage salutaire mais périlleux. En faisant le déplacement à la gare routière Baux maraîchers, il a engagé sa personne, donc son autorité et sa crédibilité. Désormais, il devra être présent lors des déplacements de masse pour éviter toute spéculation. Il n’est pas question de réussir une première pour ensuite s’éclipser. D’où le caractère risqué de son pari.
Par ailleurs, recourir à la société Dakar Dem Dikk a été un bon début, mais insuffisant. Si le ministre opte pour cette solution alternative, il lui faudra du renfort la prochaine fois. Les transporteurs, pris au dépourvu cette année, ne manqueront pas de s’organiser la prochaine fois pour faire face. El Malick Ndiaye aura donc besoin de plus que les bus de Dem Dikk. Pourquoi pas alors les bus et minibus des ministères, sociétés publiques et parapubliques ?
Lors des troubles du 1er juin 2023, une trentaine de bus et minibus ont été incendiés à l’Ucad. Il en reste encore près d’une dizaine. Ceci donne un aperçu sur le parking de certaines institutions. Si tout le potentiel est identifié avec rigueur, les discussions engagées à temps avec les autorités des différentes entités, il y a de quoi disposer d’une force de frappe pour contrer un éventuel plan des transporteurs.
Cependant, cette option de la suppléance comporte beaucoup de limites. D’abord, le Sénégal ne se limite pas à Dakar. Certes, c’est le point de départ le plus important, mais il n’est pas le seul ; et tous les Sénégalais doivent bénéficier des mêmes opportunités. De ce fait, ceux qui quittent Thiès, Mbour, Kaolack, Saint-Louis, Ziguinchor, … doivent aussi bénéficier de ces bus pour ne pas subir le diktat des transporteurs. Ce qui est quasi-impossible.
En plus de la difficulté de mobiliser les bus, il y a aussi la nature des évènements. La tabaski concerne presque tous les Sénégalais. Le pays est quasiment à l’arrêt. Par contre, le gamou et le magal sont des fêtes qui concernent une partie des Sénégalais. Même si le pays est au ralenti, il n’en demeure pas moins que les institutions continuent à fonctionner. Il sera donc difficile de recourir à d’autres bus.
D’où l’importance pour le ministre des Transports d’opter pour une solution plus durable. Cette dernière sera certainement le résultat du bâton et de la carotte, le bâton en particulier. Rien ne vaut la sanction. Le ministre aura besoin de faire preuve de fermeté pour que les tarifs normaux soient appliqués. En lieu et place des bus, il a plus besoin des forces de l’ordre et autres collaborateurs discrets pour imposer les tarifs à tous.
Le ministre devra être prêt à recourir, si nécessaire, à des réquisitions des véhicules de transport en commun, en cas de boycott ou grève des transporteurs. Il est tout aussi important que les forces de l’ordre elles-mêmes se sentent surveillées et sous pression pour faire appliquer la loi avec rigueur. Autrement, rien ne changera, car la corruption sur les routes est connue de tous. Un jeune apprenti de car ‘’Ndiaga Ndiaye’’ d’une quinzaine d’années a osé se dresser sur un marche-pied tout en apostrophant un policier : ‘’je t’ai donné tout à l’heure, tu dois me reconnaître’’. Toute honte bue, l’agent a tourné les talons. Cette scène illustre parfaitement le besoin de mettre la pression sur les Forces de sécurité, surtout ceux qui s’occupent du transport interurbain.
Les usagers doivent également être sensibilisés, mais aussi encouragés à prendre leurs responsabilités. Ils doivent comprendre la force qui est la leur lorsqu’ils sont unis face aux chauffeurs et transporteurs. Beaucoup de pratiques sont possibles dans le transport, parce que tout simplement la désunion est de rigueur chez les passagers qui mettent en avant les logiques personnelles au détriment de l’intérêt du groupe.
La tâche est donc herculéenne, mais les autorités doivent comprendre que la réussir est d’une impérieuse nécessité. Une fois que le principe est acquis, il n’y aura point besoin de déployer tout un arsenal pour que les tarifs habituels soient maintenus pendant les évènements nationaux.
Ps : Le ministre devra aussi s’attaquer à certaines pratiques comme la modification des bus. Les minibus appelés ‘’Cheikhou chérif’’ sont très confortables à 14 places, mais de plus en plus, on y met 19 personnes, soit deux personnes devant et 5 passagers par rangée. Depuis, les conditions de transport se dégradent de jour en jour, sans compter les risques liés au surchargement.