Après les militaires français fin 2023, puis les missions européennes, les militaires au pouvoir au Niger veulent désormais que les soldats américains quittent le pays.
Ils ontdénoncé les accords de coopération militaire avec les Etats-Unis.
La junte reproche à Washington sa « condescendance » et de vouloir influer sur les autres partenariats extérieurs du Niger. Un millier de militaires américains devraient donc quitter le pays et la base américaine de drones, située à Agadez, sans doute passer aux mains de l’armée nigérienne.
Une délégation qui n’a pas porté ses fruits
La semaine dernière, de hauts responsables américains étaient en visite à Niamey. Une délégation conduite par Molly Phee, la secrétaire d’Etat adjointe aux Affaires africaines, et le général Langley, le chef du commandement américain pour l’Afrique.
Celle-ci n’a pas été reçue par Abdourahamane Tiani – le chef de la transition militaire – durant son séjour car les autorités nigériennes n’auraient pas apprécié la façon dont la date de la visite et la composition de la délégation leur ont été annoncées « de façon unilatérale » et en-dehors du protocole diplomatique habituel.
En revanche, la délégation a pu s’entretenir notamment avec le Premier ministre, Ali Mahaman Lamime Zeine.
Au lendemain de leur visite, les militaires au pouvoir au Niger dénonçaient « avec effet immédiat » l’accord de 2012 concernant le « statut du personnel militaire des Etats-Unis et des employés civils du département américain de la Défense sur le territoire nigérien ».
L’annonce a été lue à la télévision nationale par Amadou Abdramane, le porte-parole du gouvernement. En voici un extrait :
« Sur le choix des partenaires diplomatiques, stratégiques et militaires, le gouvernement du Niger regrette la volonté de la délégation américaine de dénier au peuple nigérien souverain le droit de choisir ses partenaires et le type de partenariats à même de l’aider à lutter véritablement contre le terrorisme, alors même que les Etats-Unis d’Amérique ont décidé unilatéralement de suspendre toute coopération entre nos deux pays. »
Une autre stratégie que la France
Les Etats-Unis ont en effet supprimé près d’un demi-milliard de dollars d’aide économique au Niger à la suite du coup d’Etat du 26 juillet dernier et la qualification de « coup d’Etat » par Washington n’avait pas plu à la junte de Niamey.
Pourtant, les Etats-Unis ont opté pour une stratégie plus ouverte au dialogue que la France.
Nina Wilen, directrice du programme Afrique à l’Institut royal Egmont à Bruxelles et professeure en sciences politiques, explique que « les Etats-Unis ont essayé de négocier avec la junte dès sa prise de pouvoir, plutôt que de soutenir une intervention militaire de la part de la Cédéao, pour montrer qu’ils étaient intéressés à continuer à collaborer avec le Niger.
La raison, c’est qu’ils ont une des plus grandes bases de drones dans le nord du Niger, à Agadez, qu’ils voudraient continuer à utiliser pour des vols de renseignement et continuer leur lutte contre le djihadisme. Pas seulement au Niger, mais dans la région dans son entier. »
Ecoutez ci-contre l’interview avec Nina Wilen
Plusieurs estimations du coût de construction de la base 201 de drones d’Agadez ont été avancées, mais la plus basse est de 110 millions de dollars.
Celle-ci revêt une importance particulière pour les survols de l’armée américaine, avec ou sans pilote, du fait de sa situation à équidistance de plusieurs pays sahéliens.
Au sol, les opérations conjointes avec l’armée nigérienne ont été réduites depuis que des soldats américains ont été tués lors d’une opération antiterroriste sur le terrain, en 2017. Mais environ 1.100 soldats américains sont présents sur la base aérienne d’Agadez.
Ce mardi encore, depuis un déplacement aux Philippines, Antony Blinken, le chef de la diplomatie américaine, a souligné que le contact n’était pas rompu avec Niamey :
« Nous avons clairement indiqué au Niger, y compris très récemment, que nous avions un certain nombre de préoccupations très réelles dans plusieurs domaines et que nous étions troublés par la voie sur laquelle le Niger s’était engagé, a déclaré le Secrétaire d’Etat américain. Nous restons en contact avec le CNSP (Conseil national pour la sauvegarde de la patrie, le nom de la junte au pouvoir, ndlr) et nous discutons avec lui de la voie à suivre. »
Pression contre la Russie
Ce qui a déplu à Niamey, c’est vraisemblablement que les Etats-Unis ont tenté d’inciter les dirigeants nigériens à renouer avec les Occidentaux, plutôt que de miser sur un partenariat avec l’Iran ou, surtout, la Russie – comme l’ont fait le Mali ou le Burkina Faso ces derniers mois.
Pour l’instant, il n’est pas certain mais il est probable que des troupes russes soient envoyées au Niger aussi.
« Objectivement, estime Nina Wilen, d’un point de vue de défense et de sécurité, l’offre russe est bien moins attirante que l’offre occidentale – pas seulement des Etats-Unis, mais aussi de la France et de l’Union européenne. Pourtant, la Russie offre quelque chose que les pays occidentaux n’offrent pas : une possibilité pour ces régimes de rester au pouvoir, d’offrir une sorte de garde présidentielle mais également qu’ils puissent combattre les terroristes de manière plus libre, en ne respectant pas les mêmes règles que s’ils travaillaient avec la France ou les Etats-Unis. »
Le général Abdourahamane Tiani a été parmi les premiers à féliciter, lundi, Vladimir Poutine pour sa réélection.
Pour l’instant, d’autres troupes européennes sont toujours présentes au Niger, notamment des soldats italiens. Pas sûr qu’ils ne soient pas non plus mis à la porte dans les prochains mois.
Pour la lutte contre le terrorisme au Sahel, la France continue de miser sur le Tchad voisin.
Quant à l’Union européenne, elle a mandaté des missions dans le Golfe de Guinée depuis le mois d’octobre 2023, mais peu d’informations sont disponibles à ce sujet.
Auteur: Sandrine Blanchard