Le colonisateur français entra en contact avec le Mali à partir de XVIème siècle par la zone de Kayes notamment Médine. Un pays follement riche en ressources minières situé en Afrique de l’Ouest mais qui n’a pas accès à la mer. Son économie se repose notamment sur le secteur primaire.
Après avoir passé plusieurs années sous la domination française, le Mali devient indépendant le 22 septembre 1960. Ainsi, le premier gouvernement socialiste, pour faire profiter pleinement la population de son indépendance, va mettre un terme à sa coopération avec la France sur le plan militaire, diplomatique et économique. Mais cette ambition d’acquisition d’une souveraineté totale ne fut pas sans conséquences. Puisque, quelques années (exactement en 1962) après la création de sa monnaie nationale (Franc Malien) en lieu et place du Franc des Colonies Françaises d’Afrique (CFA), le gouvernement du Mali fut contraint de signer, des années plus tard, un accord monétaire avec la France. Ce qui facilita son retour dans la Zone Franc CFA. Avec l’évolution actuelle des relations Franco-Maliennes, les autorités de la transition, sous la direction des Cinq Colonels, ne risque-t-il pas de tomber dans le même piège que le régime Socialiste en 1962 ?
L’échec présumé du Franc Malien après sa création, en juillet 1962 et le regard rétrospectif des maliens en juillet 2023 vers le même système monétaire, nous mène dans une réflexion très profonde. Faut-il vraiment revenir à une monnaie nationale ? Les maliens sont divisés sur la question ?
Un rappel de l’histoire monétaire du Mali s’impose. Le Franc des Colonies Françaises d’Afrique (CFA) a été créée au lendemain de la deuxième guerre mondiale, juste après la dévaluation du Franc Français à 140% par le régime colonial en France pour ses colonies d’Afrique. Mais avant l’introduction de la monnaie coloniale, la monnaie utilisée au Mali était les cauris, l’or… Dans un premier temps, le colonisateur français ne réfuta pas la monnaie Africaine mais, il a fallu attendre 1947, soit 51 ans après, pour imposer définitivement le Franc CFA aux colonies. Cela, afin de remplacer les cauris. Dès le 27 juillet 1920, le Gouverneur du Soudan-Français Térrasson de Fougère signa l’arrêté N°838 pour interdire, à partir du 1er janvier 1922, toute circulation des cauris comme une monnaie d’échange.
Devenu indépendant à la date du 22 septembre 1960, les technocrates maliens avaient une mauvaise perception, sinon jugeait mal la politique néocoloniale de la France en Afrique. Ainsi, après la proclamation de son indépendance, ils orientent la politique malienne vis à vis de la France pour des raisons militaires, économiques, diplomatiques, politiques. Après avoir participé pleinement à la création de l’UEMOA, en mai 1962, le Mali quitta cette union monétaire en juillet 1962 (soit deux mois), en créant sa propre monnaie sous le prétexte d’obtenir sa propre souveraineté économique. Mais cette rupture était-elle une illusion ?
Durant toute la période de rupture, la France demeura parmi les pays qui soutenaient l’économie malienne. En outre, pour conquérir la souveraineté entière du Mali, le Président Modibo Keita annonça dans un discours, la création du Franc Malien le 1er juillet 1962. Une monnaie qui sera fabriquée en Tchécoslovaquie. Etait-ce une rupture d’avec la France ?
Si la création de monnaie nationale signifiait une rupture économique du Mali avec la France, pourquoi la France demeurait l’un des trois partenaires privilégiés en termes d’échanges commerciaux avec le Mali, de 1962 à 1968 ? On ne peut pas affirmer avec certitude que la création d’une monnaie malienne signifiait une rupture économique avec la France. De même que cela ne signifie forcément une souveraineté acquise.
La création du Franc malien en 1962 ne fut donc pas sans conséquence pour l’économie malienne. Elle l’aurait rendu plus vulnérable et instable. Elle a dû diviser la classe politique malienne, en déclenchant des crises sociopolitiques (manifestation populaire des commerçants). La création de la nouvelle monnaie a aussi opposé le Mali et ses pays voisins. Qui n’ont pas hésité de prendre des mesures graves contre lui. Elle aurait également contribué au développement des fraudes dans les zones frontalières, à la perturbation des activités commerciales qui auront provoqué le développement du marché noir.
Les auteurs comme Vincent Géronimi, Boubacar Sega Diallo et Lassina Sidibé, nous expliquent que : « De 1963 à 1967, les marchandises françaises se feront rares, nous n’avons pas de chiffres pour cette période mais les produits importés des pays occidentaux ont été peu nombreux sur le marché malien. La rareté et les difficultés pour la population de se procurer ce dont elle avait tant besoin, sont sans doute l’une des causes importantes du mécontentement populaire qui éclatera après la chute du régime socialiste en Novembre 1968 ». Le Mali est un pays qui consomme des produits manufacturés venus de l’étranger. Pour satisfaire les clients, les commerçants vont importer les produits frauduleusement afin de les vendre à des prix très chers.
En conséquence, le Franc Malien devenait ainsi obsolète d’une part, par la pression des commerçants et d’autres part, par l’opposition des élites politiques. Ainsi, en quelques années seulement, la monnaie se dévalorise et perd immédiatement sa valeur. Cela conduit au retour du Mali au sein de l’UEMAO. Ce qui signe son retour à sa coopération monétaire avec le Trésor Français. Par l’accord monétaire de 1967-1968, à la demande du Mali, la France accepta de garantir le Franc Malien. La création du Franc Malien devrait permettre de résoudre les problèmes de sous-développement malien. Mais la création de la monnaie malienne aurait entrainé des catastrophes économiques.
Après 61 de recul, ne sommes-nous pas en train de voir l’histoire monétaire se répéter ? En effet, le constat semble être qu’une minuscule des activistes vidéomen, sans repère, probablement animés par l’émotion et la recherche de profit, pousserait le gouvernement de la Transition dans les mêmes erreurs de 1962 ?
Si nous comparons les relations franco-maliennes sous Modibo Keita et sous le régime de la transition, sous la direction des cinq Colonels, on n’y trouve pas assez de différence. L’exemple reste : le retrait des troupes militaires de la France à la demande des autorités maliennes, des brouilles diplomatiques quotidiennes au sein des organisations internationales, condamnation du caractère néocoloniale de la France, l’initiative de la création du Franc malien…
Comme en 1962, le comportement du gouvernement actuel et certaines élites laissent croire que l’économie malienne est capable de supporter le cout de production d’une monnaie nationale. Est-il vraiment le cas ? Pourquoi les pays francophones ne peuvent-ils pas, après 63 ans d’indépendance, créer leur monnaie nationale ou communautaire ? L’économie de ces Etats francophones d’Afrique de l’Ouest serait à moitié financée, soutenue par des aides extérieures. Est-ce vraiment le cas ? Nous osons plaider pour une alliance des Etats d’Afrique de l’Ouest, pour créer une monnaie sous régionale. Le Mali et les Maliens doivent se mobiliser autour des autres pays de l’Afrique de l’Ouest, y compris les anglophones, pour réaliser ce rêve commun. « Une monnaie commune pour l’Afrique de l’Ouest » libre et indépendante de tout soutien étranger est bien possible !
Mais il faut d’abord stabiliser l’économie Malienne. Toute chose qui passe par l’industrialisation économique du Mali avant d’élaborer toute stratégie de la création d’une monnaie. Aussi, il faudrait renforcer les mesures de sécurité douanière pour lutter contre la fraude et le trafic illicite.
Personne ne peut ignorer le patriotisme élevé de nos premiers dirigeants, qui étaient tous animés par une volonté de donner au Mali, après des siècles de colonisation une indépendance digne de ce nom.
Il n’est donc pas encore tard pour que le Mali crée sa propre monnaie. L’échec présumé de nos premiers dirigeants doit nous servir de leçon. Pour éviter tout piège, les questions de la création d’une monnaie malienne doivent être sérieusement analysées. Au préalable, s’il devait être créé, il faut certainement préparer la population malienne pour accueillir le Franc Malien. Autrement, il faudrait élaborer une stratégie et un plan de mesures appropriées, avant de se lancer dans une telle aventure. Dont notre pays ne pourra pas succomber à la blessure de la défaite.
Boubacar Bani Traoré (Stagiaire),
Spécialiste en Histoire des Relations Internationales et Stratégiques