L’ONG de défense des droits humains, Human Rights Watch (HRW), a exhorté vendredi la Tunisie à mettre fin aux « expulsions collectives » de migrants africains dans le désert, où ils sont abandonnés à leur sort.
Des centaines de migrants originaires d’Afrique subsaharienne se trouvent en situation très précaire dans une zone désertique dans le sud de la Tunisie près de la frontière libyenne, après avoir été chassés ces derniers jours de la ville de Sfax (centre-est) sur fond de vives tensions avec la population locale qui réclamait leur départ, selon des témoignages recueillis par l’AFP.
Un déferlement de violence s’est abattu mardi et mercredi sur ces migrants après que l’un d’eux a tué un habitant lors d’une rixe.
Cet incident a mis le feu aux poudres dans une ville dont les habitants proclamaient leur exaspération face à la présence de migrants en situation irrégulière, dont un grand nombre s’y installe dans l’attente d’une traversée illégale vers l’Italie à bord d’embarcations de fortune.
« Les forces de sécurité tunisiennes ont expulsé collectivement plusieurs centaines de migrants et demandeurs d’asile africains noirs, dont des enfants et des femmes enceintes, depuis le 2 juillet 2023, vers une zone tampon éloignée et militarisée à la frontière entre la Tunisie et la Libye », a déclaré HRW dans un communiqué.
« De nombreuses personnes ont rapporté des violences de la part des autorités lors de leur arrestation ou de leur expulsion », a ajouté l’ONG.
Elle a appelé le gouvernement tunisien à « mettre fin aux expulsions collectives et permettre d’urgence l’accès humanitaire » à ces personnes qui ne disposent que « de peu de nourriture et d’aucune assistance médicale », a déclaré dans le communiqué Lauren Seibert, chercheuse sur les droits des réfugiés à HRW.
L’ONG a également appelé la Tunisie à « enquêter sur les forces de sécurité impliquées dans les abus et à les traduire en justice ».
« Les migrants africains et les demandeurs d’asile, y compris des enfants, sont désespérés de sortir de la zone frontalière dangereuse et de trouver de la nourriture, des soins médicaux et la sécurité », a ajouté Mme Seibert. « Il n’y a pas de temps à perdre. »
« La vie des Noirs compte »
Des migrants expulsés dans le désert ont indiqué jeudi au téléphone à l’AFP qu’ils étaient des centaines, dont des femmes et des enfants, à y avoir été abandonnés dans un dénuement total.
Dans une vidéo partagée vendredi par une association africaine, on peut voir quelques dizaines de réfugiés, présentés comme Ivoiriens et Maliens pour la plupart, assis ou allongés sur le sable, visiblement exténués, dans une zone désertique bordée par la Méditerranée près de la frontière libyenne.
Certains avaient la tête couverte d’un chapeau ou d’un morceau de tissu pour se protéger du soleil. Des femmes avaient des bébés sur les genoux.
« Nous n’avons rien à manger, combien de jours on va survivre? », lance l’un d’entre eux en implorant de l’aide.
Vendredi, des centaines de migrants africains se sont rassemblés dans un parc du centre de Sfax réclamant « paix et sécurité », a constaté un correspondant de l’AFP sur place.
« Je n’ai plus (d’endroit) où habiter, je ne suis plus en sécurité, je veux juste retourner chez moi au Burkina Faso », a dit Abdelatif Farati, un jeune de 18 ans, en Tunisie avec ses quatre frères depuis quatre ans.
« La vie des Noirs compte », pouvait-on lire sur un bout de carton que certains d’entre eux brandissaient.
Des Tunisiens ont exprimé leur solidarité avec ces migrants en apportant de l’aide alimentaire et médicale à ceux qui se sont retrouvés dans la rue après avoir été chassés de leurs maisons à Sfax.
Un discours de plus en plus ouvertement xénophobe à l’égard de ces migrants s’est répandu depuis que le président tunisien, Kais Saied, a pourfendu en février l’immigration clandestine, la présentant comme une menace démographique pour son pays.
Selon des statistiques citées par les médias, la Tunisie compte quelque 21.000 Africains subsaharien, dont un tiers en situation irrégulière.
Une grande partie de ces migrants vient en Tunisie pour tenter ensuite de rejoindre l’Europe par la mer, en débarquant clandestinement sur les côtes italiennes.