La revanche de Yusef Salaam, condamné à tort pour viol dans l’affaire des « Cinq de Central Park »
Élu en décembre dernier au conseil municipal de New York, Yusef Salaam, 49 ans, a pris mardi ses fonctions de nouveau représentant du district d’Harlem, 34 ans après avoir été condamné à tort pour le viol d’une joggeuse dans l’affaire des « Cinq de Central Park ». Retour sur son parcours hors du commun.
Il a prêté serment sur le Coran qui l’a accompagné pendant toutes ses années de détention. Condamné à tort pour un viol en 1990 dans l’affaire des « Cinq de Central Park », Yusef Salaam a officiellement pris ses fonctions mardi 2 janvier au conseil municipal de la ville de New York, en tant que représentant du district d’Harlem. « La boucle est bouclée », a commenté auprès du quotidien américain The New York Times (NYT) Raymond Santana, lui aussi condamné par erreur dans la même affaire.
Lors des primaires démocrates l’été dernier, ce père de six enfants a battu les deux membres sortants du conseil, dont la candidate soutenue par le maire de New York, et remporté le siège de conseiller de district lors des élections générales de novembre dernier.
Une trajectoire hors du commun pour ce néophyte en politique. « Je ne fais pas partie de ce monde », a lancé cet écrivain et conférencier de 49 ans qui veut se concentrer sur la qualité des écoles publiques, l’accès au logement et la sécurité. « La plupart des gens pourraient penser que je suis pour ‘définancer’ [la police], mais la vérité est que nous avons besoin d’[elle] », a-t-il par ailleurs déclaré.
D’après le NYT, c’est le leader démocrate du comté de New York, Keith Wright, qui l’a convaincu de se présenter aux élections à l’été 2022. Depuis sa sortie de prison, Yusef Salaam avait quitté New York pour s’installer près d’Atlanta, grâce aux sept millions de dollars accordés par la justice fédérale américaine en 2014 en dédommagement des sept années passées derrière les barreaux.
« Le crime du siècle »
L’affaire des « Cinq de Central Park », qui a depuis fait l’objet d’une série diffusée sur Netflix, remonte au 19 avril 1989. Ce soir-là, Patricia « Trisha » Meili, jeune banquière blanche de 29 ans, effectue son footing quotidien dans le grand parc de Manhattan lorsqu’elle est violemment agressée et violée. Vidée à 80 % de son sang, la jeune femme est proche de la mort quand elle découverte par des ouvriers dans un fossé. Intubée, souffrant de 21 fractures, elle passera sept semaines à l’hôpital.
En 1989, la ville de New York est confrontée à une vague de criminalité sans précédent : le crack se répand dans les rues et plus de 3 200 viols sont recensés dans la ville. Les policiers sont sur les dents et doivent rapidement retrouver le coupable. Le même soir, cinq adolescents afro-américains et hispano-américains sont interpellés à New York dans le cadre d’une série d’agressions sur des joggeurs. Malgré des témoignages qui ne coïncident pas avec la scène de crime où avait été laissée pour morte Patricia « Trisha » Meili, l’absence d’ADN et de témoins oculaires, les policiers parviennent à leur faire avouer le viol. Souvent interrogés en l’absence d’avocat, quatre des cinq jeunes signent des aveux détaillés de l’agression qu’ils n’ont jamais commise. Yusef Salaam, alors âgé de 15 ans, s’y soustrait de justesse grâce à l’intervention de sa mère.
Aussitôt, la presse et les hommes politiques se déchaînent et évoquent « l’ensauvagement » de New York par des bandes de jeunes. Le quotidien New York Daily News titre en première page : « La proie de la meute de loups : une joggeuse frôle la mort après avoir été sauvagement agressée par un gang errant ». Quelques semaines plus tard, Donald Trump, à l’époque magnat de l’immobilier, se fend d’une longue tribune aux accents populistes où il attaque nommément le maire démocrate de la ville, Ed Koch : « Rendez-nous la peine de mort. Rendez-nous notre police ! »
Mis sous pression à quelques mois des élections municipales, le maire admettra plus tard dans un documentaire : « C’était pour tout le monde, pas seulement pour moi, le crime du siècle. »
Sans amertume
Le 18 août 1990, les « Cinq de Central Park » sont condamnés à des peines allant de cinq à dix ans de prison. Korey Wise, le plus âgé, est le seul à intégrer une prison pour adultes, les quatre autres sont envoyés dans un centre correctionnel pour jeunes. L’affaire rebondit 12 ans plus tard lorsque Matias Reyes, confondu par son ADN et déjà en prison pour quatre viols et le meurtre d’une femme enceinte, confesse être le seul responsable du viol de Central Park. Il faudra attendre 2014 pour que la justice accorde 41 millions de dollars de dédommagement aux cinq condamnés.
Depuis cette affaire, Yusef Salaam s’est engagé dans Innocence Project, une ONG américaine luttant depuis 1992 contre les erreurs judiciaires, dont il est devenu membre du conseil d’administration. En 2016, le président Barack Obama lui a remis un Lifetime Achievement Award.
« Je suis heureux d’avoir côtoyé de très, très près la douleur, et maintenant que j’ai voix au chapitre, je sais exactement de quoi les gens parlent », a-t-il déclaré à la chaîne de télévision New York 1, après son élection. Signe qu’il a évacué tout ressentiment malgré son drame personnel, ses mémoires (publiés en 2021) sont intitulés : « Better, Not Bitter » (« meilleur, pas amer »).