Le 19 décembre 2022, le Journal officiel publie un décret entérinant la création d’une « commission chargée de la finalisation du projet de Constitution de la République du Mali ». L’une des ambitions de la junte, fonder une IVe République, est donc sur le point de se concrétiser : les travaux de la commission achevés avant la fin de l’année, un référendum portant sur la nouvelle Constitution sera organisé en mars 2023, et nul doute que les citoyens approuveront ce texte, les colonels ayant jusqu’à présent réussi à atteindre leurs objectifs, d’une façon ou d’une autre. En effet, la commission, instituée par le président de la Transition suivant un fonctionnement des plus mystérieux (I), contrevient aux procédures constitutionnelles et aux règles démocratiques (II).
Le fonctionnement mystérieux de la commission
La production de décrets signés par les chefs de la Transition successifs est abondante et le lecteur même ignorant du droit est surpris d’y retrouver les tournures sibyllines habituelles. Les articles 3, 4 et 6 ont beau indiquer la composition de la commission, nul ne sait qui en choisit les membres et d’après quelles conditions. Le nombre de ces personnalités est d’ailleurs inconnu : cinquante et un, mais « en outre, des personnes ressources ». En apparence, le comité est indépendant, composé de représentants d’organes variés, mais leur soumission au chef de l’État est totale : quinze d’entre eux sont désignés par lui, le gouvernement et le Conseil national de la Transition (CNT) – dont les membres, rappelons-le, ont été nommés par le Président Assimi Goïta –; et, surtout, d’après l’article 8 du décret , « le coordonnateur de la commission rend compte régulièrement au président de la Transition de l’état d’avancement des travaux » : est-ce à dire que les amendements à l’avant-projet émanent de lui ? Répondre par l’affirmative sous-entendrait que les membres sont prêts à des compromissions : accusation très grave qui relève de la diffamation… à moins de prendre en compte les dispositions des articles 10 et 11 : « Le coordinateur, les rapporteurs et les membres de la commission bénéficient d’indemnités et de primes forfaitaires fixées par décret du président de la Transition » et les « dépenses liées au fonctionnement de la commission sont à la charge du budget national ». Reconnaissons, il est vrai, que « tout travail mérite salaire », mais nul n’en connaît le montant : dans un pays comme le Mali, souffrant de corruption, le contrôle de l’argent devrait être une priorité ; il n’en est manifestement rien.
Un fonctionnement anticonstitutionnel et antidémocratique
Le travail de la commission se résume à celui d’une Assemblée constituante, puisqu’elle a toute autorité pour donner corps à la nouvelle Constitution. En son article 2, le décret dispose ainsi que « la commission a pour mission d’examiner et d’amender, le cas échéant, l’avant-projet de Constitution ». Il n’explique cependant pas les critères retenus pour accomplir pareille tâche. Du point de vue du droit constitutionnel, cette compétence est critiquable : le CNT, qui fait office d’Assemblée nationale, ne prend part à la commission que de façon anecdotique, cinq de ses membres seulement y siégeant ; quant au peuple, le degré de sa contribution se déduit aisément ! Il ne sera ainsi consulté qu’après la finalisation du projet de Constitution. Comme celui des forces vives de la nation, son rôle est réduit à une portion congrue en matière de gestion des affaires de la cité. Le caractère démocratique de cette seconde commission est donc plus que douteux. Le peuple malien, écarté des consultations, ne peut évidemment pas comprendre les tenants et les aboutissants de la nouvelle Constitution dont le texte – nous l’avons montré – donne l’essentiel des pouvoirs à l’armée.
La nature de la consultation du mois de mars est donc elle-même ambiguë : a priori, un référendum sur l’adoption d’un document élaboré en commun ; en réalité, un vote à l’aveugle, un plébiscite.En décembre 2022, la commission finalise les cadres de la future dictature militaire.
Balla CISSÉ, docteur en droit
Public, Avocat au Barreau de Paris,
Diplômé en Administration électorale