Le spectre d’une intervention militaire est plus une ruse qu’une option sérieusement envisagée. Cependant, son annonce prématurée est une erreur stratégique. Malgré l’onde de choc qu’a provoqué le coup d’État au Niger, personne n’a intérêt à se lancer dans cette aventure. Ni les états adhérents, ni les occidentaux ni la Chine ni la Russie encore moins les voisins proches du Niger, L’Algérie et le Tchad, pays non membre de la CEDEAO. La menace de l’usage de la force est tellement surprenante et tonitruante que les médias ont plus relayé cette éventualité que les neuf sanctions draconiennes, et surtout asphyxiantes pour le peuple nigérien. Et à ce titre, les dirigeants ont commis une maladresse au détriment des populations nigériennes, mais aussi une gaffe stratégique dans les discussions avec la junte. Comble de malheur pour la CEDEAO, plus les jours passent, plus, le capital sympathie de la junte grandit au sein de l’opinion nigérienne et africaine. Ce «?coup d’État de trop?» est perçu par les chefs d’État comme une occasion de réinstaurer la crédibilité régalienne perdue de l’institution. Se limiter aux sanctions économiques aurait largement suffi dans un premier temps. Car, ce qu’il faut avouer, c’est que l’inconvénient l’emporte sur l’objectif. Primo, le mal est fait, les militaires se sont emparés de l’appareil d’État, second, vouloir restaurer l’ordre constitutionnel au risque d’aggraver la volatilité de la région c’est «?libyiésé?» cette zone. Le jeu n’en vaut pas la chandelle, quels que soient les soubassements et les conséquences de ce coup d’État. Au sein de la communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, certains dirigeants craignent l’effet domino. En ce qui concerne le Sénégal, un des rares pays en Afrique à ne pas connaître un coup d’, la singularité de son armée républicaine est l’atout majeur de sa stabilité. Dans l’écrin du Sénégal, «?l’armée est la plus belle parure.?» La singularité de l’armée sénégalaise réside dans la subordination assumée avec zèle, au pouvoir politique, dès lors que ce pouvoir est élu DÉ-MO-CRA-TI-QUE-MENT. Sans aucune flagornerie, nous pouvons affirmer que l’armée sénégalaise est une armée disciplinée, républicaine, complètement détachée des questions politiques comme la direction de l’information et des relations publiques des armées l’a rappelé dans son communiqué numéro 104 du 31 mars 2023. Néanmoins, c’est par pur professionnalisme que les militaires sénégalais et d’autres membres de la CEDEAO se préparent à une hypothétique intervention militaire. Car, il faut bien le comprendre, quand un chef d’état-major qui se respecte reçoit les ordres du chef suprême, il se lance dans les préparatifs de l’opérationnalisation. Sur ces entrefaites, toutes les actions militaires entreprises par les armées y compris celle du Sénégal depuis l’ultimatum fixé à la junte sont cohérentes. Fort heureusement, comme nous l’affirmons plus haut, l’intervention militaire n’est rien d’autre qu’une manœuvre annoncée prématurément. Et de ce fait, l’indignation contre ce projet funeste est plus forte que le coup d’État orchestré par le général Abdourahmane Tiani. La CEDAO a voulu impressionner la junte en déployant une opiniâtreté sans précédent dans de pareilles circonstances. Elle s’est tiré une balle dans le pied, en plaçant le curseur de la pression si élevée. Le risque quand on entame une négociation en ayant une position affichée, c’est que vous n’avez plus aucune marge de manœuvre pour faire des concessions. L’exigence de départ est si ferme que le point de rupture a été vite atteint. Il n’y a aucune zone d’accord possible entre les deux parties. La diplomatie religieuse a dû s’employer pour un semblant de dégel. Dans cette impasse, les sanctions consument le peuple nigérien. Pour sortir de l’ornière, il ne faut pas s’attendre à un blitzkrieg, une intervention militaire, casus belli pour le Mali et le Burkina Faso serait une aventure périlleuse. Aussi, les enjeux géostratégiques et économiques imposeront à un moment la sortie de crise au gré des ogres qui manœuvrent en coulisse. (Par exemple, exfiltration du président Mohamed Bazoum et de sa famille et mise en exécution d’une transition.) Le statu quo n’arrange personne parce que le Niger est un important pourvoyeur de matière première. Selon Euratom, la communauté européenne de l’Énergie atomique, l’Union européenne (principalement la France) dépend très largement des mines d’uraniums, le Niger avec 25,3 % est le deuxième fournisseur de l’UE derrière le Kazakhstan 26,8. Globalement dans les échanges commerciaux, la chine est le premier importateur avec 24 %. Devant la France 21 %, premier investisseur au Niger devant l’empire du Milieu en nette progression. La Russie, déjà bien introduite dans la région, observe la situation avec un appétit d’ogre. En ce qui concerne les États-Unis , l’enjeu est plus géostratégique qu’économique. Devant ce qui se présente comme une aporie pour la CEDEAO, l’organisation ne peut pas intervenir militairement sans l’assentiment réel de ses partenaires clés. D’autant plus que Paris et Washington condamnent le coup d’État, mais n’ont pas le même narratif sur les questions africaines. Il ne serait pas surprenant de voir la diplomatie américaine prendre ses distances avec le quai d’Orsay au fil du déroulement des évènements et de l’enkystement de la crise. Les Américains sont très bien informés de la réalité du terrain au Sahel, ayant une base dans le nord du Niger à Agadez. La diplomatie américaine sait faire preuve d’un réalisme froid quand il s’agit de mettre en avant ses intérêts. De plus, dans les questions internationales, la théorie de Raymond Aron a de beaux jours devant elle : «?la politique étrangère ne dépend ni de la justice, ni du bien ou du mal, elle répond à une logique de domination et de captation.?» Les exemples sont à foison, j’en citerai trois : en 2013, le monde était saisi d’effroi à la suite du massacre de Ghouta en Syrie, attaque au gaz sarin (plus de 1500 morts.) Barack Obama et David Cameron ont lâché à la dernière minute le président François Hollande prêt à attaquer Bachar Al Assad. L’anglais retenu par le parlement, l’américain a fait volte-face après avoir mesuré les risques avec le pentagone. Une décennie après, Bachar est toujours en poste, mieux il a effectué son retour sur la scène diplomatique en participant au dernier sommet de la ligue arabe à Riyad. Plus de quatre ans après l’épouvantable assassinat du journaliste saoudien Jamal kashoggui, le prince héritier Mouhamed Ben Salman est à nouveau fréquentable. Plus récemment, en 2021, Emmanuel Macron, le président français himself est allé valider la dévolution monarchique au Tchad pour des raisons connues de tous. En définitive, concernant la situation au Niger, la CEDEAO va encore avaler des couleuvres, car rien n’expliquerait une intervention militaire. Fortement contestée ces dernières années, l’organisation sous régionale a eu les yeux plus gros que le ventre. «?Ce qui est utile à beaucoup l’emporte sur les désirs du petit nombre?». 15 chefs d’État n’ont pas le droit de ramer à rebours de la majorité de l’opinion africaine. Nous osons croire qu’ils ne franchiront pas ce funeste pas.
Chérif DIOP
Journaliste, citoyen sénégalais
Journaliste, citoyen sénégalais