La tragédie qui nous pend au nez pourrait avoir amorcé la dernière ligne droite vers l’épilogue dramatique que peu d’observateurs nationaux ne feignaient d’ignorer : le risque d’abandonner aux vagues de l’incertitude, du flou régalien voire de l’impéritie tout court – un capital unitaire déjà si faiblement enraciné. En tout cas, ni l’élan patriotique, ni le sentiment d’appartenance commune ne sont partagés dans les proportions et avec la solidité qui les sauve de la volatilisation qui se dessine. Longtemps pressenti – et conforté par moult errements -, un funeste destin d’éclatement nous guette depuis longtemps, franchit chaque jour un palier de plus et vient d’atteindre une étape décisive avec le retour en force des démons de la fracture, avec l’épaississement des barrières d’incompatibilité et des intérêts inconciliables sur fond d’irrédentisme latent et d’ambitions subalternes. C’est malheureusement la tirade peu enviable qu’inspire la posture caractéristique de chaque protagoniste de l’Accord issu du processus d’Alger. Construit sur le socle de frustrations originelles, son application s’embourbait déjà sur le chemin cahoteux de la méfiance entre acteurs et, depuis l’avènement d’un pouvoir de fait et la prédominance des volitions impulsives, s’enlise dans les méandres de remises en cause aventurières. C’est ainsi que dans le prolongement des annonces mirifiques de retouche de l’APR par le gouvernement – une démarche contre-productive tant l’issue est incertaine -, la «Colombe» malienne reçoit en plein cœur les coups de poignard que lui assène la surenchère des parties signataires, dont les exigences cachent à peine l’intention opportuniste de préférer les ardeurs bellicistes au règlement pacifique des différends. En témoigne, s’il en était besoin, ce revirement spectaculaire qu’opère la CMA en surfant sur les vagues de la relecture de l’Accord par des cris à l’arbitrage de ses garants internationaux. En témoigne tout autant le recours abondant à la rhétorique martiale ainsi qu’à la militarisation tous azimuts pour légitimer et au besoin éterniser un pouvoir conquis par le glaive.
Tant d’antagonismes et d’attitudes défiantes rapprochent forcément l’APR du seuil de sa désuétude, perceptible du reste aux effets subversifs de sa dynamique régressive : au lieu de désarmer on s’arme et on s’équipe en silence, les recrutements le disputent à la démobilisation dans le dos du camp d’en face, les cadres d’échanges et de dialogue laissent progressivement la place au repli sur fond de frustrations originelles et de raideur velléitaire.
De la combinaison de facteurs aussi il impropices dérive, en définitive, une nébuleuse qui rend peu lisible la volonté de part et d’autre de parvenir à un dénouement de l’équation septentrionale sans en découdre par les arsenaux de guerre dont chaque protagoniste fait des gorges chaudes : pour le gouvernement, les récentes acquisitions spectaculaires d’équipements; pour la CMA, les armes périodiquement déterrer des caches désertiques à chaque anniversaire de la proclamation d’une certaine République de l’Azawad.
À défaut de porter l’entière responsabilité du regain de tension, du choc de plus en plus plausible entre l’irrédentisme affichée et le vraisemblable refoulement de vieux comptes à solder, les pouvoirs en place n’en paraissent pas moins blâmables d’avoir abordé la question du Nord-Mali avec une désinvolture qui tranche avec son importance dans la stabilisation du Mali. En effet, avec tant d’énergie et de temps dilapidés dans les laborieuses tentatives de légitimer l’illégitime, de conférer de l’autorité consentie à un pouvoir de fait, d’embellir une souveraineté populaire usurpée en fantasmant sur des menaces qui pèsent sur la souveraineté nationale, l’accessoire est en passe de submerger et même de se substituer à l’essentiel. L’essentiel – c’est la rescousse à une intégrité territoriale abandonnée à la fatalité et en proie à l’érosion de l’insouciance ; c’est de préserver les chances d’un destin unitaire hypothéquée et les équilibres nationaux contre le triomphe d’un redoutable basculement obscurantiste. Bref, l’essentiel c’est la noble hantise du devoir, de la conscience de responsabilité et d’utilité à la patrie, tandis que l’accessoire peut se résumer à tous ces efforts déployés pour s’en dérober au nom de futiles desseins sibyllins et à coups d’intoxication et de manipulation de l’opinion.
Ce faux-monnayage de l’essentiel utile contre l’accessoire futile pourrait bien avoir été entretenu au profit d’un passage spectaculaire de la scission de fait à l’émergence définitive d’une entité étatique des entrailles du Mali. Un péril face auquel les mythes souverainistes et les légitimités factices ne seront d’aucun remède. Une thérapie est espérée, en revanche, du côté de la même communauté internationale souvent vouée aux gémonies et dont la médiation auprès des belligérants putatifs de Kidal n’a pas inspiré aux ramifications du pouvoir les habituelles acrimonies et accusations d’ingérence dans le problème malien. C’est à l’Union européenne, à la CEDEAO, à l’UA et à l’Algérie que reviennent désormais d’affronter la gageure de dénouer un écheveau emmêlé dans l’insouciance d’Etat. Si bien que Kidal était jusque-ici relégué au profit d’une course au confort et au nom de préoccupations politiques subalternes de Bamako : assises nationales, prolongation de la transition sur fond de bras de fer avec la CEDEAO, lutte contre la corruption à géométrie variable aux fins d’étouffer toute concurrence potentielle dans l’œuf, etc.
A KEÏTA