À la veille de la cérémonie d’ouverture, le relais de la flamme a parcouru jeudi le département de la Seine-Saint-Denis, au nord de Paris. À la Courneuve, la torche olympique a été symboliquement portée par Oumar Diémé, un tirailleur sénégalais, vétéran des guerres d’Indochine et d’Algérie, qui s’est battu pendant de longues années pour la reconnaissance des soldats africains en France.
Dans le parc départemental Georges-Valbon de La Courneuve, Oumar Diémé semble avoir retrouvé les jambes de ses 20 ans en ce jeudi 25 juillet. Au point que les organisateurs du relais de la flamme olympique doivent lui dire de ralentir. L’homme de 91 ans est porté par la foule qui se presse à son passage. Malgré son grand âge, il se met à courir. Sur son visage se dessine un large sourire. Même si son parcours ne dure que 200 mètres, il profite de chaque instant.
« Je suis comblé de joie d’avoir porté la flamme olympique ici en Seine-Saint-Denis pour les Jeux de 2024. C’est un honneur pour moi, pour ma famille, pour mon village, pour ma région, pour mon pays et pour toute l’Afrique », confie-t-il, sans paraître fatigué après avoir effectué ce relais à toute allure.
« La désignation de la flamme m’a donné une force. Quand je l’ai appris, j’ai marché des kilomètres pour me maintenir », explique-t-il en toute simplicité.
« J’ai eu la chance de revenir jusqu’à chez moi »
Cet ancien tirailleur sénégalais a été choisi par le département de Seine-Saint-Denis en mai dernier pour être porteur de la flamme. Cet honneur lui a été confié en raison de son passé de soldat et pour son long combat pour la reconnaissance du rôle joué par les tirailleurs sénégalais.
Originaire de Badiana, un village situé dans le sud du Sénégal, il s’est engagé en mars 1953 au sein du 1er régiment de tirailleurs sénégalais. Sous l’uniforme français, il a d’abord combattu en Indochine, où il a vu 22 de ses camarades mourir dans une embuscade. « Il y a beaucoup de monde qui y est resté, là-bas, mais moi j’ai eu la chance de revenir jusqu’à chez moi », confie l’ancien soldat, qui a aussi participé à la guerre d’Algérie.
Après avoir été garde à l’université de Dakar, puis coursier dans une banque de la capitale sénégalaise, il s’établit en France à partir de 1988 dans la ville de Bondy, en Seine-Saint-Denis, dans une modeste chambre de 17 mètres carrés. Combattant dans l’âme, il s’est alors lancé dans une bataille contre l’État français pour obtenir la nationalité française en 2015, puis pour pouvoir toucher le minimum vieillesse de 950 euros par mois, sans devoir passer la moitié de l’année dans l’Hexagone.
Sa lutte et celle de ses camarades a fini par payer en 2023. Oumar Diémé a pu enfin partir vivre sa retraite paisiblement au Sénégal, dans son village de Badiana. C’est en récompense de sa détermination et de ses actions qu’Oumar Diémé a été choisi pour porter la flamme. Lors de son relais, il n’a cessé de penser à tous ses frères d’armes. « Mais les tirailleurs sénégalais, ce ne sont pas que des Sénégalais, ils représentent toute l’Afrique noire colonisée par la France », souligne-t-il.
« La reconnaissance de notre histoire »
Pour autant, il estime que son combat n’est pas terminé : « Il reste beaucoup à faire. Ils nous ont enfin donné la nationalité française, mais nos enfants ne sont pas reconnus ». À ses côtés, Aïssata Seck acquiesce. La présidente de l’Association pour la mémoire et l’histoire des tirailleurs sénégalais savoure ce moment, mais elle sait qu’il y encore du travail à effectuer. « Je suis très fière de cette journée. C’est la reconnaissance de notre histoire et on va continuer à la transmettre », explique-t-elle. « Mais il faut qu’on intègre mieux cette histoire dans le récit national français et qu’on mette encore plus en avant l’apport des troupes coloniales dans les conflits mondiaux », précise-t-elle.
Inlassable militante de la mémoire, engagée politiquement en Seine-Saint-Denis, elle estime que cet enjeu est plus que jamais d’actualité : « Cela devrait être une véritable politique publique. Je reste persuadée qu’en transmettant toute la richesse de cette histoire de France, on apaiserait un certain nombre de choses et on lutterait ainsi contre le racisme et les discriminations. »
Un combat que mène aussi l’ancien footballeur Lilian Thuram, dernier relayeur de cette journée de la flamme. Pour le champion du monde 1998, infatigable militant de l’antiracisme, la présence d’Oumar Diémé est chargée en symboles. « Il faut protéger notre histoire pour apprendre à mieux se connaître et pour pouvoir plus se respecter », résume-t-il. « Lorsque vous connaissez votre histoire et que vous êtes en phase avec elle, vous êtes plus serein », ajoute l’ex-défenseur de l’équipe de France.
Lilian Thuram se montre presque un peu jaloux de l’ancien tirailleur sénégalais, qui lui a quasiment volé la vedette ! « Il est entré sur la piste en train de courir, c’était incroyable ! Je lui ai demandé comme il faisait pour être en forme comme ça », s’amuse-t-il dans un grand éclat de rire.
Ces images d’Oumar Diémé ont déjà fait le tour des réseaux sociaux et sont bien entendu arrivées jusqu’au Sénégal. Le porteur de la flamme n’a désormais plus qu’une hâte : rentrer au pays pour raconter son exploit. « Ils sont tous contents à Dakar, je vais partager cela avec eux », conclut-il dans un dernier sourire.