Par pouvoirs n°018/2022/BVG du 23 mai 2022 et en vertu des dispositions des articles 2 et 17 de la loi n°2021-069 du 23 décembre 2021 l’instituant, le Vérificateur général a initié la mission de vérification financière de la gestion de l’Autorité routière, au titre des exercices 2017, 2018, 2019, 2020 et 2021. Elle fait suite à la saisine du Premier ministre suivant sa Lettre confidentielle n°0899/PM-CAB du 11 novembre 2021. A l’issue de la mission, les Vérificateurs ont décelé 1 735 968 854 F CFA d’irrégularités financières.
Selon le rapport de vérification, le Mali, pays continental, s’étend sur une superficie de 1 241 238 km2. Il partage ses frontières avec sept autres pays et dispose d’un réseau routier classé de 89 024 km dont 44 routes nationales d’une longueur totale de 14 102 km. L’approvisionnement régulier et à moindre coût de sa population en biens et services est fortement tributaire du niveau d’entretien de son réseau routier.
Le désenclavement intérieur, notamment l’accès des zones rurales (zones de production) aux zones urbaines (zones de consommation) est une préoccupation majeure des plus hautes autorités du pays. Il en est de même pour le désenclavement extérieur à travers les principaux corridors pour la promotion du commerce transfrontalier.
Maintien du trafic, une préoccupation constante
Le maintien du trafic a toujours constitué une préoccupation constante pour les autorités du pays. Les modalités de financement, l’insuffisance des ressources allouées et leur gestion ont toujours été des contraintes à l’entretien routier. Afin de corriger les insuffisances susmentionnées, l’Etat du Mali a entrepris des réformes institutionnelles dans le domaine de l’équipement et des transports à travers la création de nouvelles structures dont l’Autorité routière (AR) qui procède de la mise en place d’un mécanisme de financement pérenne et suffisant de l’entretien routier.
Des ressources substantielles, constituées principalement de redevances d’usage routier ont été instituées et mobilisées par l’AR. Durant la période sous revue, 2017 à 2021, l’AR a bénéficié de ressources importantes de l’ordre de 253 995 820 546 F CFA de recettes, soit une moyenne annuelle de 50 799 164 109 F CFA. Les dépenses effectuées pour la même période s’élèvent à la somme de 158 575 525 787 F CFA, soit une moyenne annuelle de 10 159 832 822 F CFA.
L’utilisation des ressources de l’AR dans les travaux d’entretien routier s’effectue à travers des conventions signées avec le maître d’ouvrage (ministre chargé des Routes), et les travaux sont exécutés à l’entreprise par délégation de maîtrise d’ouvrage à l’Agence d’exécution des travaux d’entretien routier (Ageroute).
L’importance et la diversité de ces ressources financières ainsi que la multiplicité des intervenants dans leur collecte et leur utilisation sont des sources de risques de gestion potentiels suffisants nécessitant une attention particulière des Autorités compétentes avec la mise en œuvre d’un suivi régulier de la gestion de I’AR.
De plus, le Bureau du Vérificateur général a effectué en 2015, une mission de vérification financière des opérations de recettes et de dépenses de l’AR sur la période de 2009 à 2013. Cette mission a révélé beaucoup d’irrégularités administratives et financières et a formulé des recommandations pour corriger ces lacunes administratives. Au regard de ce qui précède, le Vérificateur Général a initié la mission de vérification financière de l’AR.
Plusieurs irrégularités administratives constatées
Les Vérificateurs ont mentionné que les constatations et recommandations issues de la vérification sont relatives aux irrégularités administratives et financières.
Quant aux irrégularités administratives, elles relèvent de dysfonctionnements du contrôle interne notamment le ministère chargé des Finances a autorisé la mise en dépôt de fonds en violation de la réglementation en vigueur ; le ministère chargé des Transports n’applique pas les dispositions communautaires relatives aux normes et aux procédures du contrôle du gabarit, du poids, de la charge à l’essieu des véhicules lourds de transport de marchandises ; la direction nationale du Trésor et de la comptabilité publique n’a pas reversé à l’Autorité routière des recettes de pénalité de surcharge ; la préfecture de Yanfolila n’a pas veillé à la fonctionnalité du comité de gestion et du droit de traversée du bac ; l’Autorité routière ne dispose pas d’un manuel de procédures administratives et financières validé ; l’Autorité routière ne dispose pas de règlement intérieur approuvé ; l’Autorité routière ne dispose pas d’un comptable principal des matières ; l’Autorité routière dispose des comptes bancaires sans aucune autorisation d’ouverture du ministre chargé des Finances ; la direction générale de l’Autorité routière n’a pas requis l’approbation préalable de la tutelle lors de la signature de certaines conventions de maîtrise d’ouvrage déléguée ; la direction générale de l’Autorité routière n’a pas institué la régie d’avances ; l’agence comptable de l’Autorité routière n’a pas codifié le matériel ; la direction générale de l’Autorité routière ne s’assure pas du respect des procédures de sortie des matières ; l’agence comptable ne procède pas à la certification des souches des carnets des tickets utilisés ; l’Autorité routière ne procède pas au renseignement et au bon archivage des souches des carnets des tickets ; la commission d’ouverture des plis et d’évaluation des offres ne respecte pas les règles de mise en concurrence ; la direction générale de l’Autorité routière a passé des marchés ne relevant pas de sa mission ; les directions générales de l’Ageroute et l’Agetipe ne procèdent pas à la clôture des conventions de maîtrise d’ouvrage déléguée.
Plusieurs recommandations formulées
Au chapitre des recommandations, il a été recommandé au ministre chargé des Finances de respecter la mise en dépôt des fonds conformément aux dispositions législatives et à celui chargé des Transports d’appliquer les dispositions communautaires sur les pénalités de surcharge.
Quant au directeur national du Trésor et de la comptabilité publique, la mission lui a recommandé de reverser à l’AR des recettes de pénalité de surcharge ; au préfet du cercle de Yanfolila de veiller à la fonctionnalité du comité de gestion et du droit de traversée du bac ; à la directrice générale de l’Autorité routière de mettre à jour et faire valider le manuel de procédures administratives et financières, d’élaborer et faire approuver un règlement intérieur, de veiller à la nomination d’un comptable principal des matières, de respecter les dispositions relatives à l’ouverture des comptes bancaires, de requérir l’approbation préalable de la tutelle lors de la signature des conventions de maîtrise d’ouvrage déléguée, de veiller à l’institution d’une régie d’avances, de respecter les procédures de sortie des matières, de veiller au renseignement et au bon archivage des souches des carnets des tickets, de respecter les limites de ses prérogatives en matière de passation des marchés publics.
En ce qui concerne l’agent comptable, il lui a été recommandé de codifier et immatriculer l’ensemble des matériels de l’Autorité routière, de certifier les souches des carnets des tickets utilisés. Il a été demandé à la commission d’ouverture des plis et d’évaluation des offres de respecter les règles de mise en concurrence et aux directeurs de l’Ageroute et de l’Agetipe de respecter les clauses relatives à la clôture des conventions de maîtrise d’ouvrage déléguée.
S’agissant des irrégularités financières, le montant total de celles-ci s’élève à 1 735 968 854 F CFA. Elles sont relatives entre autres au paiement indu du carburant aux membres du conseil d’administration sur instruction du directeur général de l’Autorité routière ; au paiement des indemnités indues au délégué du Contrôle financier ; à la non comptabilisation des recettes des postes de péage ; au non recouvrement de la totalité des recettes issues des pénalités de surcharge ; au non reversement à l’Autorité routière le reliquat après la clôture du programme du 11e Fed ; aux paiements des marchés non exécutés totalement ; à la non retenue des pénalités de retard sur le marché d’entretien des bacs ; au non reversement de la totalité des recettes issues de la délivrance des cartes de riverains ; non acquittement des Redevances d’usage routier sur les produits pétroliers (RURPP) sur les importateurs de produits pétroliers ; au paiement des dépenses inéligibles sur le Fonds d’entretien routier ; au paiement d’indemnités indues à des agents dans le cadre de la gestion des travaux de l’Himo.
Les faits dénoncés transmis aux juridictions compétentes
Les faits ainsi dénoncés ont été transmis au président de la Section des comptes de la Cour suprême et au procureur de la République près le Tribunal de grande instance de la commune III du district chargé du Pôle économique et financier. Ils sont relatif : au paiement indu du carburant aux membres du conseil d’administration pour un montant de 24 634 900 F CFA ; au paiement d’indemnités indues au délégué du Contrôle financier auprès de l’Autorité routière pour un montant de 10 650 000 F CFA ; à la non-comptabilisation des recettes des postes de péage pour un montant de 37 391 900 F CFA ; au non-recouvrement des recettes issues des pénalités de surcharge pour un montant de 151 372 620 F CFA ; au non-reversement par l’Ageroute à l’Autorité routière du reliquat après la clôture du programme 11e Fed pour un montant de 288 465 618 F CFA ; au paiement des travaux non exécutés et fournitures non livrées pour un montant de 120 865 680 F CFA ; à la non-retenue des pénalités de retard sur le marché d’entretien des bacs pour un montant de 14 956 725 F CFA ; au non-reversement des recettes issues de la délivrance des cartes de riverains pour un montant de 1 123 000 F CFA ; au paiement des dépenses inéligibles sur le fonds d’entretien routier pour un montant de 18 957 186 F CFA ; au paiement d’indemnités indues à des agents dans le cadre de la gestion des travaux de l’Himo pour un montant de 104 000 000 F CFA. Le fait relatif au non-acquittement de la totalité des Redevances d’usage routier sur les produits pétroliers par des importateurs pour un montant de 963 551 225 F CFA a été transmis au directeur général de la douane.
En conclusion, le Bureau du Vérificateur général a mené la vérification financière de la gestion de l’AR au titre des exercices 2017, 2018, 2019, 2020 et 2021. A l’issue des travaux, il a été mis en lumière plusieurs constatations portant, d’une part, sur les faiblesses de contrôle interne et, d’autre part, sur des irrégularités financières.
Aussi, il ressort que l’AR ne dispose pas d’outils indispensables en matière de gouvernance administrative financière et comptable notamment, un manuel de procédures administratives et financières validé et un règlement intérieur. En vue de corriger les insuffisances constatées, l’équipe de vérification a formulé plusieurs recommandations dont la mise en œuvre permettra d’améliorer le dispositif de contrôle interne de l’Autorité routière pour une meilleure atteinte de ses objectifs.
Tous les postes de péage et pesage ne sont pas automatisés
Les irrégularités financières importantes relevées ont trait à la gestion des redevances d’usage routier sur les produits pétroliers, les redevances d’usage routier sur le péage, les pénalités de surcharge, des conventions de maîtrise d’ouvrage déléguée et de financement. De plus, la mission a révélé des difficultés d’application du Règlement n°14/2005/CM/Uémoa relatif à l’harmonisation des normes et des procédures du contrôle du gabarit, du poids, et de la charge à l’essieu des véhicules lourds de transport de marchandises dans les Etats membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uémoa).
Cette situation a engendré l’adoption des mesures administratives dérogatoires affectant l’application des pénalités prévues par la disposition communautaire susvisée. La suspension de l’application des textes sur les pénalités de surcharge par l’Autorité de tutelle affecte la capacité financière de l’AR et favorise la dégradation des routes.
Enfin, l’équipe de vérification a observé que tous les postes de péage et pesage ne sont pas automatisés. L’automatisation desdits postes permet de maîtriser l’exhaustivité des recettes et réduire les risques de gestion des redevances.
Boubacar Païtao avec le BVG