Des militaires putschistes ont annoncé ce 30 août 2023 avoir mis « fin au régime en place » au Gabon et avoir placé en résidence surveillée le président Ali Bongo Ondimba, dont la réélection après 14 ans au pouvoir venait d’être annoncée. Florence Bernault, professeure et chercheuse au Centre d’histoire de Sciences Po, historienne et spécialiste de l’Afrique centrale, décrypte au micro de Nicolas Sur le contexte de ce coup d’État et le poids de l’armée dans le pays. Entretien.
RFI : L’armée gabonaise qui fait irruption dans le jeu politique et annonce prendre le pouvoir, est-ce une surprise, pour vous ?
Florence Bernault : Oui, je pense comme beaucoup d’observateurs du Gabon. J’y faisais de la recherche de février à mai 2023. Évidemment, tout le monde parlait des élections. Mais c’est vrai qu’on pensait à un scénario plutôt post-2016 : c’est-à-dire éventuellement des soulèvements populaires après l’élection qui était évidente d’Ali Bongo. Mais, on n’avait pas pensé à l’armée. Et l’armée, c’est un peu la grande muette. Donc, oui, on est assez surpris, les Gabonais peut-être aussi.
Jusqu’à présent, durant les précédents épisodes de tensions qu’avait pu connaître le Gabon – la crise post-électorale de 2016, mais aussi la tentative de coup d’État de 2019 – l’armée avait toujours permis au camp présidentiel de rétablir la situation. Pourquoi est-ce que cela semble avoir changé aujourd’hui ?
Quand on a entendu la nouvelle du coup d’État de l’armée ce matin, tout le monde se demandait si la garde républicaine en faisait partie. La garde républicaine, c’est vraiment le corps d’élite qui est très important. Il y a plusieurs centaines, voire milliers, d’hommes. C’est une garde qui a été créée en 1964 après un coup d’État, une tentative de coup d’État contre Léon Mba, à l’époque. Et il faut savoir que c’est vraiment un corps d’élite qui est voué à la protection de la présidence de la République. Si vous allez à Libreville, le camp de la garde républicaine est juste à côté du palais présidentiel. Et si vous examinez les comptes et le budget de la nation gabonaise, la garde républicaine a une énorme part du budget de la Défense. Elle a d’ailleurs un budget à part. Donc, il était clair que si c’était l’armée régulière qui faisait le putsch, il y aurait peut-être eu des affrontements avec la garde républicaine. Or, là, il s’est confirmé avec la montée en force du général Brice Oligui Nguema que la garde républicaine fait partie du putsch. Et là, c’est une très mauvaise nouvelle pour le gouvernement Bongo. Car, effectivement, ils ont un pouvoir très important au Gabon.
Que sait-on jusqu’à présent des liens qui unissaient cette garde républicaine et la famille Bongo ? Jusqu’à présent, cette garde républicaine avait été, si on vous comprend bien, en quelque sorte le gardien du temple.
Oui. Absolument. En tout cas, la garde républicaine – pour l’armée, c’est plus difficile de le savoir – avait toujours été dirigée jusqu’à 2019 par un membre de la famille Bongo directe. Et finalement, le général Brice Oligui Nguema avait été nommé en 2020, je crois, à la tête de cette garde républicaine, un petit peu de manière exceptionnelle puisqu’il ne fait pas partie de la famille Bongo.
Il faut comprendre que l’armée est importante au Gabon et surtout Ali Bongo lui-même a été formé comme officier. Il y a un parallèle entre lui et Brice Oligui : ils ont été tous deux formés au Maroc. Oligui a été le nouveau général qui semble arriver un petit peu sous les projecteurs. Il a été chef de camp du père d’Ali Bongo, Omar Bongo. Et on sait que, quand Ali Bongo a été élu, il y a eu des conflits entre lui et le général Oligui. Donc, il a été nommé dans divers postes diplomatiques pendant un petit moment à partir de 2009. Puis, il a été rappelé au Gabon après l’AVC, l’accident vasculaire cérébral d’Ali Bongo en 2019. Et là, il était placé à ce poste de responsabilité. Voilà ce qu’on sait. Ceci dit, encore une fois, faute de bien connaître l’armée et ses diverses composantes, c’est difficile d’en savoir plus.
Même si la situation au Gabon est radicalement différente de celle du Niger, de la Guinée, du Mali ou du Burkina Faso, les militaires qui sont intervenus ce matin ont-ils été inspirés par la série de putschs qui secouent ces derniers mois l’Afrique de l’Ouest ?
En fait, c’est une grosse préoccupation des médias français de mettre ça en correspondance avec les putschs d’Afrique de l’Ouest. Je pense que ce n’est pas une erreur, mais cela nous empêche de voir les dynamiques et les forces qui sont à l’origine de ce putsch. C’est un contexte complètement différent et ce qu’il faut bien voir – et je pense qu’on n’en parle pas assez – c’est quand même le climat vraiment de dictature qui s’est instauré au moment des élections. Le gouvernement Bongo – il faut quand même le rappeler car cela a été très peu dit dans les médias français –, à partir du 26 août, a mis le pays complètement sous cloche. Il l’a pris comme otage : il n’y avait plus d’internet, il n’y avait plus de téléphone… Les frontières étaient fermées. Il y avait un couvre-feu. Donc, les Gabonais étaient complètement isolés, aux mains de ce gouvernement.
Donc, il faudra demander aux militaires s’ils avaient été inspirés par les putschs. Mais, on ne les attendait pas. D’un autre côté, ce qu’on attendait, c’est que l’espèce de terreur que faisait régner le gouvernement Bongo allait empêcher l’opposition de se manifester. C’était d’ailleurs le but. Donc, on pensait que les gens n’oseraient pas descendre dans la rue, etc. Donc, ce que vous voyez comme réjouissance aujourd’hui, c’est que finalement l’armée, qui est assez proche des Gabonais – c’est un petit pays, donc il y a beaucoup de gens qui ont dans leur famille des officiers, des soldats ordinaires – ça a été un peu une sorte de coup de tonnerre dans un ciel bleu, et peut-être l’acteur qu’on n’attendait pas mais qui délivre un peu les Gabonais de cette incroyable suffocation qui était vraiment arrivée à un extrême avec la manière dont se sont déroulées les élections. Il faut aussi rappeler que le résultat des élections a été donné en catimini à 4 heures du matin, cette nuit… On n’imagine pas un pays comme ça qui a des élections dans ces conditions.