Le nouvel homme fort du Gabon, le général Brice Oligui Nguema, sera intronisé lundi président d’un pouvoir de « transition » à la durée encore indéterminée mais l’opposition exhorte les putschistes à reconnaître plutôt la « victoire » de son candidat à la présidentielle.
Legénéral Oligui, à la tête des militaires qui ont renversé mercredi le président Ali Bongo Ondimba à peine proclamé réélu, a promis la « mise en place progressive des institutions de la transition » et le respect de tous les « engagements » du Gabon, « extérieurs et intérieurs ».
Mercredi, des officiers de la Garde républicaine (GR), garde prétorienne de la famille Bongo au pouvoir depuis 55 ans, proclamaient « la fin du régime », moins d’une heure après l’annonce de la réélection du chef de l’Etat à la présidentielle de samedi qu’ils estimaient truquée.
Placé en résidence surveillée par les militaires, Ali Bongo, 64 ans, avait été élu en 2009 à la mort de son père Omar Bongo Ondimba, qui dirigeait sans partage depuis plus de 41 ans ce pays très riche de son pétrole et pilier de la « Françafrique ».
Le coup d’Etat, perpétré sans effusion de sang apparente, a donné lieu à des scènes de liesse dans les quartiers populaires de Libreville, où de petites foules applaudissaient copieusement chaque véhicule de militaires ou policiers et hurlaient « Le Gabon est libéré! » ou « A bas les Bongo! »
« La fête de l’Indépendance, c’est plus le 17 août, maintenant c’est le 30 août », s’exclamait jeudi un homme dans un petit bar du quartier populaire Plein Ciel devant des clients tout acquis aux putschistes.
– « Respect des engagements » –
Les mutins ont maintenu le couvre-feu décrété samedi par le gouvernement déchu mais, jeudi, la vie avait repris son cours normal à Libreville, hormis d’interminables files d’attente devant les boulangeries, selon des journalistes de l’AFP.
Et dans le quartier huppé de Sablière, les deux voies d’accès à la résidence des Bongo étaient barrées par deux véhicules blindés de la GR et parcourues par ses « bérets verts » lourdement armés, le visage souvent couvert d’un masque noir
Les Gabonais vivent au rythme des communiqués des putschistes lus sur les antennes des deux chaînes de télévision – Gabon 24 et Gabon 1ère – les seuls canaux de communication du nouveau pouvoir.
Jeudi, ils ont annoncé que le général Oligui prêtera serment lundi 4 septembre devant la Cour constitutionnelle, dont ils ont annoncé le « rétablissement temporaire ».
Le nouvel homme fort a aussi demandé à « tous les responsables des services de l’Etat » d’assurer « la continuité du fonctionnement de tous les services publics ».
Et il a tenu « à rassurer l’ensemble des bailleurs de fonds (…) et les créanciers de l’Etat que toutes les dispositions seront prises afin de garantir le respect des engagements » du Gabon « aussi bien sur le plan extérieur qu’intérieur ».
– La « Patrie reconnaissante »
A l’annonce de leur putsch, les militaires avaient fustigé des élections truquées mais surtout « une gouvernance irresponsable et imprévisible ».
Le Gabon, pays parmi les plus riches d’Afrique par habitant notamment grâce à son pétrole, est gangrené depuis des décennies par une corruption endémique, surtout au sommet de l’Etat.
L’opposition est sortie jeudi de son silence, pour demander aux putschistes de reconnaître la « victoire » de leur candidat, Albert Ondo Ossa, à la présidentielle.
Après avoir remercié vivement, au nom de la « Patrie reconnaissante », l’armée de s’être « dressée contre un coup d’Etat électoral », le porte-parole de la plateforme d’opposition Mike Jocktane l’a invitée à reprendre la compilation des résultats qui « verra la victoire de M. Ondo Ossa dans les urnes officialisée ».
Ce dernier, interrogé par TV5 Monde, a qualifié les événements en cours de « révolution de palais », pointant du doigt la soeur d’Ali Bongo, Pascaline Bongo, comme étant potentiellement à la manoeuvre du coup d’Etat pour maintenir en place « le système Bongo ».
– « Deux sentiments » –
« Ce qui me rassurerait, c’est qu’on remette le pouvoir à Ondo Ossa qui a gagné le vote car les militaires ne peuvent pas diriger un pays, il faut que la transition se fasse rapidement », veut espérer Jasmine Assala Biyogo, 35 ans, propriétaire d’un petit bar du centre de Libreville. « On est contents et on a quelques craintes, c’est les deux sentiments », abonde Josée Anguiley, 36 ans, entre deux gorgées de bière
Fidèle à sa doctrine sur les changements de pouvoir anticonstitutionnels, l’Union africaine a suspendu jeudi le Gabon de ses rangs. Pour sa part, le chef de la diplomatie de l’UE Josep Borrell a souligné que le putsch militaire faisait suite à des élections « pleines d’irrégularités ».
Ali Bongo, principal héritier de l’immense fortune d’Omar, propriétaire de nombreuses résidences de luxe notamment en Grande-Bretagne et en France, a été jusqu’alors épargné, en tant que chef d’Etat, par la procédure judiciaire dite des « biens mal acquis » en France, dans laquelle neuf autres enfants du « patriarche » décédé en 2009 sont inculpés.
Pour l’heure, les putschistes semblent également lui faire grâce de ces accusations. Ils qualifient Ali Bongo de « Gabonais normal, » « mis à la retraite ». Mais ils ont arrêté, notamment pour « détournements massifs de deniers publics » et « falsification de la signature » du président, son fils Noureddin Bongo Valentin et six autres membres dits de la « jeune garde » au sein de la présidence.