Père de l’abolition de la peine de mort en France en 1981, l’ancien ministre socialiste de la Justice Robert Badinter est décédé dans la nuit de jeudi à vendredi, à l’âge de 95 ans.
Garde des Sceaux du président socialiste François Mitterrand (1981-1986), il porta la loi du 9 octobre 1981 qui abolit la peine de mort, dans une France alors majoritairement en faveur de ce châtiment suprême. Il s’investit par la suite, jusqu’à son « dernier souffle de vie », pour l’abolition universelle de la peine capitale.
L’annonce de la disparition de l’ancien avocat, qui avait aussi présidé le Conseil constitutionnel, confirmée à l’AFP par sa collaboratrice Aude Napoli, a aussitôt suscité une avalanche de réactions.
Le président Emmanuel Macron a salué sur X « une figure du siècle, une conscience républicaine, l’esprit français ».
« Il aura consacré chaque seconde de sa vie à se battre pour ce qui était juste, à se battre pour les libertés fondamentales. L’abolition de la peine de mort sera à jamais son legs pour la France », a de son côté écrit sur X le Premier ministre Gabriel Attal.
Le leader de La France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon, a pour sa part salué sa « force de conviction sans pareille », se souvenant d’un être « tout simplement lumineux ».
Robert Badinter était né à Paris le 30 mars 1928, dans une famille juive émigrée de Bessarabie (l’actuelle Moldavie). Son père, arrêté sous ses yeux en 1943 à Lyon, meurt en déportation dans le camp de concentration de Sobibor, en Pologne.
– « Avocat des assassins » –
Après des études de lettres et de droit et un diplôme de l’université Columbia, il devient avocat au barreau de Paris et mène parallèlement une carrière d’avocat d’affaires et d’enseignant universitaire.
Au début des années 50, il s’engage dans la défense des libertés en soutenant des « porteurs de valises », des militants français qui organisaient le transport de fonds en soutien aux indépendantistes algériens en guerre contre la France.
Cofondateur d’un prestigieux cabinet d’avocats, il défend des personnalités, des grands noms de la presse ou de l’entreprise et plaide occasionnellement aux assises.
Respecté aujourd’hui pour son humanisme au service du droit, Robert Badinter a cependant longtemps été un avocat détesté, à cause de son supposé laxisme à l’égard des criminels.
En 1977, il évite la peine capitale au meurtrier d’enfant Patrick Henry, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Le verdict est accueilli par de la fureur et de l’incompréhension. Après cela, cinq autres hommes échappent grâce à lui à l’échafaud.
Dans ces années-là, il arrive souvent à Robert Badinter de monter les marches des tribunaux sous les insultes et de recevoir des lettres de menace. « Pour l’opinion publique, j’étais l’avocat des assassins », reconnait-il.
– « Juste entre les justes » –
Le 3 juin 1983, des centaines de policiers manifestent sous les fenêtres de son bureau aux cris de « Badinter assassin! » et « Badinter à Moscou! ». Le patron de la police devra démissionner.
Divorcé d’une actrice épousée dans les années 1950, il était marié depuis 1966 à la philosophe Elisabeth Badinter, née Bleustein-Blanchet, avec qui il a eu trois enfants.
Après son départ du gouvernement, il a présidé pendant neuf ans le Conseil constitutionnel (1986-1995).
Sénateur socialiste de 1995 à 2011, il a la satisfaction de voir l’abolition de la peine de mort inscrite dans la Constitution en 2007.
Toujours très actif, il planche sur une réforme de l’ONU dans les années 2000 et sur la réforme du Code du travail pendant le mandat du président socialiste François Hollande.
Le président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, lui a rendu hommage en évoquant auprès de l’AFP « un juste entre les justes », qui a fait « progresser le droit et l’humanisme ».