À Dakar, les motos Jakarta font désormais partie du décor. À l’image des cars rapides, des Ndiaga Ndiaye, les motos sont de nouveaux moyens de transport. Certains opèrent de manière clandestine. Sans casque, ni assurance, ils se faufilent entre les files de voitures dans les embouteillages. Une mobilité à vive allure au péril de la vie. Reportage.
À l’arrêt des cars rapides de Ouakam, le trafic est dense : motards, taximen et véhicules particuliers rebattent les oreilles avec un concert de klaxons. « Il faut avancer, tu nous fais perdre du temps», peut-on attendre. Une pluie d’insultes s’abat sur un conducteur de Jakarta qui a grillé le feu et cogné un véhicule particulier qui avait la priorité. D’autres interpellent les passants à la recherche de clients.
Mais pourquoi les Dakarois préfèrent-ils soudainement les Jakarta et les Thiak Thiak au détriment des taxis et autres?
La ruée vers ces nouveaux moyens de transports a bien des explications et justifications : la cherté du transport et des embouteillages. Les dakarois pressés ont besoin de lever les contraintes de bouchons en embarquant à bord des Thiak Thiak et des Jakarta. Aux heures de pointes, la circulation est au point mort. Ils font alors appel aux conducteurs de Jakarta pour aller vite.
Mariama Bobo Barry, élève en classe de première au Lycée Galandou Diouf est une abonnée à ce moyen de transport. Tous les jours, elle est déposée au lycée et ramenée chez-elle par un conducteur de Thiak Thiak.
Résidente à Ouakam, la jeune fille a conclu un abonnement mensuel avec un conducteur de Jakarta pour se rendre à l’école. « Mon moyen de transport, c’est le Tiak Tiak. J’ai fait un abonnement mensuel parce que c’est moins cher et c’est rapide. Cela me permet de gagner du temps’’ soutient-elle.
Auparavant, elle empruntait les taxis et elle arrivait le plus souvent en retard à cause des embouteillages. Alors qu’avec les motos, elle dépense moins et se pointe à l’heure. C’est l’avantage comparatif qui a poussé la collégienne à jeter son dévolu sur les deux roues.
« Chaque jour, le Thiak Thiak vient me chercher pour me déposer à l’école et j’arrive toujours à l’heure. Je fais aussi recours au Thiak Thiak pour mes courses», confie la collégienne.
Mariama fait confiance à son conducteur pour la sécurité. Elle est rassurée par le comportement du Jakartaman. « Certains disent qu’ils ont peur des Jakartas parce que ce n’est pas un moyen de transport sécurisé. Mais cela dépend du comportement du conducteur. Par exemple, en optant le Jakarta comme moyen de transport, mes parents ont choisi un conducteur qui respecte les normes. Il conduit prudemment contrairement à beaucoup d’entre eux. Cela fait deux ans qu’il me transporte et je n’ai pas encore subi de choc. Que Dieu nous en épargne», convoque la lycéenne.
Comme, cette dernière, Maguette Dièye, une enseignante qui est également dans la vente en ligne sollicite les services des Thiak Thiak pour ses livraisons. « Pour nous qui faisons la vente en ligne, les Thiak Thiak sont une aubaine. Déjà, on nous appelle de partout pour des livraisons et à Dakar le déplacement n’est pas facile. Je suis véhiculée. Mais pour mes livraisons, je préfère appeler les conducteurs de Thiak Thiak parce que le temps ne me permet pas d’aller livrer et avec les embouteillages », justifie l’enseignante.
Maguette avoue que la vente en ligne serait beaucoup plus compliquée sans l’existence des tiak tiak. « Vous savez, Dakar est vaste. Aller retrouver chaque client dans son domicile pour une livraison, cela allait être beaucoup plus compliqué sans l’implication des Thiak Thiak», reconnaît-elle.
La célérité dans les livraisons, a, son côté anecdotique. Parfois, le colis n’est pas livré à son vrai destinataire. En tout, ce n’’est pas la gérante d’un restaurant, Madame Faye qui soutiendra le contraire.
«Je n’ai plus confiance en eux parce qu’ un jour, un client m’a appelé pour que je lui livre un repas au bureau. Dans la précipitation, je me suis retrouvé devant un conducteur de motos et je lui ai remis le bol. Quelques minutes après j’ai appelé pour voir s’il est arrivé et le client m’a dit qu’il n’a rien vu. Comme ça, il est parti avec le repas et j’avais oublié de prendre son numéro. Depuis, je me méfie d’eux car certains sont des voleurs qui en profitent », note la restauratrice.
Les cas de vol sont une mauvaise publicité pour ces Jakartamans. La confiance n’est pas toujours de mise entre les usagers et les conducteurs de ces motos.
« Quand, je les vois derrière moi, j’ai peur. Je ne me sens plus en sécurité. Mon cœur bat plus fort. Je me mets à tourner tout le temps et je reste vigilant parce que la plupart d’entre eux sont des voleurs et agresseurs », a accusé Abibatou Diallo, une étudiante à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar croisé à l’arrêt des cars rapides de Ouakam.
Abordant dans le même sens, elle se remémore des scènes de vol et d’agression qu’elle a vécues. « Ils m’ont volé des téléphones, des perruques à plusieurs reprises. Ils m’ont aussi agressée une fois. J’étais affectée au plan psychologique. Quand je vois une moto qui supporte deux personnes, automatiquement les images me reviennent en tête parce que ceux qui m’ont volée et agressée étaient à bord d’une moto et ils étaient armés de couteaux. Depuis je me méfie d’eux et je ne les emprunte pas même s’ils ne sont pas tous pareils», a partagé l’étudiante.
L’histoire de Momar Ndiaye qui a tourné le dos à l’école pour se lancer dans le milieu Tiak Tiak
La forte demande de services de ces moyens de transports a créé un nouveau créneau que des jeunes investissent. C’est un filon pour gagner sa vie et se tirer du chômage. Le revers : c’est un facteur d’abandon scolaire. Momar Ndiaye est un jeune homme âgé de 15 ans. Issu d’une famille qui peine à joindre les deux bouts, il a préféré tout simplement quitter les bancs pour devenir un conducteur de Thiak Thiak. Avec un chiffre d’affaires de 20.000 F CFA à 30. 0000 F CFA par jour, il s’en sort bien avec sa moto.
« Mes parents sont fatigués et je suis leur seul soutien. C’est pourquoi j’ai abandonné les études pour trouver un boulot qui paie. J’ai tenté plusieurs métiers qui n’ont pas marché. Mais avec ma moto, j’y trouve mon gagne-pain et je contribue aux dépenses quotidiennes à la maison. La demande est forte à Dakar et on s’en sort bien », affirme le jeune garçon.
Ce ne sont pas les critiques qui freineront Momar, tout comme ses camarades. Momar estime qu’ils ont leur place dans ce secteur de la vie active.
« On nous critique tout le temps. Mais il faut nous laisser travailler. Nous faisons partie de la société et nous contribuons au développement économique du pays. Nous exerçons ce métier avec beaucoup de fierté parce que nous gagnons notre vie. Grâce à ma moto, j’ai acheté un terrain et j’aide mes parents», a révélé Momar.
Il a saisi l’occasion pour déplorer l’absence d’accompagnement par l’Etat. « Notre secteur souffre d’un manque total de régularisation. Il y a trop de laisser-aller. C’est pourquoi, personne ne nous respecte. Nous sommes des soutiens de famille et nous méritons de la considération. Si les autorités veulent lutter contre le chômage, il faut qu’elles nous appuient parce que pas mal de jeunes s’activent dans ce secteur. Nous réclamons de l’accompagnement et de la formation pour garantir un avenir meilleur aux jeunes conducteurs de moto» ,suggère Momar.
Insécurité et indiscipline : Les deux maux
Des engins de la mort, qui tuent au même titre que l’ange de la mort. Les mototaxis, communément appelées «Jakarta» au Sénégal, ont fini de noircir le tableau déjà sombre de la circulation routière au pays de la Téranga. En dehors des cas de vols, l’insécurité est à bord de ces moyens de transport. En essayant souvent de se faufiler entre les files de voitures, les Jakartamen et leurs clients peuvent se retrouver dans le décor ou faire un choc avec des voitures. Une personne d’un troisième âge critique le manque d’imprudence des conducteurs de motos Jakarta.
« Ils commencent à envahir Dakar. On les croise un peu partout. Ce qui me fait mal, ils sortent de partout dans la circulation, tantôt à gauche, tantôt à droite. Personne n’est plus en sécurité car ils peuvent surgir de nulle part et foncer sur toi. La preuve, chaque jour on assiste à des chocs de motos sur la route. C’est très dangereux. Soit ils heurtent des voitures, soit ils heurtent des personnes», dixit le vieux qui a préféré se confier sous le couvert de l’anonymat. « Ils conduisent très mal et avec une indiscipline manifeste. L’État continue de fermer les yeux. Il faut que les autorités fixent des règles dans ce secteur », renchérit le vieux.
Quelles sont les pièces requises pour conduire une moto ?
Les conducteurs de motos ont toujours des problèmes avec les policiers. Beaucoup d’entre eux roulent sans respecter les conditions requises. Un expert interrogé par Seneweb partage les règles qui régissent l’utilisation des deux roues en milieu urbain.
Selon l’expert -formateur en transport logistique et sécurité routière, Ibrahima Ndongo, pour conduire une moto, il faut le permis A1 possible dès 15 ans si la moto égale ou inférieure à 125 cm3 de cylindrée.
Dans le cas où la moto a dépassé les 125 cm3 de cylindrée, il faut un permis A possible dès 16 ans et avoir un Certificat d’immatriculation et d’aptitude technique ( CIAT) , précisément une carte grise, une assurance en cours de validité, et un casque pour chaque passager.
500.000 motos en roue… libre au Sénégal
Plus de 500. 000 motos roulent à l’échelle nationale selon un expert en logistique qui s’est confié au journal Bés-Bi. Mais combien d’entre elles roulent à Dakar ?
À cette question, M. Ndongo donne sa langue au chat. Aucune statistique fiable et officielle n’est à sa disposition. C’est alors que nous avons décidé d’entrer en contact avec la Direction des Transports Terrestres. Nos tentatives de les joindre n’ont rien donné.
En tout état cause, au Sénégal, selon les dernières statistiques de la Nouvelle Prévention routière du Sénégal (NPRS) et de la Brigade nationale des sapeurs-pompiers, plus de cent personnes perdent la vie chaque année dans des accidents de la circulation impliquant des cyclomoteurs. On note aussi près de 7000 blessés.