Après Joe Biden qui a reçu avec fastes et honneurs le Premier ministre indien Narendra Modi à la Maison Blanche juin dernier, la France à son tour déroule le tapis rouge à Narendra Modi, qui est l’invité d’honneur d’Emmanuel Macron pour la fête nationale du 14 juillet. Au programme, défilé militaire sur les Champs-Élysées avec la participation d’un contingent militaire indien, dîner au Louvre, contrats dans la défense et resserrement des liens autour de la stratégie indopacifique.
RFI a interrogé le politiste indien le professeur Balveer Arora (1) sur le sens du rapprochement entre l’Inde et l’Occident, la dextérité ou le « double jeu » de la diplomatie indienne et la coopération croissante entre New Delhi et Paris.
RFI: Narendra Modi est courtisé de part et d’autre de l’Atlantique. Quel sens donner à tant d’égards dont le Premier ministre indien fait l’objet en Occident ?
Balveer Arora: Il me semble qu’à travers son Premier ministre, c’est l’Inde qui est courtisée. Alors, pourquoi l’Inde ? Ma réponse sera double : d’abord je voudrais attirer l’attention sur les relations économiques croissantes de New Delhi tant avec les États-Unis qu’avec la France. Avec cette dernière, les relations n’ont eu cesse de croître depuis la signature en 1998 d’un partenariat stratégique, dont nous célébrons cette année le 25e anniversaire. S’agissant des relations bilatérales entre l’Inde et les États-Unis, elles sont portées par la diaspora indienne, forte de quelque 4 à 5 millions de personnes et dont plusieurs occupent des positions de premier plan tant au sein de l’administration américaine que dans le secteur privé.
La deuxième explication de ces égards exceptionnels sera d’ordre géopolitique. De plus en plus, l’Inde est perçue en Occident comme un contrepoids face aux ambitions de puissance de la Chine, ce qui a accru l’attractivité de ce pays aux yeux de ses partenaires européens et américain. Notre monde est de nouveau partagé en deux camps, avec la Chine et la Russie d’un côté et l’Occident et ses alliés de l’autre. L’Inde est l’un des rares pays à faire fi de cette ligne de fracture, en étant membre à la fois de l’Organisation de Coopération de Shanghai, menée par la Chine, et du groupement des pays émergents, les BRICS, tout en faisant partie du Quad, l’alliance informelle anti-chinoise menée par les États-Unis.
Capable de discuter avec les deux camps, tout en gérant tant bien que mal ses relations difficiles avec son voisin chinois, l’Inde a su se rendre « incontournable », sans toutefois entrer dans des logiques d’alliance avec tel ou tel bloc. C’est cette position médiane, qu’on qualifiait hier de « non-alignée » et de « multi-alignée » aujourd’hui, qui fait qu’elle est courtisée par les États-Unis de Joe Biden et la France d’Emmanuel Macron.
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L’Inde est devenue « incontournable », dites-vous. Qu’est-ce que cela doit à la dextérité diplomatique dont se targue le régime au pouvoir à New Delhi ?
L’Inde s’est en effet imposée comme une interlocutrice majeure des grandes puissances planétaires. Mais selon moi cette montée en gamme de New Delhi a plus à voir avec les évolutions géopolitiques récentes qu’avec la dextérité diplomatique du gouvernement indien. N’oubliez pas qu’il n’y a pas si longtemps, Narendra Modi était persona non grata dans la plupart des capitales mondiales à cause de son implication dans les pogroms antimusulmans dans l’État du Gujarat en 2002, qui ont fait au bas mot 2 000 morts, dont la majorité était des musulmans. En tant que chef du gouvernement régional à l’époque et issu d’un mouvement de suprématiste hindou, Narendra Modi était suspecté d’être l’instigateur principal de ces violences antimusulmanes. Particulièrement sourcilleux sur la question des droits de l’homme, les États-Unis lui avaient alors refusé le visa. C’est seulement après son élection en 2014 que Modi a pu de nouveau voyager aux États-Unis.