Dans le cadre de la célébration du 3 mai, Tidiani Togola, Directeur exécutif de la Fondation Tiwindi, Modibo Fofana, Président de l’Association des professionnels de la presse en ligne (APPEL-Mali) et Me Cheick Oumar Konaré, avocat à la Cour jettent un regard sur l’exercice de la liberté de la presse au Mali.
Tidiani Togola, Directeur exécutif de la Fondation Tiwindi : «Une forte solidarité est nécessaire entre les pour leur sécurité… »
La situation actuelle est plutôt exceptionnelle. Les préoccupations sécuritaires semblent l’emporter sur les libertés individuelles, y compris celles de base comme la liberté d’expression et la liberté de la presse. Ce n’est pas sans conséquences : les professionnels du métier sont empêchés de travailler selon les règles de l’art, ce qui rend très difficiles l’équilibre dans le traitement de l’information et, donc, l’accès du public à une information fiable. Les journalistes ne pouvant pas s’exprimer librement, le citoyen se retrouve ainsi déconnecté de la réalité. Une autre conséquence néfaste est le manque de clarté de la situation globale, ce qui pourrait brouiller le radar des décideurs et les décisions pourraient être fortement biaisées.
Au niveau des textes de loi, le sentiment ressenti s’apparente à l’injustice, la perte de confiance en l’appareil judiciaire étant notable. Ce qui est très grave d’autant plus que cela entraîne de facto la perte de confiance en l’appareil institutionnel. Dans ces conditions, il s’avère très difficile de gouverner de manière sereine. Le remède à cela se trouve à plusieurs niveaux.
Le premier niveau est qu’il revient aux autorités de laisser la presse travailler de manière libre et transparente, mais surtout professionnelle. Et au système judiciaire d’arrêter de donner aux citoyens le sentiment qu’il y a une justice à deux vitesses. La perte de confiance du citoyen ne devrait pas s’accentuer davantage au risque d’instaurer un climat de méfiance voire de défiance à moyen et long termes.
Le deuxième niveau, c’est celui des praticiens des médias. Ils doivent avoir le courage de travailler de manière professionnelle et rigoureuse tout en informant les citoyens, malgré les risques qui se présentent. Cela nécessiterait aussi qu’il y ait une forte solidarité entre les hommes de média, notamment pour leur sécurité physique, morale et aussi économique.
Le troisième niveau, c’est celui des citoyens. Ils ne doivent pas se contenter d’une information qui ne serait pas fiable. Ils ont tout à fait le droit à la liberté d’expression dans le respect des textes et dans le respect de la cohésion sociale.
Maître Cheick Oumar Konaré, Avocat : «Le mieux pour les journalistes serait de ne pas publier leurs écrits sur les réseaux sociaux, afin d’être justiciables de la seule loi sur la presse»
Les journalises sont essentiellement cités selon une loi qui a été taillée sur mesure, à savoir la loi de 2000 sur la presse et les délits de presse. Mais, c’est avec l’avènement des réseaux sociaux et la publication des articles de presse sur les réseaux sociaux que la loi sur la cybercriminalité de 2019 a commencé à frapper les journalises. Cette loi est beaucoup plus sévère notamment parce qu’elle permet la détention préventive, alors que la loi sur la presse ne le permet pas. Tant que les articles d’un journal ne sont pas publiés sur les réseaux sociaux, la loi sur la cybercriminalité ne s’applique pas à lui. Par contre, si ses écrits se retrouvent sur les réseaux sociaux, il est non seulement justiciable de la loi sur la presse mais également de la loi sur la cybercriminalité. Puisque cette loi est beaucoup plus sévère et plus rapide à mettre en œuvre, les plaignants vont opter pour cette loi. J’avoue que ce n’est pas très favorable aux journalistes. Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’il y a un débordement de la presse sur les réseaux sociaux, ce qui fait que la loi sur la cybercriminalité s’applique chaque fois qu’il y a des débordements. Sinon aucun journaliste n’est poursuivi sur la base du Code pénal. Tous les journalistes sont poursuivis sur la base de la loi sur la presse et dernièrement sur la base de la loi sur la cybercriminalité.
D’ailleurs, les plus fréquentes infractions de presse ne sont pas prévues par le Code pénal. Par exemple l’injure publique, la diffamation, sont prévues plutôt par la loi sur la presse. Le code pénal ne prévoit que l’injure publique, qui n’est même pas un délit mais plutôt une contravention. Le mieux serait que les journalistes ne publient pas leurs écrits sur les réseaux sociaux, afin d’être justiciable uniquement de la loi sur la presse, mais cela leur est difficile.
Modibo Fofana, Président de l’APPEL-MALI : ‘’Dans un régime démocratique, la presse doit pouvoir jouer pleinement son rôle’’
Le journalisme au Mali est protégé par la Loi n° 046 en vigueur depuis juillet 2000 grâce à laquelle les professionnels des médias peuvent exercer leur métier sans crainte. Cela a entraîné une floraison des médias et des centaines de journalistes ont pu embrasser cette profession pour réaliser leur passion. Cependant, avec la promulgation de la loi portant répression de la cybercriminalité le 5 décembre 2019, l’exercice de la profession est devenu risqué. En effet, les contenus des journaux papier ou des émissions radio ou télévisées diffusés sur Internet ou sur les réseaux sociaux en cas de dérapage sont considérés comme des crimes dans le domaine de la cybercriminalité. Déjà, certains de nos confrères en ont fait les frais. Certaines dispositions de cette loi sont considérées comme liberticides, ce qui rend nécessaire sa révision.
Pour remédier à ces problèmes, il est urgent de mener un véritable plaidoyer pour modifier certaines dispositions de cette loi afin de protéger la liberté de la presse et la liberté d’expression. Cette démarche est réalisable car le Niger a réussi à modifier cette loi, pourquoi pas le Mali ? Dans un régime démocratique, la presse doit pouvoir jouer pleinement son rôle.
Propos recueillis par Ousmane Tangara