Au Gabon, la vérité du dicton « l’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt » a trouvé une illustration éclatante. En cette aube du 30 août, le pays s’est éveillé à une heure inhabituelle, révélant les résultats des élections générales du 26 août. Les urnes ont consacré Ali Bongo Ondimba en tant que vainqueur avec une écrasante majorité de 64,27% des voix, reléguant son principal rival, Albert Ondo Ossa, au second rang avec 30,77%. Juste au moment où l’on croyait que les feux de la victoire allaient embraser un nouveau mandat, voilà que le destin en avait décidé autrement.
Les bulles du champagne à peine dégustées pour célébrer le triomphe, Ali Bongo Ondimba et ses proches se sont retrouvés soudainement assommés, un coup de tonnerre fracassant leur euphorie. Une cohorte de militaires est montée sur la scène, laissant éclater la fin abrupte de cette fête. « Ce jour, le 30 août 2023, nous, gardiens de la paix réunis au sein du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI), portons la voix du peuple gabonais et en tant que gardiens des institutions, décrétons la fin du règne actuel pour préserver la paix », a tonné l’un d’entre eux d’une voix résolue sur les antennes de la télévision nationale. Dans un même élan, ces intrépides putschistes ont révoqué les élections et dissout les institutions de la République. Les premières salves de cette audacieuse junte, conduite par le général Brice Oligui Nguema, commandant en chef de la Garde républicaine (GR), ont clairement révélé les limites de crédibilité des organes étatiques gabonais, trop souvent perçus comme des appendices du régime Bongo qui s’étend sur des années.
Quant aux élections du 26 août, elles ont été une tragi-comédie du début à la fin. Huit jours avant le scrutin, un décret gouvernemental a introduit le concept d’un bulletin de vote unique pour les présidentielles, législatives et locales. Cette manœuvre, se targuant de « faciliter » le processus électoral tout en économisant temps et argent, n’était en fait qu’un tour de passe-passe destiné à favoriser le président sortant par sa complexité. En bref, l’électeur désirant voter pour un député dans sa circonscription devait également voter pour le candidat présidentiel du même parti, tout cela sur un seul et unique bulletin. Cette mécanique défavorisait ceux qui souhaitaient voter pour des candidats indépendants, car un vote pour un indépendant signifiait un vote en moins pour d’autres élections.
Malgré cela, l’opposition, qui jusqu’alors avançait en ordre dispersé, s’est rassemblée autour d’un candidat consensuel à seulement cinq jours du scrutin. Sous la bannière d’Alternance 2023, les figures de proue de l’opposition ont porté leur choix sur le professeur Albert Ondo Ossa, un indépendant. Même si ce choix a été annoncé tardivement et que nombre de Gabonais ne le connaissaient pas, cet ancien ministre de l’éducation nationale sous Omar Bongo a réussi à capter l’attention et le soutien de milliers de compatriotes. Sans présenter de programme détaillé, il est devenu le symbole du changement face au pouvoir établi. L’un de ses slogans résonnait ainsi : « 60 ans de Bongo, c’est trop! ». Car oui, l’enjeu véritable de cette élection était de mettre un terme à un régime qui avait gouverné pendant 55 ans, sans véritable partage du pouvoir, sans avancées notables malgré les richesses abondantes du Gabon. Manganèse, or, bois, pétrole, gaz… ce petit pays d’Afrique centrale, à peine peuplé de 2 millions d’âmes, n’avait pas réussi à capitaliser sur ses innombrables potentiels, laissant son taux de pauvreté passer de 33,4% en 2017 à 33,9% en 2022 et son taux de chômage grimper à 28,8% en 2021. À cela s’ajoutait un paysage d’infrastructures désolant, avec à peine 2000 km de routes praticables sur les 10 000 km que compte le réseau gabonais. Ce triste assemblage d’une gestion chaotique et clanique devait être sanctionné, et Ondo Ossa s’est présenté comme le candidat idéal pour unifier les voix des oubliés désireux de se faire entendre.
Les ingrédients étaient donc réunis pour préparer une copieuse défaite mais c’était sans compter la touche du chef. Tout comme en 2016, les résultats de cette élection ont subi des réajustements grossiers pour venir présenter, imposer une réalité utopique en faveur du régime en place. Mais à la différence d’il y a 7 ans, un facteur, autrefois, utilisé pour tenir les téméraires à carreau a changé de camp pour se ranger du còté du peuple : l’armée. Chose encore plus suprenante, ce coup de force est orchestré par la garde républicaine avec à sa tête le général Brice Oligui Nguema, soit dit en passant, un cousin du président renversé. Pourtant, dans le récit plus large des coups d’État en Afrique, la méfiance envers ces actions abruptes est plus que justifiée. Les exemples du Mali et de la Guinée témoignent de l’instabilité inhérente à ces bouleversements. Après avoir destitué des gouvernements en place, les militaires promettent régulièrement un retour au pouvoir civil, une restauration rapide de l’ordre constitutionnel et des élections transparentes. Cependant, ces promesses sont souvent éclipsées par des retards, des tergiversations et des prolongations non justifiées de la transition. La transition elle-même devient la nouvelle norme, et le pays se trouve pris au piège d’un cycle sans fin de reports et d’incertitudes.
Le Gabon ne peut se permettre de succomber à cette spirale descendante. Le rôle de l’armée en tant que gardienne temporaire de la stabilité doit être un moyen de rétablir le cap vers une gouvernance démocratique, et non une excuse pour s’accrocher au pouvoir. Les militaires ont une mission cruciale : poser les bases d’une refonte institutionnelle, libérer le potentiel de la société civile et permettre au peuple gabonais de choisir son propre destin. La réorganisation rapide d’élections libres et transparentes est impérative. Le retour à l’ordre constitutionnel est la clé pour garantir une transition efficace vers un gouvernement civil légitime. La voix du peuple doit être entendue sans délai, car chaque jour de transition non résolue offre des opportunités pour le chaos et l’ingérence extérieure.
L’histoire du Gabon, avec toutes ses complexités, appelle à une nouvelle ère. Les actions du général Brice Oligui Nguema et de la garde républicaine pourraient être un pivot vers la renaissance, mais ce potentiel doit être géré avec précaution. Le véritable pouvoir réside dans le service envers le peuple, sous la bannière du chef suprême des armées. L’armée doit démontrer sa discipline et son engagement envers le bien-être du Gabon en agissant comme une force de transition, pas comme une nouvelle mainmise.Le Gabon est à un carrefour crucial. L’histoire a offert une opportunité rare de remodeler le paysage politique, mais cette fenêtre de possibilité ne peut rester ouverte indéfiniment. La nation doit se dégager des ombres délétères des précédents coups d’État dans d’autres pays et forger une voie unique vers un avenir démocratique, où la voix du peuple guide les actions et où la stabilité découle de la confiance.