Pour la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), il n’est pas question que les militaires au pouvoir se présentent aux élections. Or, l’adoption d’une nouvelle Constitution rebat les cartes politiques au Mali. Ainsi, l’engagement de la Cedeao pour chasser les militaires du pouvoir est évident depuis la fuite d’une note des bureaux du président ivoirien, Alassane Dramane Ouattara. La présidence ivoirienne et les responsables de la Cedeao ont gardé le silence sur l’existence d’un document visant à demander le maintien des troupes ouest-africaines au Mali sous l’égide des Nations-unies.
Personne n’a démenti les informations divulguées par des lanceurs d’alerte sur ce qu’Alassane Ouattara et ses pairs de la Cedeao veulent faire pour se débarrasser d’Assimi Goïta qui vient d’obtenir le retrait sans condition des troupes de l’ONU.
En réalité, la Cedeao veut avoir la possibilité d’intervenir militairement contre les militaires en se basant sur l’appui de l’Otan. Au nom de la lutte contre le terrorisme, la Cedeao et ses bailleurs de fonds veulent avoir une force militaire au Mali en remplacement des casques bleus.
On comprend aisément que la Cedeao est en mission, surtout que le document fuité révèle son ambition de se mettre entre les forces armées maliennes et les rebelles de Kidal. Ces mouvements armés cherchent désespérément une présence militaire étrangère derrière laquelle ils pourraient se cacher pour ne pas être désarmés.
Le plan de la Cedeao est d’avoir plusieurs forces susceptibles de combattre les militaires à la faveur de troubles post-électoraux autour de la prochaine élection présidentielle. Mais le retrait des casques bleus rend difficile la réalisation de ce plan. Prenant en considération la lettre du gouvernement de transition du Mali adressée au Président du Conseil de sécurité et demandant le retrait sans délai de la Minusma, le Conseil de sécurité a décidé de mettre fin au mandat au titre de la résolution 2640 à compter du 30 juin 2023.
Le Conseil a également adopté la résolution 2690 demandant à la Mission de commencer immédiatement, à compter du 1er juillet 2023, la cessation de ses opérations, le transfert de ses tâches ainsi que la réduction et le retrait de son personnel avec l’objectif d’achever ce processus d’ici au 31 décembre 2023.
La Minusma travaille résolument au retrait ordonné et sécurisé de son personnel dans les délais impartis, conformément aux dispositions de la résolution 2690 (2023).
A cette fin, la Mission agit en étroite consultation avec les autorités maliennes et dans le cadre de l’Accord entre l’Organisation des Nations-unies et le gouvernement de la République du Mali relatif au statut de la Minusma. Dans ce contexte, tous les regards étaient tournés vers le sommet de la Cedeao du 9 juillet 2023 en Guinée Bissau. Si les sanctions revenaient contre le Mali, le Burkina et la Guinée, une rupture pourrait se produire.
Depuis l’évocation de ce projet par le Premier ministre Burkinabè à Bamako le 2 février dernier, aucune autorité du Mali et du Burkina Faso n’a voulu s’étendre sur le sujet. « Nous ne sommes pas sûr de réussir, mais nous envisageons une fédération entre nos deux pays », s’exprimait ainsi le Premier ministre burkinabè, Apollinaire Joachim Kyelem de Tambela, aux côtés de son homologue malien, Choguel Kokalla Maiga, à Bamako, lors d’une visite officielle le 2 février dernier. Sollicitées, les autorités des deux pays n’ont pas voulu revenir sur ce sujet.
Plusieurs experts ne semblent pas accorder du crédit à cette déclaration du chef du gouvernement de la transition burkinabè. Paul OumarouKoalaga, le directeur exécutif de l’Institut de stratégie et de relations internationales met cette déclaration dans le cadre d’une communication politique visant à mettre la pression sur la Cedeao afin de la contraindre à lever les sanctions qui pèsent sur ces pays.
Pour la Cedeao, on est face au non-respect, par les autorités de la Transition militaire du Mali, des engagements pour un retour à l’ordre constitutionnel dans les délais acceptés, et après plusieurs appels lancés au gouvernement qui sont restés sans suite.
La Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement de la Cedeao a pris, le 9 janvier 2022, des sanctions à l’encontre du Mali conformément aux dispositions légales et règlementaires de l’Institution.
La Commission de la Cedeao, à travers une note, clarifie les raisons qui fondent la prise desdites sanctions et rappelle à toutes fins utiles que la Cedeao demande seulement aux autorités de la Transition de permettre aux Maliens de choisir eux-mêmes leurs dirigeants à travers des élections démocratiques.
En effet, les différents sommets des Chefs d’Etat et de gouvernement de la Cedeao relatifs à ce sujet ont déplu aux militaires. La Cedeao a estimé que c’est un manque de volonté politique de la part des autorités de la Transition. Ce manque de volonté se traduit notamment par l’absence de progrès tangibles dans la préparation des élections, en dépit de la disponibilité manifestée par la Cedeao et l’ensemble des partenaires régionaux et internationaux à accompagner le Mali pour le retour à l’ordre constitutionnel normal.
La Cedeao accompagne le Mali dans un processus de sortie de crise depuis les événements socio-politiques consécutifs aux élections législatives d’avril 2020 suivies du coup d’État d’août 2020 ayant mis fin au régime du président Ibrahim Boubacar Kéita.
Par ailleurs, avant le coup d’Etat d’août 2020, lors de la crise socio-politique d’avril à juin 2020, Goodluck Ebele Jonathan, Médiateur de la Cedeao pour le Mali, a rencontré à plusieurs reprises tous les acteurs socio-politiques, les chefs religieux et la société civile, en vue d’apaiser les tensions et trouver une solution à cette crise.
Malheureusement, l’intransigeance de certains acteurs sociopolitiques qui estimaient que la seule solution à la crise était la démission du président Ibrahim Boubacar Kéita a exacerbé les tensions et abouti finalement à un coup d’Etat. Dès le coup d’Etat du 18 août 2020, des sanctions ont été imposées au Mali par la Cedeao, et des négociations engagées avec les autorités militaires pour un retour à l’ordre constitutionnel.
Ces négociations ont abouti, le 15 septembre 2020 à Accra, à un accord sur la mise en place d’une transition civile avec la nomination d’un président civil en la personne de Bah N’Daw, et des élections devant se tenir le 27 février 2022, soit une transition de 18 mois.
Ainsi, à partir de septembre 2020, le processus de transition s’est déroulé normalement. Le gouvernement du Président Bah N’Daw a fourni un chronogramme sur la base duquel il a initié les actions visant à préparer la tenue des élections à la date convenue du 27 février 2022. Un Comité de suivi local comprenant les représentations de la Cedeao, de l’Union africaine, des Nations-unies et des ambassadeurs du Ghana et du Nigeria a été mis en place à Bamako pour accompagner localement la transition.
Malheureusement, dès la survenue du nouveau coup d’Etat le 24 mai 2021, la dynamique et les objectifs des nouvelles autorités de la Transition militaire ont radicalement changé.Ils ne faisaient plus du respect du calendrier électoral une priorité, entraînant un ralentissement notoire de la mise en œuvre des activités devant aboutir aux élections pour une sortie de crise définitive.
Au mois d’août 2021, au regard de cette situation et face à un risque de dérapage du calendrier électoral, le Médiateur de la Cedeao pour le Mali s’est rendu à Bamako afin de discuter avec les autorités de la Transition militaire d’un nouveau chronogramme électoral pour l’organisation des élections.
Ce nouveau chronogramme initialement promis pour septembre 2021 n’a finalement pas été communiqué à la Cedeao que le 31 décembre 2021, après les Assises nationales de la refondation, avec une demande de prorogation de la transition de cinq ans. Notant que cette proposition est totalement contraire aux engagements et accords sur le sujet et en violation des dispositions légales et règlementaires, que l’approbation d’un tel chronogramme pourrait avoir des conséquences sur la stabilité du Mali et de la région et soucieux de trouver une solution concertée, la Cedeao a demandé à son Médiateur de retourner à Bamako le 5 janvier 2022 pour inviter les autorités à revoir ce chronogramme.
En retour, celles-ci ont proposé le 8 janvier 2022 d’étendre la transition militaire à 4 ans, après avoir déjà passé 18 mois au pouvoir. En proposant d’organiser les élections en décembre 2025, les autorités de la Transition ne respectent ni leurs engagements actés dans la Charte de la Transition, ni ceux conclus avec la Cedeao. Au surplus, cette proposition équivaut à une durée totale de la transition de cinq ans et demi, excèdant celle d’un mandat présidentiel constitutionnel normal au Mali et dans la sous-région.
A l’époque, les autorités militaires prétextent de la nécessité de mettre en œuvre des réformes pour justifier la prorogation de la Transition et se maintenir au pouvoir sans élections démocratiques. Les réformes sont nécessaires et indispensables dans tout pays pour progresser, qu’il soit en crise politique ou non. Leur mise en œuvre participe d’un processus continu et permanent, conduit par les gouvernements successifs, en vue de s’adapter aux nouvelles conditions de son environnement.
Mais pour la Cedeao, ces réformes ne peuvent donc pas être un préalable, voire une condition indispensable pour l’organisation des élections. En outre, certaines réformes doivent être engagées par des gouvernements légitimes.
Nouhoum DICKO