Une réunion des chefs d’état-major de la Cédéao prévue samedi 12 août à Accra au Ghana pour tenter de rétablir l’ordre constitutionnel au Niger a été repoussée sine die pour “des raisons techniques”. Alors que la zone sahélienne rencontre un coup d’État supplémentaire, l’organisation des États ouest-africains semble jouer sa légitimité.
« Il n’est plus temps pour nous d’envoyer des signaux d’alarme ». À la sortie du sommet de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) du 30 juillet, provoqué par le putsch au Niger, Bola Tinubu, à la tête de l’institution, sait que l’heure n’est plus à l’hésitation.
Depuis le 26 juillet, date à laquelle l’armée nigérienne menée par le général Adbourahmane Tchiani a renversé le président Mohamed Bazoum, l’objectif de la Cédéao est clair : rétablir l’ordre constitutionnel au Niger et s’assurer que le chef de l’État nigérien élu en 2021 ne court aucun danger.
« L’un de nous est retenu en otage par sa garde présidentielle. Quelle calamité. […] C’est une insulte pour chacun de nous. Nous devons agir fermement pour restaurer la démocratie », avait alors déclaré le chef d’État nigérian au lendemain du coup d’État au Niger.
Si une intervention militaire sur place était envisagée comme « la dernière option » par le bloc ouest-africain, c’est pourtant celle qui a été retenue. Jeudi 10 août, la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest ordonnait le déploiement d’une « force en attente » qui devrait intervenir « dans les plus brefs délais ».
La suite de l’opération devait être affinée ce samedi 12 août, au cours de la réunion des chefs d’état-major ouest-africains. Mais la réunion n’a jamais eu lieu, reportée officiellement en raison de « problèmes techniques ». L’intervention de la Cédéao au Niger est une option réelle. La Cédéao en a la capacité et elle en a l’expérience.
L’intervention militaire en suspens ?
Comment interpréter ce report alors que l’intervention semblait sur le point d’être lancée ? « Il y a eu de la précipitation de la part de la Cédéao », reconnaît Ladji Ouattara, responsable de l’Observatoire du Sahel chez Thinking Africa. Selon lui, l’institution « n’a pas pris la pleine mesure de la situation » tant au Niger qu’au Sahel. « On voit bien qu’il y a une modification du plan initial pour prendre en compte les annonces qui se sont succédé chaque jour », explique le chercheur.
Si la Cédéao a toujours affirmé privilégier la voie de la diplomatie, elle entendait explorer « des meilleures options » lors de cette réunion du 12 août avant d’activer sa « force en attente ». Si les capacités logistiques pour mener à bien cette intervention militaire au Niger sont connues, la Cédéao assure pour l’heure que cette décision serait prise uniquement « en dernier ressort ». À ce jour, le calendrier et les modalités de cette intervention ne sont pas connus.
« Toute intervention par des moyens militaires en ce moment aggraverait la situation et transformerait la région en un espace explosif », José Maria Neves, président du Cap-Vert.
D’autant plus que le projet ne fait pas l’unanimité au sein des pays membres de la Cédéao. Le Togo, la Sierra-Leone et le Liberia sont opposés à une intervention militaire au Niger. Le Cap-Vert est le dernier pays en date à avoir fait part de son opposition au projet, par la voix de son président José Maria Neves.
« Nous devons tous œuvrer pour le rétablissement de l’ordre constitutionnel au Niger, mais en aucun cas par une intervention militaire ou un conflit armé en ce moment, a-t-il déclaré vendredi 11 août. Nous devons mener des négociations intenses et, par la voie diplomatique, résoudre ces problèmes car toute intervention par des moyens militaires en ce moment aggraverait la situation et transformerait la région en un espace explosif ».
« Avant d’être une force d’intervention, la Cédéao est une force de dissuasion », soulève Arthur Banga, docteur en histoire des relations internationales à l’université Houphouët-Boigny à Abidjan en Côte d’Ivoire. Selon l’expert, le projet d’intervention militaire reste toutefois « une option réelle ». « La Cédéao en a la capacité et elle en a l’expérience », rappelle-t-il, indiquant qu’une force de maintien de la paix sous l’égide de la Cédéao a déjà mené des interventions en Sierra Leone au Liberia et en Gambie à la fin des années 1990.
En quoi consiste la force en attente de la Cédéao ?
Elle consiste en une force qui peut être mobilisée pour des raisons militaires ou sécuritaires. « La Force en attente de la Cédéao (FAC) constitue une des cinq composantes de la Force africaine en attente (FAA) », rappelle le ministère français des affaires étrangères.
Créée à la fin des années 1990, cette force, baptisée ECOMOG, est devenue « l’une des composantes de la force africaine en attente à l’échelle continentale ». En clair, chaque pays membre de la Cédéao peut prélever sur ses propres troupes un effectif qui sera alors mobilisé au sein de cette force. En cas de feu vert de la Cédéao, les chefs d’état-major de chaque pays s’organisent et mettent en place des effectifs en fonction des besoins. Les militaires issus des pays membres sont appelés « Casques blancs », ou « soldats de la Cédéao ».
La Cédéao peut aussi demander la caution de l’Union africaine ou un mandat de l’Onu avant de décider d’une intervention dans un pays africain, rappelle Arthur Banga. Depuis sa création, l’ECOMOG a été déployée au Liberia (ECOMOG 1990-1998; ECOMIL 2003), en Sierra Leone (ECOMOG II 1997-2000), en Guinée-Bissau (1998-1999) ainsi qu’en Côte d’Ivoire (ECOMICI 2003-2004).
“La junte reste impassible aux demandes de la Cédéao”
Jusqu’ici, le dialogue entre la Cédéao et les militaires nigériens semble cependant impossible. Quelques heures après l’annonce de la séquestration du président nigérien au sein du palais présidentiel par sa propre garde, la Cédéao appelait « les auteurs de cet acte à libérer immédiatement et sans condition le Président de la République démocratiquement élu ». Une demande qui est restée sans réponse. À ce jour, Mohamed Bazoum, son épouse et leur plus jeune fils sont toujours aux mains des militaires et ont un accès limité à leurs proches.
« La Cédéao a été incapable d’anticiper les coups d’État », Ladji Ouattara, directeur de l’Observatoire du Sahel
Malgré cette première exigence balayée par les putschistes, la Cédéao entend agir rapidement. Après avoir accordé un ultimatum d’une semaine aux militaires ayant pris le pouvoir à Niamey pour rétablir le président Mohamed Bazoum, l’option de l’intervention militaire a été mise sur la table. Là encore, le régime putschiste est resté de marbre face aux offres de négociations de la Cédéao. « La junte reste impassible aux demandes de la Cédéao », reconnait Arthur Banga.
Une crédibilité en question
Face à ce constat, que pèse la voix de l’institution sur le continent ? « Aujourd’hui, la Cédéao est en difficulté. Elle a été incapable d’anticiper les coups d’État », déplore Ladji Ouattara. « La crédibilité de la Cédéao est totalement en jeu ces jours-ci. Elle est totalement engagée. Est discuté sa capacité à mettre fin aux coups d’État sur le continent mais aussi à faire entendre ses opinions et ses options à ses pays membres », analyse de son côté Arthur Banga. Un échec de la Cédéao signifierait que les coups d’État sont un moyen d’accession au pouvoir en Afrique de l’Ouest.
Pressions économiques…
Si l’intervention militaire a été au cœur des discussions, de lourdes pénalités économiques ont été infligées rapidement après le coup d’État par la Cédéao au Niger. « Dès son premier sommet consacré à la question, des sanctions économiques parmi les plus dures et les plus sévères depuis ces dernières années ont été prises envers le Niger », rappelle ainsi Arthur Banga.
Ces sanctions ont eu des effets notables sur la population nigérienne peu de temps après leur entrée en vigueur. « Les sanctions ont déjà commencé à produire des effets. On le voit à Niamey. Il n’y a pas d’électricité et les prix de certains produits de base sont montés en flèche », a affirmé vendredi 4 août Kiari Liman-Tinguiri, ambassadeur à Washington du Niger. Selon lui, « le prix du riz qui a augmenté de 40% en 48 heures ».
Ces mesures punitives de la Cédéao avaient alors suscité la colère du régime putschiste à Niamey, empêchant la venue d’une délégation officielle de la Cédéao sur place, en début de semaine. « Le contexte actuel de colère et de révolte des populations suite aux sanctions imposées par la Cédéao ne permet pas d’accueillir ladite délégation dans la sérénité et la sécurité requises », indiquait une lettre du ministère nigérien des Affaires étrangères, adressée à la représentation de la Cédéao à Niamey.
« Aujourd’hui, la Cédéao est en difficulté à cause de ses choix impopulaires auprès de la population qui a une opinion défavorable de l’institution », explique encore Ladji Ouattara.
À défaut des militaires au pouvoir, la Cédéao a tenté de se faire entendre auprès des chefs religieux communautaires. Le 2 août, une délégation comptait le sultan du royaume de Sokoto, Muhammadu Sa’adu Abubakar, dans ses rangs. « L’un des chefs religieux et les plus respectés du Nigéria » qui a « de très bonnes relations dans l’extrême nord du pays » décrivait la revue Africa Intelligence. Il a par ailleurs été appuyé par l’ancien président du Nigéria, le général Abdulsalami Abubakar.
« Au Niger comme au Nigeria, on a conservé une relation très forte avec la tradition religieuse » Ladji Ouattara, directeur de l’Observatoire du Sahel
Samedi 12 août, c’était une autre délégation d’érudits musulmans qui se rendait à Niamey. Les chefs religieux de la délégation dirigée par le Sheikh Bala Lau, chef d’un mouvement islamique d’inspiration salafiste au Nigéria, ont été reçus par le Premier ministre fraîchement nommé, Ali Mahaman Lamine Zeine. Ils ont ensuite pu s’entretenir avec le chef du régime militaire, le général Abdourahamane Tiani.
« Au Niger comme au Nigéria, on a conservé une relation très forte avec la tradition religieuse. Le poids de la religion est vraiment très important. On sent par ailleurs que Bola Tinubu, le président du Nigéria, est clairement informé de la démarche de cette délégation », assure Ladji Ouattara. Une source proche de la délégation religieuse a bel et bien indiqué à l’AFP que cette « mission de médiation » avait été menée avec l’accord de l’intéressé.
Selon Ladji Ouattara, « la médiation entre les officiels religieux et les putschistes donne l’impression qu’on privilégie une approche plus traditionnelle et plus religieuse », s’opposant à une médiation extérieure, venant de l’Occident.
Quelques jours auparavant, le général Abdourahamane Tchiani et le général de brigade Moussa Salaou Barmou, nouveau chef d’état-major de l’armée, ont refusé de rencontrer Victoria Nuland, haute responsable de la diplomatie américaine.
Par Lauriane Nembrot