«Les sanctions, ça nous a rendus plus forts. On est prêts à labourer la terre avec nos mains s’il le faut pour ne plus dépendre de l’extérieur.» Barbiche grisonnante, sandales et tête haute sous son calot finement brodé, Ibrahim Abdoulaye n’est pas un militant souverainiste. Juste un commerçant nigérien piqué dans son orgueil. Son pays, parmi les plus pauvres du monde, a été lourdement sanctionné par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) quatre jours après le coup d’Etat du 26 juillet.
L’homme marne au pied du pont Kennedy de Niamey où des montagnes de courges ovales jaune-vert colorent la rive sud du fleuve Niger. Il représente l’association des vendeurs de ces «aliments très bons pour les carences en vitamines et pas chers», convoyés par pirogues motorisées. Et un mois et demi après la fermeture des frontières terrestres, son commerce n’est «pas du tout affecté par les sanctions». Sa vie personnelle non plus, prétend-il.
Des stocks de marchandises et d’aliments pas renouvelés
L’inflation ? «Je vis bien.» Les coupures cycliques de courant consécutives à la suspension de la fourniture d’électricité par la société nigériane qui délivrait jusque-là 70% de l’énergie distribuée au Niger ? «J’ai grandi dans un village sans électricité. On est pauvres, on est habitués. Ils n’ont qu’à couper pour cent ans s’ils veulent.» Quant à savoir s’il casse parfois l’embargo – il se susurre qu’une partie des courges débarquées viendraient du Nigeria – Ibrahim Abdoulaye croise les mains : «Ça, c’était avant, en cas de rupture, mais depuis des années, elles sont produites en abondance au Niger.»
A 6 kilomètres de là, au marché de gros de Djémadjé, les produits nigérians garnissent pourtant les stands. Tomates, piments, pommes de terre, choux, oignons. La circulation des cultures maraîchères se joue de la porosité des 1 500 km de frontière entre le Niger et son grand voisin du sud. Dans l’allée centrale de terre ramollie par la pluie, un camion stationne, surchargé de paniers de tomates rondes du Togo. Les allongées sont plus loin, en provenance du Bénin, comme les poivrons et les piments verts. Empilés sur des bâches, il y a aussi des ignames du Ghana. Autant de denrées qui ont traversé la portion du fleuve Niger frontalière avec le Bénin. Ce commerce informel, s’il concurrence le produit star emmailloté dans des sacs de 120 kg, le violet de Galmi (un oignon cultivé dans la basse vallée de la Tarka, croissant fertile dans le sud du Niger, et habituellement exporté en masse en Côte-d’Ivoire), est vital.