Le prédécesseur de Mohamed Bazoum est critiqué pour ne pas condamner avec fermeté le putsch mené par Abdourahamane Tiani. Certains le soupçonnent même d’avoir laissé faire le commandant en chef de la garde présidentielle qu’il avait nommé.
La proximité nouée tout au long d’un compagnonnage politique long de trente années était telle qu’il était coutume de dire à Niamey qu’on ne pouvait glisser une feuille de papier à cigarettes entre Mahamadou Issoufou et Mohamed Bazoum, le successeur du premier à la présidence du Niger. Depuis le coup d’Etat du 26 juillet, cette certitude vacille, que ce soit dans l’entourage des deux hommes ou dans les capitales voisines. L’ancien chef de l’Etat (2011-2021) Mahamadou Issoufou est, au mieux, critiqué pour ne pas condamner avec suffisamment d’ardeur le putsch mené par le commandant de sa garde présidentielle, qui avait été maintenu en fonction par son « ami de trente ans ». Au pire, on le soupçonne d’avoir, en connaissance de cause, laisser les militaires mener jusqu’au bout leur projet factieux.
Ce n’est que trois semaines après le coup d’Etat que Mahamadou Issoufou est, en effet, sorti de son silence. Il le fit le 17 août dans les colonnes de Jeune Afrique, média français spécialisé sur le continent. Il disait alors s’inscrire dans une démarche de médiation entre les militaires et le président retenu prisonnier avec sa femme et son fils dans sa résidence. Son objectif était « la libération du président Mohamed Bazoum et sa restauration dans ses fonctions ». Réagissant aux rumeurs l’accusant de manipuler les généraux, voire d’être le cerveau du putsch, l’ancien président nigérien avait dit se sentir « insulté, meurtri dans (s) on intelligence ». « Ceux qui propagent ce type de rumeurs sont ceux-là mêmes qui, dès le premier jour, ont cherché à nous diviser, [Mohamed] Bazoum et moi. Mais notre amitié a toujours été plus forte que cela », ajoutait-il.
Ceux qui assistèrent, en mars 2021 à Niamey, à la cérémonie de passation de pouvoir entre l’ancien et le nouveau président se souviennent de la chaleur de leur accolade, bien au-delà de ce que le protocole exige. Dans un environnement politique nigérien jalonné de trahisons, marqué au fer par les coups d’Etat militaire, les deux hommes ont – jusqu’à aujourd’hui – marché ensemble. Mahamadou Issoufou, né en 1952, progressant, privilège de l’âge, sur la voie du pouvoir un pas devant son cadet de huit ans. « C’est lui qui m’a initié au syndicalisme et à la politique », nous confiait Mohamed Bazoum peu après son élection.
Respect de la constitution
Les deux hommes se sont en effet construits dans le creuset de la lutte syndicale avant de jeter les bases, ensemble, en 1990, du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS-Tarayya). Ce parti sera le vecteur de la victoire de Mahamadou Issoufou à la présidentielle de 2011 puis de son second mandat en 2016, et enfin celui du succès, cinq ans plus tard, de Mohamed Bazoum. Dauphin du président sortant, il fut aussi adoubé par les caciques du PNDS-Terayya qui n’a jamais eu la réputation d’être « un parti godillot ». L’un et l’autre se flattaient d’avoir échappé à la logique politique communautariste qui ravage les pays du Sahel. Peu importaient les origines de Mohamed Bazoum issu de la tribu arabe des Ould Souleymane (ou Ouled Slimane) originaire du sud libyen, ultra-minoritaire dans un Niger dominé par les Haoussa et les Djerma.
Durant toutes les années de pouvoir d’Issoufou, les fonctions confiées à Mohamed Bazoum ont reflété la confiance existant entre les deux hommes. Que ce soit à la tête du PNDS-Tarayya ou, plus encore, dans tous les gouvernements constitués durant les deux mandats de Mahamadou Issoufou. Il y a détenu, successivement, le portefeuille des affaires étrangères, ministre d’Etat à la présidence puis ministre de l’intérieur. A ce poste, dès 2016, il organise, avec des succès indéniables, la lutte sur le sol nigérien des groupes armés islamistes radicaux.
Dans son entretien à Jeune Afrique, Mahamadou Issoufou, écartant toute connivence avec les putschistes pose la question : « Qu’aurais-je à gagner dans ce scénario ? Rien. Qu’aurais-je à perdre ? Tout. » Et notamment sa réputation de bon démocrate consacrée en 2020 par la remise du prix Mo Ibrahim pour la bonne gouvernance. Le président nigérien venait de quitter son siège présidentiel auréolé d’une vertu en voie de raréfaction en Afrique de l’Ouest : le respect de la constitution qui limite à deux le nombre de mandats sans tenter d’en faire écrire une nouvelle pour rester à son poste.
Au Niger, une élection présidentielle pour une transition pacifique inédite
Ceux qui perçoivent des ambiguïtés dans l’attitude de l’ancien président ne manquent pas d’arguments, certes, spéculatifs. Mohamed Bazoum avait en effet l’ambition de s’attaquer à la réforme de l’industrie pétrolière et des forces de défense et de sécurité. Deux secteurs primordiaux pour l’avenir du Niger auxquels Mahamadou Issoufou s’est inévitablement intéressé. Ce qui ne constitue pas pour autant une preuve à charge.
La filière du pétrole attise les convoitises
Concernant le pétrole, le président Bazoum avait entrepris de réorganiser ce secteur en plein développement, tiré par la montée en puissance de l’extraction des gisements d’Agadem (100 000 barils jour dans les prochains mois contre 20 000 il n’y a pas si longtemps) et l’entrée en fonction, prévue le 1er octobre, du pipeline acheminant l’or noir jusqu’au port béninois en eaux profondes de Sèmè-Kpodji. Le Niger, l’un des pays les plus pauvres de la planète, jusqu’alors simple consommateur de sa production, deviendra alors exportateur de pétrole. Les travaux réalisés par une filiale du groupe China National Petroleum Company (CNPC) représentent un investissement de quelque 4,5 milliards d’euros, selon l’observatoire français des nouvelles routes de la soie.
La filière, hautement rémunératrice attise d’autant plus de convoitises qu’elle profite d’une certaine opacité. Selon Benjamin Augé, chercheur à l’Institut français des relations internationales (IFRI), spécialiste de la géopolitique énergétique, certaines décisions du président Bazoum, destinées à introduire davantage de transparence dans la gestion de ce secteur, ont pu « énerver nombre de décideurs du pays ». L’un de ces « décideurs », au sein du réseau d’affaires tissé pendant la présidence d’Issoufou, n’est autre que son fils, Mahamane Sani Mahamadou, dit « Abba ».
Ministre du pétrole et de l’énergie depuis avril 2021, ce diplômé d’universités américaine et anglaise avait été dessaisi, un an plus tard, du portefeuille de l’énergie pour ne conserver que le pétrole dans son domaine d’attribution. Certains observateurs ont interprété cette décision comme une mise à l’écart décidée ou tout au moins avalisée par Mohamed Bazoum.
Un autre domaine suscitant les interrogations porte sur la proximité de Mahamadou Issoufou avec le chef de la junte, Abdourahamane Tiani, commandant en chef de la garde présidentielle qu’il avait nommé et que son successeur avait maintenu à son poste. Les raisons qui ont conduit ce général à mener son coup de force demeurent floues. Intérêts financiers personnels menacés ? Crainte d’une mise à l’écart ? Désaccord de fond sur la réforme programmée des forces de défense et de sécurité ?
Mais certains reprochent à Mahamadou Issoufou de ne pas avoir tout fait, aux premières heures du 26 juillet, pour convaincre le général de rentrer dans les rangs avant qu’il ne rallie d’autres officiers supérieurs et n’entérine son coup de force. Quelques heures après le putsch, lors d’une conversation téléphonique avec un président africain, « Mahamadou Issoufou a davantage présenté les arguments des putschistes qu’il n’a défendu son “frère » Bazoum », s’étonne une très bonne source diplomatique sahélienne. « Depuis, ce dernier ne le prend plus au téléphone », ajoute-t-elle. Le divorce semble consommé.