Depuis le 7 août 2023, la France ne délivre plus aucun nouveau visa aux ressortissants maliens, nigériens et burkinabé. Et aucune exception n’est faite aux artistes, aux étudiants ou à tous ceux du monde universitaire et scientifique qui avaient programmé un déplacement dans l’Hexagone. Et cela au prix de longues et coûteuses procédures. Pis, un courrier lacunaire émanant de la direction générale des affaires culturelles (DRAC) a demandé aux directions des organismes culturels subventionnés par l’Etat français de «suspendre, jusqu’à nouvel ordre» toute coopération avec les artistes des 3 pays. la revue «Africultures» a initié une pétition pour dénoncer cette décision politique discriminatoire.
Poursuivons la mobilisation ! C’est le leitmotiv de la revue «Africultures» pour booster la signature de sa pétition qui avait déjà recueilli 6 milles signatures le soir de son lancement seulement. Elle fait suite à un courrier des Directions générales des affaires culturelles (DRAC) datant du 11 septembre 2023 et qui a suscité en France l’indignation du monde de la culture. La Raison ? Cette correspondance exigeait de suspendre «jusqu’à nouvel ordre, toute coopération avec les pays suivants : Mali, Niger, Burkina Faso» ! Il est vrai que, face à la levée de boucliers contre toutes ces mesures discriminatoires, les différents services français impliqués dans cette situation se rejettent la responsabilité. Les ministères concernés puis le président de la République française ont rétropédalé et minimisé la portée de cette mesure sans pour autant l’annuler.
Fidèle à sa tradition d’engagement en faveur des arts et de la culture comme moyen d’expression plurielle, la revue «Africultures» a initié une pétition pour dénoncer cette décision politique discriminatoire. «Nous sommes abasourdis par cette décision discriminatoire teintée d’autoritarisme. Il est inconcevable que le gouvernement puisse rompre de cette manière avec la programmation de centaines d’établissements culturels. La vie des artistes ne peut pas être une variable d’ajustement des conflits diplomatiques de la France», ont déploré les initiateurs de la pétition.
En tant que média dédié à la connaissance et à la reconnaissance des expressions artistiques africaines et afro-diasporiques, la revue «Africultures» a tenu à protester contre cette décision politique en lançant cette pétition qui a aussitôt recueilli 6 000 signatures des professionnels du spectacle, d’auteurs, d’universitaires, de journalistes et d’artistes toutes disciplines et horizons confondus. «Nous y avons exprimé notre indignation et tenté d’expliquer pourquoi cette décision était injuste et néfaste pour les artistes que nous suivons depuis plus de 25 ans», a justifié la revue. «Cette indignation reste entière après les précisions du ministère de la Culture du 18 septembre lorsqu’on constate que la délivrance des visas aux artistes rendue impossible par la fermeture des services consulaires n’est pas rapportée sur d’autres ambassades comme cela se fait dans d’autres payent», a-t-elle déploré.
Sonner la mobilisation pour mettre fin à la violence liée à la «colonialité» de la France sur ses anciennes colonies
«…C’est un fait, et non un défaut de compréhension comme voudrait le faire croire le démenti de l’exécutif français : la France suspend toute coopération universitaire, scientifique et culturelle avec le Burkina Faso, le Mali et le Niger. Les arguments sécuritaires ne s’expliquent pas sur ce choix historique de rupture. Ces mesures de restriction ne viennent que s’ajouter à une situation déjà très complexe pour tous les professionnels de la culture et du monde universitaire qui souhaitent collaborer avec des homologues africains», a déploré «Africultures».
Face à cette tentative de fermeture des frontières et fidèle à ses valeurs, la revue a indiqué préférer «le dialogue et l’ouverture». Ce qui est conforme à son «Manifeste» dans laquelle elle indique croire «plus que jamais» à la mise en valeur de l’apport des créations culturelles et artistiques dans «la déconstruction des stéréotypes coloniaux qui nourrissent encore aujourd’hui les discriminations». Pour la revue, «l’enjeu est de contribuer à un monde où chacun doit être à égalité réelle de droits et de dignité, dans une appartenance commune à l’humanité».
Pour prendre les autorités françaises à contre-pied, Africultures cherche à «mutualiser les forces qui s’opposent à ces mesures de fermeture». Ainsi, a-t-elle rappelé, «suite à la publication de notre première tribune, nous avons reçu des centaines de témoignages de soutien et de remerciements. Nous mesurons à quel point nous sommes nombreux à juger ces décisions discriminatoires, comme étant profondément injustes et d’un autre temps. Elles s’inscrivent dans la longue liste des incompréhensions, mépris, contrôles, discriminations… Nous sommes nombreux à penser qu’il est temps que cesse la violence liée à la colonialité de la France sur ses anciennes colonies comme sur les corps racisés sur son territoire».
Pour les responsables de la revue, «arrêter la circulation des idées et des créations artistiques avec ces pays revient à agir en faveur de la tyrannie et de l’obscurantisme. C’est renoncer à respecter ses propres valeurs dans son rapport avec les peuples africains». Et de rappeler puis de s’interroger, «les relations entre la France et le continent africain se redessinent, nous le savons. Mais saurons-nous créer les conditions d’une confrontation pacifiée et constructive ? Saurons-nous tisser un dialogue positif, trouver des solutions originales ? Saurons-nous récréer des socles communs» ?
C’est dans ce sens que «Africultures» appelle à «poursuivre la mobilisation jusqu’au retrait de ces mesures». Le constat des uns et des autres est que, à travers cette «directive inédite», la diplomatie française envoie «un très mauvais message en réaction à l’hostilité et la défiance» affichées à son égard dans plusieurs pays d’Afrique francophone. «Cette politique de l’interdiction de la circulation des artistes et de leurs œuvres n’a jamais prévalu dans aucune autre crise internationale, des plus récentes avec la Russie, aux plus anciennes et durables, avec la Chine… Cette action va à l’encontre de la tradition d’accueil des artistes et intellectuels du monde entier dont peut se targuer la France», a dénoncé Le Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (SYNDEAC)
Sans compter que l’un des principes fondateurs des Nations unies, retranscrit dans la charte de l’Unesco, est que le dialogue des peuples prime sur le dialogue des Etats. En mettant ainsi fin à toute possibilité de dialogue entre les peuples du Burkina Faso, du Mali et du Niger, la France s’inscrit en porte-à-faux avec ce principe universel.
Il faut rappeler que «Africultures» est une revue consacrée aux arts et à la culture en provenance d’Afrique et de ses diasporas. Basée à Paris, elle a été fondée en novembre 1997 sous l’impulsion de journalistes et d’universitaires, parmi lesquels Gérald Arnaud, Olivier Barlet, Tanella Boni, Sylvie Chalaye, Fayçal Chehat, Soeuf Elbadawi, Boniface Mongo-Mboussa, Virginie Andriamirado, Christophe Cassiau-Haurie… La revue et les sites Internet générés par Africultures sont gérés par l’Association Africultures… Si les articles sont sous un copyright détenu par les auteurs (contrat interne), la documentation rassemblée dans la base de données est publiée sous licence libre !
Moussa Bolly