Le Rubicon de la rupture entre les pays de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) et la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest a-t-il été franchi le samedi 6 juillet à Niamey avec la naissance de la Confédération de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) ?
Il faut croire que oui, tout en restant prudent. Car en politique, en matière de relations d’Etat à Etat, rien n’est jamais figé. Nous vivons dans un monde volatile, incertain, complexe et ambigu (VICA), pour reprendre la célèbre formule d’idéologues du Pentagone, passée depuis lors dans la panoplie d’outils d’analyse en marketing commercial. Il ne faut donc pas dire que le bateau AES a levé l’ancre du port CEDEAO au gré des vagues de l’insécurité persistante dans la sous-région qui ont fini par perdre des « régimes démocratiquement élus ».
Cependant, la signature de l’acte de naissance de la Confédération AES, si elle n’est pas une fuite en avant dans la volonté de rupture du Burkina, du Mali et du Niger avec l’organisation régionale, y ressemble beaucoup. Du reste, quelques jours avant la création de cette confédération, les ministres des Affaires étrangères des 3 pays, en opération de charme de l’Union européenne, avaient répété devant leurs interlocuteurs de Bruxelles que leur décision de quitter la CEDEAO était sans appel. Les présidents Abdouramane Tiani, Assimi Goïta et Ibrahim Traoré auraient voulu confirmer les déclarations de leurs missi dominici qu’ils ne s’y seraient pas pris autrement, eux qui ont choisi la veille du 65e sommet ordinaire de la CEDEAO pour porter sur les fonts baptismaux la Confédération AES. Ils ont comme coupé l’herbe sous les pieds de leurs homologues de la communauté ouest-africaine dont la réunion d’hier à Abuja devait discuter, entre autres, de cette importante question pendante de rupture de ban des désormais Etats confédérés du Sahel
L’Autorité des chefs d’Etat de la CEDEAO se retrouve sans autorité devant la ferme volonté des présidents du Burkina, du Mali et du Niger. Après les refus donnés aux différentes délégations et aux invitations de la CEDEAO de prendre part à des réunions et aux sessions du Parlement communautaire, c’est un coup tranchant sur la corde des amarres donné par les confédérés afin de prendre le large. Convoqués devant le tribunal de l’histoire, les présidents Tinibu Bola, Alassane Ouattara, Patrice Talon, etc., auront du mal à s’absoudre des fautes politiques stratégiques que l’AES voudrait leur coller à la conscience. En effet, le communiqué final du sommet de Niamey est sans équivoque. Il rappelle, parlant du contexte géopolitique de la sous-région, «la lourde responsabilité de la CEDEAO dans l’effritement des valeurs de fraternité, de solidarité et de coopération entre les Etats et les peuples concernés ». Le communiqué final de ce 1er sommet de la Confédération AES rappelle également, non sans un brin d’amertume, « l’impact néfaste des sanctions illégales, illégitimes, inhumaines et des menaces d’agression contre un Etat souverain ».
On l’aura compris, Bamako, Niamey et Ouagadougou en ont gros sur le cœur de n’avoir pas été compris dans les impératifs de lutte contre la déstabilisation des « obscurantistes instrumentalisés et téléguidés » qui ont conduit à la survenue des pronunciamientos pour sauver leurs pays d’un péril existentiel réel. D’incompréhensions à sanctions drastiques, l’AES est née le 24 janvier. En 6 mois, l’Alliance se prévaut de résultats probants, particulièrement sur le plan sécuritaire où sa force conjointe est allée plusieurs fois au contact de l’ennemi avec succès, selon le résultat du sommet de Niamey qui s’en félicite, félicite les FDS, encourage les populations à la résilience et s’incline sur la mémoire des nombreuses victimes.
L’appétit vient en mangeant et l’Alliance se renforce en Confédération pour s’attaquer à d’autres questions cruciales de développement : l’agriculture et la sécurité alimentaire ; l’eau et l’environnement ; l’énergie et les mines ; les échanges commerciaux et la transformation industrielle ; les infrastructures et les transports ; la communication et les télécommunications ; la libre circulation des personnes et des biens ; l’économie numérique, etc.
Aux analystes pessimistes qui voient les 3 mousquetaires lâchant la proie d’une CEDEAO charnue pour les illusions ombrageuses de la Confédération AES, le président Adouramane Tiani, l’hôte du sommet, se fait fort de répondre qu’ils ne quittent pas l’organisation régionale sur un coup de tête. Cette volonté affichée dans les conclusions de cette première rencontre au sommet des alliés d’embrasser tous les domaines névralgiques du développement, au point de marcher dans les plates-bandes de la CEDEAO, est une indication de ce que la carte et l’agenda du processus d’intégration sont en train d’être redessinés. En mieux ou en pire pour les 70 millions d’âmes environ qui vivent au Burkina, au Mali et au Niger ?
Il y a assurément des inquiétudes dans certains milieux, car l’inconnu fait toujours peur. Les promesses d’une meilleure intégration des 3 pays restent incertaines, comparativement aux acquis des voyages sans visas dans l’espace CEDEAO, de l’harmonisation des droits des affaires, des projets communautaires en cours d’exécution, les emplois de près de 130 personnes travaillant dans différentes projets et institutions de la CEDEAO, etc. De quoi être circonspects pour ceux qui accusent les gouvernements burkinabè, malien et nigérien de jeter l’eau du bain des insuffisances de l’organisation régionale avec le bébé d’un processus d’intégration le plus avancé sur le continent. Pire, la naissance de la Confédération est quelque peu précipitée, selon ses contempteurs, qui expliquent que le Burkina, par exemple, n’a pas respecté les dispositions de l’article 147 de sa loi fondamentale qui stipule que « les accords consacrant l’entrée du Burkina dans une confédération, une fédération ou une union d’Etats africains sont soumis à l’approbation du peuple par référendum ».
Il est à parier que les Constitutions du Mali et du Niger comportent peu ou prou les mêmes dispositions qui n’ont pas non plus été respectées. Il est vrai que pour aller vite, les urgences des affaires de l’Etat peuvent amener à faire fi du juridisme rigide. Mais qui veut aller loin ménage sa monture. Les dirigeants de la Confédération AES sont donc attendus au pied du retour à une paix consolidée dans leurs pays. Cette urgence levée, ils devront revenir aux peuples souverains du Burkina, du Mali et du Niger pour avaliser la nouvelle carte de l’intégration régionale qui se redessine sous nos yeux.
La rédaction