Les oppositions ont vivement dénoncé dimanche les propos du président Emmanuel Macron, prêt à ouvrir un débat sur une défense européenne qui, outre les armes de longue portée et antimissiles, pourrait comprendre les armes nucléaires.
“Un chef de l’État français ne devrait pas dire ça”, s’est emporté François-Xavier Bellamy, tête de liste Les Républicains (LR) aux élections européennes du 9 juin. “Cette expression est d’une gravité exceptionnelle, parce que là, nous touchons au nerf même de la souveraineté française”, a-t-il dit au “Grand Rendez-Vous Europe1/CNews/Les Echos”, tandis que le Rassemblement national (RN) et, à gauche, la France insoumise (LFI) ont multiplié également les critiques.
Dans un entretien accordé vendredi à de jeunes Européens et publié samedi par les journaux régionaux du groupe Ebra (Est-Bourgogne-Rhône-Alpes), M. Macron est revenu sur ce thème récurrent et extrêmement sensible de la sécurité européenne.
“Je suis pour ouvrir ce débat qui doit donc inclure la défense antimissile, les tirs d’armes de longue portée, l’arme nucléaire pour ceux qui l’ont ou qui disposent sur leur sol de l’arme nucléaire américaine. Mettons tout sur la table et regardons ce qui nous protège véritablement de manière crédible”, a-t-il déclaré, ajoutant que la France garderait “sa spécificité, mais est prête à contribuer davantage à la défense du sol européen”.
Depuis le Brexit et la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, la France est le seul de ses États membres à disposer de la dissuasion nucléaire. Le dialogue sur les questions de sécurité se poursuit cependant avec Londres, notamment au sein de la Communauté politique européenne (CPE), un forum nouvellement créé à l’initiative du président français.
Lors d’un discours sur l’Europe, jeudi, à la Sorbonne, M. Macron avait plaidé pour une “Europe puissance” et la constitution d’une Europe de la défense “crédible” au côté de l’Otan et face à la Russie, devenue beaucoup plus menaçante depuis son invasion de l’Ukraine en février 2022.
L’atome “ne se partage pas”
“Ça peut signifier déployer des boucliers antimissiles, mais il faut être sûr qu’ils bloquent tous les missiles et dissuadent de l’utilisation du nucléaire”, a expliqué M. Macron dans son entretien aux journaux du groupe Ebra.
“Être crédible, c’est avoir aussi des missiles de longue portée qui dissuaderaient les Russes. Et il y a l’arme nucléaire: la doctrine française est qu’on peut l’utiliser quand nos intérêts vitaux sont menacés. J’ai déjà dit qu’il y a une dimension européenne dans ces intérêts vitaux”, a-t-il souligné.
Dans son discours à la Sorbonne, M. Macron avait déjà abordé cette question de l’arme nucléaire française. “La dissuasion nucléaire est en effet au cœur de la stratégie de défense française. Elle est donc par essence un élément incontournable de la défense du continent européen”, avait-il dit, reprenant des aspects d’un discours sur la dissuasion prononcé en février 2020.
Comme la droite, LFI a estimé dimanche, dans un communiqué de son groupe parlementaire, que M. Macron “vient de porter un nouveau coup à la crédibilité de la dissuasion nucléaire française”.
Celle-ci “ne se partage pas” et “sous couvert de défense du sol européen, Macron veut liquider l’autonomie stratégique française”, a critiqué sur X le député LFI Bastien Lachaud, spécialiste des questions de défense.
À l’extrême droite, l’eurodéputé RN Thierry Mariani a affirmé, également sur X, que “Macron est en train de devenir un danger national”. “Après l’arme nucléaire, suivra le siège permanent de la France au conseil de sécurité de l’ONU qui sera, lui aussi, bradé à l’Union Européenne”, s’est-il insurgé.
Aux antipodes, la tête de liste des Écologistes aux européennes Marie Toussaint, favorable à un “saut fédéral européen”, a considéré que cela signifiait le “partage de cette force qu’est l’arme française, donc le nucléaire aussi”.
La construction d’une Europe de la défense est depuis très longtemps un objectif de la France, mais elle s’est souvent heurtée aux réticences de ses partenaires qui jugeaient plus sûr le parapluie de l’Otan. L’invasion de l’Ukraine et le possible retour à la Maison-Blanche de Donald Trump ont cependant relancé la pertinence du débat sur une autonomie européenne en matière de défense.