Dans le centre et le nord du Mali, l’une des formes de la manifestation de la violence est la razzia qui vise le cheptel. Dans ces zones, des villages ont été incendiés juste pour emporter le bétail. Pourquoi cet intérêt pour le cheptel ? Qui sont ceux qui enlèvent ces animaux ? Quels sont les circuits de vente ? A quoi sert l’argent de la vente ? Autant de questions que le Malien lambda se pose souvent. Directeur de programmes à la Fondation Friedrich Ebert (FES), Abdourhamane Dicko balise des pistes de réponses dans son analyse sur les causes, les manifestations, les conséquences et les solutions envisageables à l’insécurité dans les régions de Gao et Ménaka.
L’insécurité dans les régions de Gao et Ménaka se manifeste par des vols de biens, des enlèvements de personnes et des assassinats d’opérateurs économiques. Des actions qui ont toutes des incidences sur le quotidien des populations ou des communautés. Mais ce qui a un impact direct sur la vie de nombreux habitants de la région, c’est le vol constant de bétail. Quelle destination pour le bétail volé ? Dans une analyse intitulée «Sauver Gao pour sauver la République» et publiée sur le site de la Fondation Friedrich Ebert (FES) (https://mali.fes.de/e/default-5bc1ed7a2e), M. Abdourhamane Dicko (directeur de programmes de ladite Fondation) balise des pistes de réponses très réalistes.
Le vol du bétail est devenu depuis des années un phénomène récurrent accentuant le malheur des populations dont la vie est permanemment exposée. La preuve est que les Forces armées maliennes (FAMa) ont récupéré le 12 novembre 2022, des mains des Groupes armés terroristes (GAT), plus de 600 têtes de bétail (bœufs, moutons, chèvres, ânes…) dans la localité de Somadougou (Mopti). C’est le fruit d’une patrouille d’envergure menée du 7 au 11 novembre 2022.
Selon l’Observatoire des économies illicites en Afrique de l’ouest, les vols de bétail augmentent au Mali dans «un contexte d’isolement politique croissant». La région de Mopti apparaît comme un épicentre. Le 18 juin 2022, des membres présumés de l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) ont tué au moins 20 civils et saisi du bétail appartenant à des habitants du village d’Ebak, dans la commune d’Anchawadi (35 kilomètres au nord de Gao).
Trois mois plus tôt, le 19 mars, les habitants de Niougoun (un village de la région de Ségou) avaient perdu plus de 200 têtes de bétail aux mains de djihadistes présumés. «Ces incidents ne sont que deux exemples des nombreux cas récents de vol de bétail dans le centre et le nord du Mali, une activité illicite qui a continué à se développer après un pic marqué en 2021», indique cet observatoire. Et le razzia du cheptel se poursuit de plus belle dans les régions du centre et du nord.
Un filon d’or exploité par des les acteurs «hybrides»
Selon des nombreux témoignages, l’enlèvement des troupeaux n’implique par les seuls GAT. Il y a aussi le grand banditisme qui a pris de l’ampleur sous le couvert du terrorisme. Par rapport aux auteurs des actes d’insécurité, les personnes rencontrées par Abdourhamane Dicko dans la région de Gao indexent d’abord les natifs (habitants) des différents terroirs. «Il y a certes des djihadistes, mais les braquages et les vols sont plutôt attribués à ces enfants (autochtones) qui revêtent bien le manteau du terrorisme pour dissimuler leurs crimes», rapporte-t-il. De toute évidence, poursuit-il, les acteurs sont «hybrides» car «personne ne peut réellement définir leur statut encore moins les différencier suivant leur mode d’action».
Pour l’Observatoire des économies illicites en Afrique de l’ouest, les groupes armés (y compris les djihadistes) sont des acteurs centraux de l’économie lucrative du vol de bétail, exerçant un contrôle important sur le marché dans certaines zones et exploitant les vulnérabilités existantes des communautés. Et cela d’autant plus que, a-t-il souligné, «la restructuration du paysage politique et sécuritaire au Mali a apparemment conduit à une plus grande impunité pour les acteurs non étatiques et les acteurs étatiques, ou affiliés à l’État, liés à l’économie du vol de bétail».
Pour plusieurs interlocuteurs de M. Dicko, la destination des animaux enlevés (surtout les troupeaux de vaches) ne fait pas l’unanimité, mais des pistes sont fournies. Pour certains, dit-il, les animaux (probablement ceux de la commune de Gounzourèye) sont d’abord conduits à Boni (Douentza) où la destination des animaux est définitivement fixée. Ils y seraient ainsi embarqués dans des véhicules à destination de Bamako ou de la Côte d’Ivoire. Pour d’autres personnes, ajoute Abdourhamane Dicko, «les animaux volés dans les zones d’Ansongo et de Gabéro prennent la destination du Burkina Faso et de l’Algérie embarqués dans des camions».
N’empêche que d’autres sources indiquent également que des animaux volés auraient été vendus à des bouchers de la ville de Gao, qui «les garderaient dans des maisons à la périphérie de la ville avant de les conduire nuitamment à abattoir». Toujours est-il que «cet enlèvement semble concerner plusieurs acteurs dont certains sont parmi les populations elles-mêmes, surtout ceux impliqués dans le transport. Dans les conditions normales, il ne devrait pas être facile d’écouler ces animaux sur les marchés du Burkina-Faso ou du Niger si une coordination entre acteurs et autorités était menée au Mali, Burkina et Niger», assure le Directeur de programme à la FES.
A quoi sert l’économie du vol des troupeaux ?
«En toute vraisemblance, la vente des animaux servirait à acheter des armes pour les Groupes armés terroristes, donc à les financer», répond M. Dicko. En dehors d’attenter fréquemment à leurs vies, les terroristes (attaques) et les bandits armés (braquages) continuent de dépouiller les populations des régions du nord (Gao et Ménaka) et du centre (Mopti, Bandiagara et Douentza) du minimum vital. En quelques années voire du jour au lendemain, ils sont nombreux à avoir tout perdu. «Elles ont perdu leur cheptel, principale source de revenus et de prestige, donc rempart de protection de la dignité et de l’honneur. Dans les cercles de Gao, Ansongo ou Bourem, des populations ont tout perdu. Dans tout le cercle d’Ansongo par exemple, personne ne possèderait un troupeau de vaches. Elles sont emportées par les GAT», déplore M. Dicko.
«Ce qui signifie en même temps le basculement de ces personnes dans la précarité et la pauvreté sans négliger l’impact sur les conditions alimentaires, sanitaires et éducatives… Il y a comme une volonté d’appauvrissement des populations en leur ôtant leurs biens, en les réduisant à la mendicité», ajoute-t-il. Et, naturellement, les premières couches à souffrir des conséquences de cette situation sont les femmes et surtout les enfants dont les droits fondamentaux sont constamment bafoués.
Ce qui fait dire à Abdourhamane Dicko que «l’avenir est compromis dans ces localités». D’où l’urgence d’une action concertée entre l’Etat, ses partenaires sécuritaires et les populations victimes pour rapidement circonscrire cette insécurité sciemment entretenue pour mieux dépouiller les pauvres habitants du centre et du septentrion malien !
Moussa Bolly