Entre les informations distillées a chaud au sortir de la réunion des Chefs d’Etat au soir du 4 décembre a Abuja et la publication du communiqué officiel deux jours plus tard, les commentaires sont allés du vif au froid tellement tout et son contraire ont été dits.
Les relations entre l’organisation sous régionale et son état membre restent distendues à bien d’égard, jusque dans les opinions. La Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEDEAO s’est réunie en session ordinaire à Abuja au Nigéria le 4 décembre dernier.
Les sessions ordinaires se penchent généralement sur des sujets ordinaires comme l’économie, la politique, la gouvernance, la sécurité, les questions d’actualités, etc. Les sessions extraordinaires ont un ordre du jour précis comme ce fut le cas récemment sur la situation au Mali, au Burkina Faso et en Guinée.
C’est tout naturellement que la 62e session ordinaire du dimanche 4 décembre a discuté des processus transitoires dans les trois pays ayant connu des insurrections militaires. Les résolutions étaient attendues mais avec des fortunes à dimensions variables.
L’organisation régionale a, ces derniers temps, montré une certaine efficacité administrative à communiquer dans un délai court après ses sommets, souvent dans un intervalle de trois heures en moyenne après la fin des travaux.
Mais l’on retiendra que le communiqué final à l’issue de ce sommet ordinaire du 4 décembre ne sera rendu public que quarante-huit heures après, soit le 6 décembre tout en maintenant la date de signature au jour officiel de la tenue dudit sommet.
C’est dire que les observateurs de l’actualité de l’organisation sous-régionale et surtout tous ceux intéressés aux conclusions de la conférence d’Abuja auront retenu une communication à double étage, sinon un double langage en trois jours.
CALMER LE JEU
Ce sont les tweets de certains journalistes présents sur place et réputés être dans le secret des délibérations des Chefs d’Etat et de gouvernements présents, d’articles de certains médias internationaux qui ont déclenché un tour de chauffe au soir du 4 décembre dans les opinions africaines et principalement malienne en ce qui concerne le Mali.
« Sur le cas du voisin guinéen, un ultimatum a été posé aux autorités de Bamako de libérer les 46 militaires ivoiriens avant le 1er janvier 2023 au risque des sanctions » s’empressait de publier dès dimanche soir Guineenews.org sur son site, reprenant les tweets distillés depuis Abuja par certains envoyés spéciaux de médias étrangers. L’info a eu l’effet d’une trainée de poudre sur les réseaux sociaux et est restée commentée pendant deux jours.
Il faut noter que ces infos sont corroborées par les propos du nouveau président de la Commission de la CEDEAO, le gambien Omar TOURAY, qui avait même prêté serment lors de la session. En conférence de presse à l’issue du conclave, il développait en ces termes : « Nous continuerons à dialoguer avec les autorités maliennes pour la libération immédiate des 46 soldats détenus au Mali.
Dans le cas où les soldats ne seront pas libérés immédiatement, les dirigeants se réservent le droit de prendre certaines mesures ». Il faut dire que les informations sur les aspects d’injonction et de menace qui ont plus fusé des compte-rendu par tweets et articles mieux que l’intervention du président de la Commission de la CEDEAO ont occupé le haut du pavé de l’actualité au point que les journaux parus au Mali le mercredi 7 décembre, soit trois jours après le sommet, ont continué de les emboucher.
C’est le cas de l’hebdomadaire le Matin qui s’offusque en ces termes : « En ce qui concerne notre pays, il est regrettable de constater que les dirigeants de la sous-région sont toujours dans une posture d’injonction quand il s’agit de prendre des décisions concernant notre pays.
Ainsi, ils n’ont trouvé mieux que de donner un ultimatum aux autorités de la Transition. Celles-ci ont ainsi jusqu’au 1er janvier 2023 pour libérer les mercenaires ivoiriens sous peine d’exposer le pays à de nouvelles sanctions ».
La communication du bâton aura prospéré du dimanche au mardi avant que le communiqué officiel tant attendu ne soit rendu public. Ce sera la communication de la carotte qui prendra à contrepied toutes les allégations répandues jusque là.
Dans le texte de 12 pages, signé du président en exercice de la CEDEAO, le président bissau-guinéen Umaro Sissoco Embalo , aucune trace d’injonction, de menace, d’ultimatum ou de sanction. Au contraire on retient essentiellement en trois points consacrés au Mali : encouragements à la Transition, appel à la solidarité face aux défis, invitation des autorités maliennes à avoir une oreille pour la libération des soldats détenus.
On se demanderait même s’il s’agissait du même sommet et des mêmes participants. Le communiqué dément les déclarations du président de la Commission puisqu’il n’en fait pas mention, en cout cas du ton. Que s’est -il réellement passé ?
Le président de la Commission est un homme assermenté (à rappeler qu’il a prêté serment le jour même du sommet), réputé loyal aux Chefs d’Etat et donc ne peut se permettre de tenir des propos infondés ou gratuits surtout pour évoquer les conclusions des discussions de ses chefs.
Un ancien fonctionnaire de la CEDEAO joint par message texte tente d’expliquer le retard dans la publication du communiqué : « Parfois, il y a des problèmes avec la signature, surtout si le projet final n’est pas prêt à temps et que les alignements de traduction dans les trois langues ne sont pas prêts pour la signature avant le départ du président en exercice » confie-t-il.
Cette explication suffit -elle pour ne pas penser à un choix délibéré de ne pas durcir le ton vis-à-vis de Bamako après tant d’épisodes sulfureux dans les relations entre les deux parties. Y a-t-il divergence de vues sur l’approche envers Bamako ?
Le dossier des militaires « ivoiriens » retenus au Mali depuis le 10 juillet a-t-il pesé pour aboutir à ce ton conciliant de la CEDEAO ? En tous les cas, l’on est tenté de dire que l’organisation sous régionale tente de calmer le jeu et de contenir la tempête dans une bouteille. L’on se rappelle les multiples missions et rencontres restées infructueuses pour l’issue la plus souhaitée à savoir la libération des soldats, pour un dossier déjà judiciarisé.
Autres gros os qui devrait peser dans les discussions entre Chefs d’Etat, la plainte du Mali devant le Conseil de sécurité ou encore l’avenir de la MINUSMA. Plutôt que de gros os, disons que ce pourraient être les œufs sur lesquels la CEDEAO marche désormais pour éviter de fâcher Bamako toujours droit dans ses bottes.
Du coup pour bien marcher sans casser des œufs sur la route de Bamako, sans avaler de gros os sur la table de Koulouba, la CEDEAO tente de caresser dans le sens du poil. Disons qu’elle marche désormais dans le sens de la marche, celle du respect de la souveraineté du Mali, du dialogue équitable et franc. Ce qui pourrait faire passer le feuilleton des « feux du désamour aux « feux de l’amour ».
A ce prix, le compromis sera le bréviaire des futures démarches afin d’aboutir à des solutions partagées. Des solutions ouest africaines et africaines.
Alassane SOULEYMANE, journaliste