Le 9 mars dernier, le chef d’état-major des Armées nigériennes se rend en visite à Bamako. Le 11 mars, le chef d’état-major des Armées françaises est dépêché au Niger. Le 16 mars, Antony Blinken, secrétaire d’état américain, est reçu à Niamey par le chef de l’État. Le 17 mars, Cédrine Beney, l’envoyé spécial de la Confédération suisse arrive à Niamey. Et le 21 mars, Tony Blair, ancien Premier ministre britannique, s’est rendu dans la capitale nigérienne
Coïncidence ou hasard du calendrier, qu’est-ce qui explique ces visites? Pourquoi autant de convergences des puissances occidentales vers le Niger ? Les autorités maliennes doivent-elles s’en inquiéter ? Voilà autant de questions sur lesquelles, Dr Aly Tounkara, expert défense et sécurité au Centre des études sécuritaires et stratégiques au Sahel (CE3S), promène son regard analytique
Le chercheur soutient que le ballet diplomatique à Niamey ces derniers temps pourrait s’expliquer par une sorte de réorientation des efforts des pays occidentaux vers le Niger. Les pays occidentaux conçoivent le Niger comme une sorte de substitut du Mali à partir de trois éléments fondamentaux. Le premier élément dont le spécialiste fait cas est qu’en réorientant ainsi leurs diplomatie et politique vers le Niger, les pays occidentaux espèrent non seulement contrer la poussée de l’influence russe dans le Sahel et dans le même temps, gêner d’autres puissances montantes comme la Turquie, l’Iran qui sont très présentes dans le Sahel et le Niger en particulier.
Le deuxième aspect qu’il évoque est qu’à travers ces nombreuses visites à Niamey, les chancelleries occidentales chercheraient, au nom de la lutte contre le terrorisme, à prouver leur bonne foi au Niger et aux pays sahéliens, leur dire qu’ils sont prêts à les soutenir dans l’effort de guerre et disposés à les équiper. « Ce qu’il faut comprendre dans cette volonté manifeste des pays occidentaux à venir en aide de façon poussée à ceux du Sahel dans leur lutte contre le terrorisme, c’est de leur prouver que s’il s’agit d’équipements, de conseillers militaires, de formation, ils ont plus de capacités que la Russie. Et ils sont prêts à faire autant et même plus que la Russie », analyse Dr Tounkara, ajoutant que c’est une façon de casser l’influence russe qui est très montante.
Pour le chercheur, l’influence russe trouve toute sa légitimité dans le fait que la Russie est beaucoup dans la fourniture d’équipements, dans la mise à disposition de conseillers militaires qui assurent des formations de pointe aux armées sahéliennes. « Donc, ce sont des solutions de rechange que proposeraient ces visites occidentales dans la capitale nigérienne », insiste le directeur du CE3S.
Le dernier élément qu’il souligne est que l’Union européenne s’apprête à offrir une nouvelle directive au Niger qui lui permettrait dorénavant de livrer à partir de Niamey, des armes létales aux pays africains qui en demanderaient. Ainsi, le Niger va être perçu comme une sorte de carrefour pour ces pays occidentaux en termes de propositions d’offre et de demande de sécurité y compris les équipements, les questions de formation militaire.
DOSSIER MALIEN- Aly Tounkara dira que cette ruée des pays occidentaux est perçue comme une bonne chose pour les autorités nigériennes. Le chercheur pense que cette situation pourrait être inquiétante au regard des voix discordantes au sein de l’armée et d’un certain nombre d’acteurs politiques. Mais pour le pouvoir en place, ces frustrations sont seulement urbaines et n’ont pas gagné le monde rural nigérien. Et par ricochet, elles pourraient être maîtrisées et avoir des solutions lorsque les pays occidentaux vont investir davantage au Niger.
Il rappelle à cet effet les différentes annonces faites par les états-Unis en termes d’aide au-delà de l’aspect sécuritaire notamment dans le sens du développement durable, de la création d’emplois pour les jeunes nigériens. D’après Dr Tounkara, le pouvoir nigérien est convaincu que ces contestations urbaines peuvent être circonscrites pourvu que l’aide promise par les pays occidentaux soit à la hauteur et disponible au moment opportun.
L’universitaire soutient que le dossier malien a été mis en évidence à coup sûr lors des différentes visites à Niamey. D’où les inquiétudes légitimes que doit avoir l’élite militaire au pouvoir à Bamako vis-à-vis de la probable position que prendrait le Niger en termes d’actions militaires conjointes que les deux pays sont censés reprendre. Dr Aly Tounkara rappelle que ces pays occidentaux sont des partenaires qui sont tous du même bloc et du point de vue géopolitique contre la Russie.
Or, l’État du Mali a clairement affiché son attachement à la Russie en termes de partenariat sur le plan militaire et sécuritaire. Selon lui, naturellement, ces différentes visites doivent être perçues par Bamako comme des sources d’inquiétudes. à défaut de les étiqueter comme complotistes, elles ne vont pas dans le sens d’un Mali qui pourrait se défaire carrément du joug de l’Occident. Le chercheur fait remarquer que ces puissances qui envoient des émissaires à Niamey que ce soient l’Angleterre, les états-Unis, la France sont de facto opposés à l’influence russe à travers le monde. Et lors des différentes visites dans la capitale nigérienne, le dossier malien et même l’avenir du Mali ont été discutés.
D’après le chercheur, c’est là que les possibles collaborations entre le Mali et le Niger vont être forcément impactées par la présence de ces partenaires. Lesquels partenaires ne laisseraient pas l’état nigérien opérer comme bon lui semble en termes de partenariat. L’expert défense et sécurité du CE3S prévient que ces visites ne seront pas sans conséquences sur l’offre et la demande de sécurité au Mali et même sur l’avenir du pays à cause du positionnement de ces puissances militaires et économiques. Il fait remarquer que beaucoup de structures qui intervenaient dans l’humanitaire et dans les actions de développement au Mali se sont majoritairement dirigées vers le Niger.
Pour Aly Tounkara, la position du Mali est très délicate et nécessite assez d’intelligence et de prudence dans des futures collaborations. Au-delà même du Niger, dit-il, le fait que ces pressions soient maintenues sur ce pays sont une façon de toucher à d’autres comme le Burkina Faso qui seraient aussi tentés de se soustraire du diktat occidental. «Nous sommes clairement dans des compétitions ouvertes entre les puissances. Si les pays sahéliens ne prennent pas la hauteur, ils risqueront de s’étioler, d’être davantage traversés par des interférences qui les laisseront dans un statut d’états assistés en permanence », a prévient Dr Aly Tounkara.
Dieudonné DIAMA