Fatima Z. n’avait que 15 ans lorsqu’elle a été violée par six hommes dans un village près de Tata, dans le sud-est du Maroc. Ces relations sexuelles forcées et répétées ont provoqué une grossesse non désirée chez cette mineure, désormais mère d’une fillette de quelques mois. Malgré la gravité des faits, les bourreaux de l’adolescente, dont son entraîneur de football, ont écopé d’une peine jugée extrêmement laxiste en première instance, en décembre 2021 : un an de prison ferme chacun pour «attentat à la pudeur».
Un énième «verdict de la honte» qui «encourage la culture du viol», fustigent les associations de défense des droits humains, alors que le viol sur mineur peut être puni d’une réclusion de dix à vingt ans, selon le code pénal marocain. L’oncle de la victime a pour sa part dénoncé un jugement «injuste et illogique», précisant que Fatima Z. et son bébé sont dans un «état déplorable».
«Les violeurs ont tué son enfance»
Après un premier report, le procès en appel des six accusés, dont l’un est toujours en fuite, s’ouvre ce mercredi 12 juillet devant le tribunal d’Agadir. Et il aura une valeur de test dans un pays où la justice est souvent pointée du doigt pour son laxisme dans les affaires de viols commis contre les mineurs et les femmes. Car le cas de Fatima Z. est loin d’être isolé. En 2016, déjà, le suicide Khadija S., qui s’était immolée après la remise en liberté de ses violeurs, avait relancé le débat sur l’impunité dont jouissent les agresseurs dans ces affaires. De nombreux observateurs ont également comparé le cas dramatique de Fatima Z. à celui de Sanae, âgée de 11 ans au moment des faits, violée pendant un an par trois voisins dans son village près de Tiflet, et devenue elle aussi mère malgré elle après cette agression.
Lors de son procès, auquel elle avait assisté avec son petit garçon dans les bras, son principal agresseur, identifié comme le géniteur de l’enfant après un test ADN, n’avait écopé que de deux ans de prison et 30 000 dirhams (environ 2 800 euros) d’amende. Un verdict qui n’a fait «que remuer le couteau dans la plaie, avait alors réagi le père de la victime dans la presse locale. Les violeurs ont tué son innocence, son enfance. Quand l’enfance est violée, toute la famille est violée.» A la suite de l’indignation collective provoquée par ce jugement, au Maroc et au-delà des frontières, la Cour d’appel de Rabat avait finalement condamné les trois accusés à dix et vingt ans de prison ferme – l’un des verdicts les plus sévères dans le royaume chérifien pour des affaires de violences sexuelles.
Diktat de la «honte»
A quelques heures de l’ouverture du procès en appel des hommes accusés du viol de Fatima Z., les associations de défense des droits humains espèrent que cette décision fera jurisprudence. Mais dans un pays où huit condamnés sur dix pour viol écopent d’une peine inférieure à ce que prévaut la loi, selon une étude réalisée en 2020 par le collectif Masaktach, de nombreux observateurs redoutent que justice ne soit encore une fois pas rendue. «Le code pénal marocain ne se base pas sur le droit des femmes mais sur l’honneur de la famille, regrette Fouzia Yassine, membre de la coalition Printemps de la dignité, qui regroupe une trentaine d’associations féministes. Les lacunes du droit permettent à de nombreux agresseurs d’échapper aux sanctions, en particulier lorsque la femme n’est pas mariée ou qu’elle est encore vierge.»
La militante pointe par ailleurs une société toujours freinée par le diktat de la hchouma (la «honte») alors qu’une Marocaine sur deux a déjà été victime d’agression sexuelle : «Les cas médiatisés ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Le problème vient aussi du fait que les femmes n’osent pas porter plainte en raison de l’article 490 du code pénal qui interdit les relations sexuelles hors mariage et qui pourrait les rendre coupables d’adultère.» Selon une enquête du ministère de la Famille, menée en 2019, seules 6,6 % des Marocaines victimes de violences ont porté plainte contre leur agresseur.
Les cas dans lesquels le viol aboutit à une grossesse sont encore plus délicats. Au Maroc, les enfants nés hors mariage sont en effet considérés comme «illégitimes», selon la «Moudawana», le code de la famille marocain : «Même si les violeurs écopent d’une lourde peine, qu’est-ce qu’on offre à ces enfants ? Rien du tout, puisqu’ils n’auront aucun droit et deviendront les parias de la société, déplore Fouzia Yassine. Alors que le père peut s’en tirer avec un an de prison, la mère va devoir supporter ce poids pour le restant de ses jours.»