L’arrestation de deux élus marocains, dont l’un est aussi le patron du club de foot Wydad, pour leur participation présumée à un vaste trafic de drogue en Afrique, a remis en lumière le fléau de la corruption dans le royaume, selon des ONG.
Membres d’un parti au gouvernement, Saïd Naciri, président du Conseil préfectoral de Casablanca (ouest) et Abdennabi Biioui, président du Conseil régional de l’Oriental (est), en détention depuis leur arrestation le 22 décembre, ont été auditionnés jeudi par un juge d’instruction.
M. Naciri est également président du Wydad Casablanca, l’un des plus importants clubs de football d’Afrique.
L’enquête concerne au total 25 personnes, dont 20 sont incarcérées. Elles sont soupçonnées notamment de « détention, commercialisation et exportation de drogues » et « corruption », selon le parquet.
Les suspects seraient en lien avec Hadj Ahmed Ben Brahim, un Malien qui purge une peine de 10 ans au Maroc pour une affaire de trafic international de stupéfiants.
Surnommé le « Pablo Escobar du Sahara », M. Ben Brahim a été arrêté en 2019 à Casablanca, dans le cadre d’une enquête sur la saisie record de 40 tonnes de résine de cannabis en 2015 dans des camions lui appartenant.
La police judiciaire soupçonne MM. Biioui, 52 ans, et Naciri, 54 ans, — deux cadres du parti Authenticité et Modernité (PAM, libéral) — d’avoir joué un rôle clé dans son réseau tentaculaire, déployé en Algérie, au Niger, en Libye et en Egypte, selon l’enquête préliminaire.
C’est la première fois que deux figures politiques d’un tel rang sont présumées impliquées dans une affaire de drogue d’une telle ampleur au Maroc.
« Avant, on parlait de détournement de fonds ou d’usage de faux chez les politiciens, mais aujourd’hui on parle de soupçons de trafic de drogue », indique à l’AFP Mohamed Ghalloussi, président de l’Association marocaine de protection des deniers publics.
Le Maroc est considéré comme l’un des plus importants producteurs de cannabis au monde: les autorités y ont saisi 81 tonnes l’an dernier. En parallèle, sa culture pour usages médicaux et industriels est progressivement légalisée depuis 2021.
– « Corruption chronique » –
D’autres élus ont par le passé été poursuivis ou fait l’objet d’enquêtes pour corruption.
Le député et ancien ministre délégué, Mohamed Moubdii, 69 ans, a été placé en détention provisoire en avril 2023 dans une enquête pour corruption dans l’octroi de marchés publics.
Le député Rachid El Fayek, du Rassemblement national des indépendants (RNI), parti à la tête de la coalition gouvernementale, a été condamné en juin à huit ans de prison pour corruption tandis qu’un autre député du RNI, Mohamed Simou, est poursuivi pour « dilapidation de deniers publics », selon la presse locale.
Mais c’est l’affaire de MM. Naciri et Biioui qui « incarne la gravité de l’évolution de la corruption au Maroc », selon M. Ghalloussi.
Le responsable de l’ONG Transparency Maroc, Ahmed Bernoussi, dit « ne pas être surpris » par ces accusations, qui sont « plutôt une confirmation » d’une corruption « devenue systématique et chronique ».
– « Mafias » –
En 2011, les manifestants du « Mouvement du 20 février » – version marocaine du Printemps arabe – s’indignaient ouvertement de la corruption.
Celle-ci semble s’être aggravée: en quatre ans, le Maroc a dégringolé dans le classement de l’indice de perception de la corruption de Transparency, de la 73e place en 2018 à la 94e en 2022 (sur 180 pays).
Le royaume avait pourtant adopté une stratégie anti-corruption en 2015, avec comme mesure-phare une criminalisation prévue de l’enrichissement illicite.
Proposé par un gouvernement piloté par les islamistes, le texte de loi a été retiré du Parlement en 2021 par l’exécutif actuel, mené par le riche homme d’affaires Aziz Akhannouch.
Pour la formation islamiste Justice et développement (PJD), l’affaire Naciri-Biioui confirme « les craintes exprimées depuis des années sur les tentatives de mafias de corruption et de trafiquants de drogues de prendre d’assaut les institutions étatiques ».
Le parti des deux élus, le PAM, fondé pour contrer les islamistes en 2008, a gelé leur adhésion dès le début de l’enquête et exprimé sa « confiance en l’indépendance de la justice ».
Pour lutter efficacement contre la corruption, insistent toutefois MM. Bernoussi et Ghalloussi, il est urgent d’adopter des lois criminalisant l’enrichissement illégal et les conflits d’intérêts.