Hussein Khalil, un chauffeur Uber à Beyrouth, est totalement déboussolé: son GPS lui a récemment indiqué qu’il se trouvait à Rafah, dans la bande de Gaza, l’une des conséquences du brouillage imputé par les autorités libanaises à Israël.
« Nous souffrons beaucoup de ce problème depuis environ cinq mois », dit ce chauffeur de 36 ans, au volant de sa voiture dans les rues encombrées de la capitale libanaise.
« Il nous arrive de ne pas pouvoir travailler pendant trois jours d’affilée (…) et nous perdons beaucoup », ajoute-t-il.
Le brouillage est l’une des nombreuses formes de la guerre en cours depuis près de neuf mois dans le sud du pays entre le puissant Hezbollah libanais et Israël.
Depuis que le Hezbollah a ouvert le front contre Israël le 8 octobre en soutien à son allié du Hamas palestinien à Gaza, les Beyrouthins constatent régulièrement des perturbations dans l’indication de leur géolocalisation, notamment sur Google maps.
Hussein Khalil montre des captures d’écran le localisant tantôt à Rafah, tantôt à l’aéroport de Beyrouth ou à l’extérieur de la capitale.
« Une cliente m’a appelé pour me demander si j’étais à Baalbeck », à plus de 60 km à l’est de Beyrouth, « je lui ai répondu que j’arrivais dans deux minutes », dit-il.
– Drones et missiles –
La perturbation de géolocalisation via des applications de transport telles qu’Uber est due à l’interférence dans les signaux du système de GPS, dont le gouvernement libanais accuse Israël d’être à l’origine.
Freddy Khoueiry, analyste en sécurité pour la région Moyen-Orient chez RANE Network, explique à l’AFP comment « Israël utilise le brouillage GPS principalement pour perturber ou interférer dans les communications du Hezbollah ».
Selon lui, Israël a également recours à « la technologie d’usurpation GPS, qui est une autre tactique utilisée pour envoyer de faux signaux GPS, afin de (…) perturber l’utilisation des drones et des missiles à guidage de précision », auxquels le Hezbollah a recours pour attaquer Israël.
Depuis le 28 juin, le niveau d’interférence apparaît élevé sur le site GPS Jam, spécialisé dans la collecte de données sur l’interruption des signaux de localisation géographique, au-dessus du Liban et de certaines régions de Syrie, de Jordanie et d’Israël.
Une journaliste de l’AFP se trouvant à Jérusalem s’est trouvée géolocalisée au Caire. Les interférences semblent même s’étendre jusqu’à l’île de Chypre, où une autre journaliste de l’AFP s’est vue géolocalisée à l’aéroport de Beyrouth alors qu’elle se trouvait dans la ville côtière de Larnaca.
En réponse à une question de l’AFP sur le brouillage dans le nord d’Israël, un porte-parole du ministère israélien de la Défense a dit « ne pas être actuellement en mesure de parler de questions opérationnelles ».
Cependant, l’armée israélienne a clairement indiqué au début de la guerre qu’Israël avait perturbé la navigation GPS « de façon proactive pour différents besoins opérationnels », informant la population que cette mesure pouvait perturber les applications utilisant la géolocalisation.
– « Carte et boussole » –
Préoccupé par l’impact des interférences sur la navigation aérienne, le gouvernement libanais a déposé le 22 mars une plainte auprès du Conseil de sécurité de l’ONU.
Il y dénonce « les attaques d’Israël contre la souveraineté libanaise en perturbant les systèmes de navigation et la sécurité de l’aviation civile » dans l’espace aérien libanais.
Depuis mars, la Direction générale de l’aviation civile demande aux pilotes d’avions à destination et en provenance de Beyrouth de « s’appuyer sur des kits de navigation au sol et de ne pas se fier au signal GPS qu’ils captent en raison des interférences », affirme à l’AFP son président, Fadi el-Hassan.
« Il est inconcevable qu’un pilote qui souhaite atterrir à notre aéroport ne puisse pas bénéficier de la fonction GPS en raison des interférences de l’ennemi israélien », déplore-t-il.
Avedis Seropian, pilote depuis cinq ans, affirme avoir complètement renoncé au GPS ces derniers mois. « On est habitués. On vole en se basant sur la boussole et la carte papier », dit-il à l’AFP.
Mais, selon lui, les défis sont sans précédent : « Parfois, on est à 32 km d’altitude au-dessus de la mer et l’écran nous montre au-dessus du sommet de Qornet el-Sawda », le point culminant du Liban à plus de 3.000 mètres d’altitude.
« Quand on ne voit pas le sol, que fait-on ? On peut vite se retrouver dans un état de panique et cela peut conduire à un accident ou à une catastrophe. »