Asphyxier la presse n’est pas une politique de développement

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Depuis l’arrivée au pouvoir du président Bassirou Diomaye Faye, son premier ministre Ousmane Sonko ne cesse de multiplier les actions et déclarations contre les médias. Le leader du Pastef semble vouloir se venger de la presse sénégalaise qui, il faut le dire, a accompagné le régime de Macky Sall, malgré toutes ses dérives. Lésé par la presse dans son combat contre Macky Sall, Ousmane Sonko garde une dent contre les médias et semble disposer à leur faire payer cet ‘’affront’’.
 
Seulement, la vengeance n’est pas une politique économique ; asphyxier les médias n’est pas un programme de développement. Dans un contexte où tous les pays cherchent à se doter de puissants relais informationnels, affaiblir ses médias relève d’une grosse erreur. La guerre médiatique entre la Russie et l’Union européenne depuis l’éclatement du conflit en Ukraine en est un parfait exemple. La suspension ou la fermeture de médias de part et d’autre montre clairement que les réseaux sociaux ne suffisent pas pour porter la communication d’une nation, contrairement à ce que semble croire le Pastef.
 
Par exemple, le budget global 2024 de France médias monde (Rfi, France 24…) s’élève à 300 millions d’euros. Il faut être naïf pour croire que la France dépense autant pour informer les Africains et les Arabes, principales cibles de Rfi, France 24 et MCD. « Il est indispensable qu’un grand pays comme la France puisse avoir son regard dans le monde et diffuser ce regard », disait Jacques Chirac, en septembre 2006, lors du lancement de France 24.
 
Même si la chaîne se défend d’être le porte-parole de l’Elysée, on voit bien combien elle suit la ligne tracée par la présidence et le ministère des affaires étrangères. On voit combien la couverture de l’actualité est différente selon que Paris est en bon termes ou en rupture avec un pays africain, notamment francophone. « Nous sommes un instrument important de Soft power qui est utile sur le front diplomatique »  , reconnaît la journaliste de la chaîne Florence Villeminot, dans une vidéo postée le 22 mai 2024.
 
Si France 24 est une entité publique, CNN, la chaîne américaine est bien une télévision privée. N’empêche, elle porte le drapeau des États-Unis dans le monde, plus que le média public, la Voix de l’Amérique (VOA).
 
Nettoyer les écuries d’augias
 
Ces exemples montrent l’utilité des médias dans un monde en perpétuelle compétition. Vouloir affaiblir ses propres médias relève donc d’un manque de vision.
 
Certes, avant tout appui, il faut nettoyer les écuries d’augias, comme dirait Pape Samba Kane. Au Sénégal, certains patrons de presse sont habitués à l’argent facile, à la petite corruption. Le mal est tellement profond que presque personne ne cherche à définir un modèle économique et à déterminer son lectorat. On se lève un bon jour, on crée son machin en comptant bénéficier la plupart du temps de fonds publics, par le billet de ministres et DG indélicats avec les ressources de la nation.
 
Le nouveau pouvoir a donc parfaitement raison de mettre un terme à tous les abus. Mais pour cela, le Premier ministre n’a besoin ni de passion, ni de rancune. Il a juste besoin de poser des actes utiles à toute la  communauté. Et pour cela, il faut évidemment commencer par faire arrêter le robinet de l’Etat. Les ressources publiques n’ont pas pour vocation de financer des entreprises de presse privées. Les médias doivent faire preuve de suffisamment d’originalité dans le  contenu afin de conquérir un lectorat qui rapporte des revenus conséquents.
 
L’Etat peut donc commencer par supprimer l’aide à la presse pour la remplacer par un fonds d’appui, comme c’est déjà proposé. Les bénéficiaires devront avant tout soumettre un projet pertinent pour l’entreprise.
 
Le gouvernement doit aussi arrêter tous ces contrats de complaisance qui ne reposent sur aucune logique d’audience. Pourquoi pas même centraliser ou alors avoir un regard à priori sur tous les contrats afin de juger de leur pertinence avant toute signature. Cela empêcherait que des ministres ou DG signent des conventions de 5, 10 voire 20 millions avec des ‘’médias’’ qui n’ont aucune audience.  Mais encore une fois, il faut que ce soit une vraie politique de développement des médias et non d’une stratégie de liquidation.
 
Conquérir la  sous-région
 
Une fois les bonnes décisions prises du côté des fonds publics, le gouvernement pourra fixer ses exigences de transparence aux entreprises de presse. Transparence sur l’actionnariat, mais aussi transparence sur le financement. Ce qui suppose un bilan annuel qui indique les profits et les pertes. Avec toutes ces mesures, non seulement il ne restera que les vraies entreprises de presse, mais l’Etat saura aussi qu’elle est la vraie capacité financière des entreprises de presse.
 
A partir de ce moment, on saura s’il faut une fiscalité spécifique pour la presse ou pas. Les patrons de presse comprendront, de toute façon, qu’ils ne pourront pas échapper au Fisc et aux institutions sociales.
 
Une fois le Sénégal doté de vraies entreprises de presse, il pourra aller à la conquête de la sous-région  et peut-être au-delà. Après tout, les patrons de presse avaient déjà cette vision. Walf, Sud, Gfm et Emédia se sont tous, à des moments, dotés de correspondants dans des pays de la sous-région. Banjul, Bamako, Conakry, Nouakchott, Bissau et même Abidjan ou Libreville sont autant de capitales qui abritent ou ont abrité un correspondant de médias sénégalais.
 
Ces exemples doivent se multiplier. L’Afrique peut se doter de médias capables de concurrencer Rfi et France 24 sur les informations de la sous-région. Si l’initiative communautaire ne réussit pas, pourquoi un pays comme le Sénégal ne se positionne pas ? Mais pour que tout cela puisse être possible, il faut qu’il y ait d’abord des entreprises de presse dignes de ce nom, mais aussi des autorités qui comprennent les enjeux.

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