Selon le magistrat radié, suivant bordereau n°2023-1432/MJDH-Dnaj du directeur national de l’administration de la justice (Dnaj), il a reçu photocopie du décret susmentionné par ministère d’huissier commissaire de justice Me Mohamed Sanogo, le 6 novembre 2023 à 17 h 38, selon le procès-verbal de remise. Il ajoute que ce décret, en son article 2, abroge le décret n°2023-0579/PT-RM du 3 octobre 2023 portant révocation d’un magistrat. A priori, dit-il, une simple observation de façade des deux décrets fait remarquer que : les visas au nombre de six dans le premier sont devenus sept dans le second ; une seule décision (n°011/2023-CSM-CD-P du 19 septembre 2023 du Conseil supérieur de la magistrature) visée dans le premier est devenue deux décisions visées dans le second (décision n°001/2023-CSM-CD-P du 19 septembre 2023 du Conseil supérieur de la magistrature et décision n°002/2023-CSM-CDP du 19 septembre 2023 du Conseil supérieur de la magistrature) ; dans les visas du premier décret la loi ordinaire portant Statut de la magistrature vient avant la loi organique sur le Conseil supérieur de la magistrature.
A ses dires, rien qu’avec ces erreurs sur un acte administratif d’une telle portée, sans encore toucher au fond, le président Assimi choisit d’abroger le premier décret du 3 octobre 2023 par un second en date du 16 octobre 2023, sauf que le second est autant, sinon, plus vicieux que le premier.
L’incompétence de l’auteur du décret
Par rapport à l’incompétence de l’auteur du décret, il est formel : “Vous êtes, comme vous ne vous y trompez pas, président de la Transition, chef de l’Etat (vous ne signez pas en tant que président de la République)”. Il poursuit que conformément à la Constitution de la République du Mali (articles 134 à 138), à l’article 83 alinéa 1 de la loi n°02-054 du 16 décembre 2002 portant Statut de la magistrature qui stipule que : “La sanction du premier degré est constatée par arrêté du ministre chargé de la Justice ; celles des second et troisième degrés par décret du président de la République”, et à l’article 1 de la loi organique n°03-033 du 7 octobre 2003 fixant l’organisation, la composition, les attributions et le fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature qui indique que : “Le Conseil supérieur de la magistrature est présidé par le président de la Républiques sauf lorsqu’il siège en formation disciplinaire. Le ministre chargé de la justice en est le vice-président. Il peut suppléer à ce titre le président de la République”.
L’incompétence du président de la Transition…
A cet égard, il précise que le président de la Transition est incompétent pour agir dans le cadre du Conseil supérieur de la magistrature, encore moins comme son président et ne peut signer un tel décret. Ainsi, déduit-il, les deux décrets sont inexistants.
A en croire le magistrat Dramane Diarra, le décret du président de la République, que le colonel Assimi Goïta n’est pas, ne fait que constater une décision définitive du Conseil de discipline, car l’article 83 du Statut de la magistrature, s’agissant des décisions du Conseil de discipline, dispose que : “Elles ne sont susceptibles de recours que devant la Cour suprême dans les deux mois à compter de la date de la notification”. Or, dit-il, la décision illégale et arbitraire de révocation le concernant, d’un organe tout aussi illégal, en date du 19 septembre 2023 n’est pas définitive, étant toujours exposée à la contestation.
“En cela, vos décrets hâtifs et irréguliers, par nature, violent le Statut de la magistrature (procédure disciplinaire) et sont sans base légale”, martèle-t-il.
A l’avis du magistrat Dramane Diarra, ces décrets consacrent un dysfonctionnement de la justice, l’abus notoire de droit et expose l’argent public des citoyens maliens à une saignée pourtant évitable. Car, selon lui, le président de la Transition a appliqué un décret individuel non notifié à l’intéressé, s’agissant du premier décret (voie de fait de cessation de fonction, interruption de salaire), reposant sur une décision non définitive du Conseil supérieur de la magistrature (Conseil de discipline), composé au mépris de l’article 76 du statut de la magistrature qui dispose que : “Le président de la Cour suprême ou le procureur général près ladite Cour, désigne un rapporteur parmi les membres du Conseil selon que le magistrat poursuivi soit du siège ou du parquet”. “Je ne suis ni du siège, ni du parquet”, précise-t-il.
L’Etat peut se retourner contre le président de la Transition
Il rappelle que l’article 137 de la Constitution stipule que : “Le Conseil supérieur de la magistrature est constitué pour moitié de personnalités choisies en dehors du corps des magistrats”. Donc, souligne-t-il, une composition du Conseil supérieur antinomique de celle prévue par la Constitution.
Pour lui, cette loi est, par conséquent, caduque, conformément à l’article 189 de la même Constitution qui mentionne clairement que : “La législation en vigueur demeure valable dans la mesure où elle n’est pas contraire à la présente Constitution et où elle n’est pas l’objet d’une abrogation expresse”.
Aussi, il dit que le président Assimi Goïta leur donne l’opportunité de demander à l’Etat, réparation des préjudices qu’il leur a causés, sans obstacle pour ce même Etat de se retourner contre le président de la Transition et tous ceux qui ont contribué à ces abus et dysfonctionnement de la justice.
Pour le magistrat Dramane Diarra, le second décret en date du 16 octobre 2023, précise en son article 3 : “Le présent décret qui prend effet à compter du 3 octobre 2023, sera enregistré et publié au Journal officiel”. Il ajoute que cette disposition confirme d’une part, l’illégalité du premier décret que le président Assimi a soulevé lui-même à travers son abrogation, et d’autre part, elle démontre les préjudices subis par lui.
La loi ne dispose que pour l’avenir
A l’entendre, d’autant qu’un acte réglementaire individuel ne peut avoir d’effet rétroactif par voie d’abrogation. En effet, le retrait et l’abrogation sont deux hypothèses de sortie de vigueur de l’acte administratif à la disposition de l’administration. “Le retrait (ce que nous vous avions demandé) a un effet rétroactif qui revient à dire que l’acte n’a jamais existé. Tandis que l’abrogation a, uniquement, un effet pour l’avenir (sa fin pour l’avenir). Quel étudiant débutant en droit ne sait pas que la loi ne dispose que pour l’avenir, elle n’a point d’effet rétroactif”, fait remarquer Dramane Diarra.
Par ailleurs, rappelle-t-il, les visas ont un sens dans un décret. Il ne s’agit pas d’un simple ornement du texte, mais de viser les seuls textes qui servent de fondement juridique aux dispositions du décret. “Or, votre décret viole l’essentiel des textes visés (Constitution, loi organique sur le Conseil supérieur de la magistrature, loi portant Statut de la magistrature). Pour toutes ces raisons, je vous demande de rétracter votre décret n°2023-0623/PT-RM du 16 octobre 2023, sans fondement et sans base légale”, conclut-il.
Boubacar Païtao