Le Premier ministre et candidat de Benno bokk Yaakaar, Amadou Ba, a eu un séjour de 4 jours en France du 6 au 10 décembre. En principe, ça devait être la chose la plus banale. Mais la visite a fait polémique au Sénégal. Mimi Touré, Cheikh Tidiane Dièye, Alioune Tine ont dénoncé une immixtion de la France dans les affaires intérieures du Sénégal. Pourtant, si Amadou Ba avait déplacé sa visite de quelques centaines voire un peu plus d’un millier de kilomètres pour aller à Londres, Madrid ou Rome, le débat ne se serait pas posé. Mais il a choisi…Paris.
Or, dans la conscience collective sénégalaise, Paris n’est pas une capitale comme les autres, il est la capitale française. En fait, si cette visite fait débat, c’est parce que la classe politique, la société civile et même quelque part les intellectuels continuent à attribuer à la France un rôle prépondérant au Sénégal. Il n’est pas question ici de nier l’influence française en Afrique et au Sénégal, encore moins accuser la France qui ne fait que défendre son intérêt comme tout pays digne de ce nom devrait le faire.
Le problème ici, c’est le réflexe de la part des Sénégalais et des Africains francophones à tout ramener vers la France. C’est ce qu’on retrouve dans cette visite à la fois du côté de la majorité présidentielle, de l’opposition et de la société civile. Si le régime en place était persuadé que le destin du Sénégal est entre les mains des Sénégalais, cette visite n’aurait pas toute l’importance qui lui est donnée. En règle générale, le déplacement d’un Premier ministre d’un pays comme le Sénégal passe inaperçu. Mais c’est parce que Apr et Benno pensent que le soutien de la France est décisif que le PM-candidat a effectué ce séjour avec tambour et trompette du côté de la majorité présidentielle.
Du côté de l’opposition, si on était convaincu que c’est le peuple sénégalais qui confie le pouvoir, on ne se serait pas offusqué de cette visite, quand bien même Paris aurait affiché un soutien public au dauphin de Macky Sall. Si Amadou Bâ avait effectué une visite en Côte d’Ivoire ou en Belgique, peut-être que nombre de Sénégalais n’en seraient même pas informés. Mais l’opposition aussi pense que la position de la France est déterminante pour la présidentielle de 2024. La société civile n’en pense pas moins.
Et c’est cet état d’esprit qui renforce l’influence de la France en Afrique. Les moindres faits et gestes de Paris sont suivis de près et largement commentés. Lorsqu’une information est publiée par un média français, on parle du ‘’très sérieux’’ Canard enchaîné ou du ‘’très réputé’’ journal Le Monde. Des qualificatifs interdits aux médias africains et sénégalais qui pourtant, tous les jours, et malgré les moyens limités, contribue à l’information du citoyen, révèlent des scandales liés à la gestion des biens publics.
Le mal est ici profond dans la mesure où tous les acteurs politiques font allégeance à Paris, consciemment ou inconsciemment, y compris les pourfendeurs de l’ancien colonisateur. Ousmane Sonko est connu pour son discours à l’encontre de la France. Mais après les évènements de mars et juin 2023, quand il a cru que les médias français lui étaient favorables, il a multiplié les entretiens sur France 24 et TV5. C’est plus tard qu’il a compris que la France ne fait que défendre ses intérêts à travers sa diplomatie, ses médias, ses agences, ses centres culturels…
En vérité, il y a un problème de décolonisation mentale qui se pose. Les Africains n’ont pas besoin d’avoir une haine contre la France. Paris doit être un partenaire comme le sont l’Allemagne, la Chine, la Turquie, la Russie, l’Inde, les Etats-Unis, l’Iran ou Dubaï, pas plus que ça, sans complexe ni haine. C’est ce travail capital qu’il faut mener. Il a déjà démarré sur le plan de la coopération avec des partenaires diversifiés, il faut l’approfondir sur le plan financier, politique, éducatif, sanitaire… pour que l’Afrique et le Sénégal deviennent enfin souverains.