L’histoire des forces conjointes contre le terrorisme a commencé en fin 2014 avec la Force Multinationale Mixte de Lutte contre Boko Haram. Composée d’environ dix mille hommes, elle a été mise sur pied par les pays du Bassin de Lac Tchad (Nigéria, Tchad, Niger et Cameroun) et le Bénin.
En mars 2015, l’Union Africaine a validé sa création en la plaçant sous la tutelle de la Commission du Bassin du lac Tchad (CBLT). Son quartier général est à Ndjaména, la capitale Tchadienne et depuis sa création elle est commandée par des généraux nigérians.
– La Force Conjointe de lutte contre Boko Haram : résultats en demi-teinte après sept ans d’existence.
Dans un rapport publié en juillet 2020, ‘’International Crisis Group’’ (ICG), note que la force a connu « quelques avancées ». « Des opérations conjointes ont permis d’endiguer l’expansion de Boko Haram en 2015 et 2016, et de faire pression sur le groupe, qui s’est scindé en trois factions, » lit-on.
Selon le document, cette tendance victorieuse s’est poursuivie jusqu’en 2019. « les opérations conjointes ont permis de faire reculer les insurgés, de libérer des civils capturés ou piégés dans les zones que Boko Haram contrôlait et de faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire, » ajoute ICG.
Cependant, la Force n’a pas réussi à éradiquer la menace. Jusqu’à présent, le groupe Boko Haram et sa faction dissidente, l’Etat Islamique en Afrique de l’Ouest, restent actifs dans les pays du Bassin du Lac Tchad même si, les attaques ont diminué d’ampleur.
Selon le chercheur camerounais Aristide Mono, les opérations de la Force n’ont pas été à la hauteur des attentes.
« Il y a un véritable problème d’intégration totale des différents contingents au sein de la Force Multinationale » note le Docteur en sciences politiques et expert en sociologie et en anthropologie de la sécurité.
Il rappelle que seules les forces tchadiennes usaient du droit de poursuite, consistant à traquer les combattants terroristes au-delà de leurs frontières. Le Dr Mono estime que le Nigéria ne s’est pas vraiment investi pour la réussite de ce projet de force pour combattre le groupe Boko Haram basé dans l’Etat de Borno dans le nord-est du pays.
« Il y a eu certes, une coalition des forces avec la création d’une institution, cependant dans la matérialité, beaucoup de réticences, beaucoup de méfiances ont été observées au point où à un moment, on a été amené à conclure que la Force Multinationale Mixte était un bébé mort-né qui a manqué de moyens pour tenir dans le temps ».
– La Force conjointe du G5 Sahel, une armée sans le nerf de la guerre
Après cette force qui continue de combattre le terrorisme dans le bassin du Lac Tchad, il y a eu la création de la Force Conjointe du G5 Sahel.
Elle a été mise sur pied en 2017 par le Mali, la Mauritanie, le Tchad, le Niger et le Burkina Faso.
Sa mission, lutter contre la détérioration de la situation sécuritaire et l’expansion des groupes terroristes dans la région.
Elle est composée d’un peu plus de cinq mille militaires venant des cinq pays. Toutefois, selon plusieurs experts des questions sécuritaires, elle présente un bilan négatif.
Pour Soumaïla Lah, un enseignant-chercheur à l’Université de Bamako et spécialiste des questions sécuritaires, la force conjointe du G5 Sahel est un échec.
Il estime que « l’échec vient surtout d’un problème d’appropriation des Etats membres du G5 Sahel qui sont restés plutôt dans une logique de recherche de financements extérieurs, de recherche d’appui en termes logistiques extérieures que de renforcement des capacités propres des armées et des systèmes de gouvernance des pays membres du G5 Sahel».
Au départ, les dirigeants de l’organisation ont élaboré un budget de 425 millions d’Euros pour rendre pleinement opérationnelle la force. Les cinq états directement concernés apportent chacun 10 millions, l’Union Européenne s’est engagée à donner une contribution de 50 millions le reste devrait être apporté par les partenaires internationaux.
En février 2018, los de la conférence des donateurs pour la Force conjointe du G5 organisée à Bruxelles, il y a eu plus de 400 Millions de promesses de financements. Finalement, seule une petite partie de ces fonds a effectivement été débloquée.
“On nous écoute avec politesse, avec un petit sourire entendu, mais à l’arrivée il n’y a pas grand-chose”, a fustigé l’ancien président du Mali, feu Ibrahim Boubacar Keïta, en marge du forum sur la paix tenu à Paris en novembre 2019.
Le problème de financement n’est qu’un point parmi les obstacles qui empêchent l’opérationnalisation réelle de la Force conjointe des Etats du Sahel.
Soumaïla Lah qui est par ailleurs coordonnateur de ‘’l’Alliance citoyenne pour la réforme du secteur de la sécurité’’ au Mali souligne que les pays du G5 Sahel ont commis une erreur en confiant tout le pilotage du processus à des partenaires extérieurs.
« Toute la logistique opérationnelle était assurée par la France. Aujourd’hui cette logistique est confiée à la Minusma (La mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali ) mais la Minusma elle-même était appuyée par la force française Barkhane, donc le problème est entier», analyse M. Lah.
Pour ne rien arranger aux difficultés de force du G5 Sahel, le Mali a décidé de se retirer de l’organisation en mai 2022. Dans un communiqué, on lit que « Le gouvernement du Mali décide de se retirer de tous les organes et instances du G5 Sahel, y compris la Force conjointe ».
Les autorités de Bamako expliquent leur décision par le refus de certains Etats membres de laisser leur pays assurer son tour à la présidence tournante de l’organisation.
« Déjà le G5 a démarré avec un pied cassé et le départ du Mali a définitivement cassé l’autre pied. Aujourd’hui le Mali constitue le nœud gordien de la présence terroriste dans le Sahel et s’il n’est pas en coordination avec les autres Etats, tous les efforts sont voués à l’échec, » commente l’enseignement-chercheur Soumaïla Lah.
Même si l’avenir de la Force Conjointe du G5 Sahel semble de plus en plus au cœur des débats, Oumarou Paul Koalaga, un spécialiste des relations internationales et des questions sécuritaires dans le Sahel, rappelle que le G5 Sahel est une organisation qui travaille aussi sur d’autres problématiques. « Les segments de la gouvernance des infrastructures, de la prévention de la radicalisation et même des questions de recherches continuent d’opérer et mènent leurs activités jusqu’à présent, » fait noter M. Koalaga pour qui, tout n’a pas échoué.
– La Force Multinationale de ‘’l’Initiative d’Accra’’ obligée d’apprendre des erreurs des autres
« L’Initiative d’Accra » est un mécanisme lancé en 2017 par le Bénin, le Togo, le Ghana, le Burkina et la Côte d’Ivoire. Son but initial était de prévenir la propagation de l’extrémisme violent à partir du Sahel et de lutter contre la criminalité transnationale organisée dans les zones frontalières.
En 2019 le Mali et le Niger ont rejoint ce cadre en qualité de membres observateurs. Le Nigéria vient aussi d’être juste accepté comme membre observateur.
Ce creuset de coopération sécuritaire a déjà permis aux pays membres d’organiser plusieurs opérations anti-terroristes conjointes dans les espaces frontaliers. En tout, il y a eu quatre éditions de l’opération dénommée ‘’Koudanlgou’’.
Elles ont permis de détruire plusieurs bases terroristes de saisir les armes et munitions, du matériels de communication et surtout, de neutraliser plusieurs combattants terroristes.
Ces opérations mobilisent des milliers de militaires venant des pays membres.
A titre d’exedmple, l’opération ‘’Koudanlgou IV’’ tenue sur cinq jours en novembre 2021, a rassemblé selon les données du ministère burkinabé de la sécurité, 5728 éléments venant des armées du Burkina Faso de la Côte d’Ivoire, du Ghana et du Togo. Entre autres, elle a mobilisé « 881 engins roulants et six vecteurs aériens. »
Le ‘’ Koudanlgou IV’’ a abouti à l’interpellation de 300 suspects, 53 armes à feu et des munitions ont été récupérées et 144 moyens roulants saisis.
Les pays de ‘’l’Initiative d’Accra’’ qui mènent déjà ces opérations conjointes ont désormais décidé d’aller plus loin : la création d’une Force Multinationale Conjointe.
Pour le moment, rien d’officiel sur son effectif ou ses moyens, seulement, au sommet des Présidents de ‘’l’Initiative d’Accra’’ le 22 novembre 2022, les dirigeants de l’organisation ont promis de rendre la Force opérationnelle dans un délai d’un mois.
Jeanine Ella Abatan, chercheure à l’Institut d’Etudes de Sécurité (ISS en anglais) se dit optimiste pour ce projet.
Elle estime que « le fait qu’on ait à la fois, des pays du Bassin du Lac Tchad, des pays du Sahel et des pays côtiers dans ‘’l’initiative d’Accra’’ offre ce cadre pour partager des expériences, pour tirer des leçons et éviter certaines erreurs qu’on a vues avec la Force de lutte contre Boko Haram et celle du G5 Sahel ».
Mme Abatan a pris part à la conférence technique de « l’Initiative d’Accra » qui a rassemblé des experts des questions sécuritaires et des acteurs de la société civile les 17 et 18 novembre 2022 dans la capitale ghanéenne.
Elle salue la décision des Chefs de l’Initiative de compter d’abord sur leurs propres moyens pour financer la Force multinationale.
« Si on, on veut lutter efficacement contre cette menace, il faut se donner les moyens de le faire, même si ces pays ne sont pas fermés à un soutien externe. C’est déjà quelque chose à encourager, » se félicite-t-elle.
Bréma Ely Dicko, un enseignement-chercheur à l’université de Bamako a aussi pis pat à la réunion des experts de l’Initiative. Il se dit aussi confiant pour cette nouvelle force conjointe.
Il fait remarquer que contrairement à la Force du G5 Sahel qui est composée d’armées plutôt faibles et en pleine recomposition à l’exception du Tchad et de la Mauritanie, la Force de l’Initiative d’Accra pourra compte sur des armées comme celle du Ghana qui sont « plus ou moins structurées et formées ».
Toutefois, il note un point qui pourrait être un obstacle à son efficacité. « Je ne suis pas sûr que des pays comme le Burkina et le Mali acceptent des soldats de ‘’l’initiative’’ sur leur sol dans un contexte où on met en avant la souveraineté. C’est l’autre équation à résoudre, » analyse le Dr Dicko.
Il invite les Etats, quelles que soient leur positions, à maintenir le dialogue et à se rendre compte que le Sahel ne peut pas lutter tout seul contre le menace parce que dans le cadre de la criminalité organisée, d’importantes marchandises viennent par les ports.
– Compter aussi avec le projet de force antiterroriste de la CEDEAO
Finalement trois forces visant un même objectif vont désormais opérer en Afrique de l’Ouest et au Sahel, deux espaces régionaux imbriqués l’un dans l’autre.
Selon le chercheur sénégalais Ibrahima Kane, il se posera un problème d’efficacité si toutes ces forces doivent se mettre en branle.
Pour lui, la meilleure option c’est de confier la lutte contre le terrorisme à la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) qui fédère déjà la plupart des pays engagés sur ces trois fronts.
Il salue donc la décision du 62e sommet de l’organisation, tenue le 04 décembre 2022, de mettre sur pied une force de lutte contre le terrorisme dans la région.
« J’imagine que s’ils décident aujourd’hui de faire intervenir la Cedeao qui était totalement absente, c’est qu’ils entendent ultimement mettre un terme à ces initiatives-là.
L’intervention de la Cedeao, son action sera certainement la plus efficace parce que dirigées, par l’organisation régionale répondant à un certain nombre de besoin mais aussi fondées sur un certain nombre de règles et de principes à la fois de la région et du continent. Cela pourrait vraiment aider à régler le problème», conclut-il.