Ils sont accusés par le Premier ministre d’avoir maquillé les comptes publics et de détournement de fonds. Mais depuis la sortie au vitriol du chef du gouvernement, vendredi dernier, ils se sont murés dans le silence. Cette posture est-elle bonne, tenable ? L’Observateur a posé la question à un docteur en communication et à un analyste politique. Extraits.
Jean Sibadioumeg Diatta, docteur en communication (Ucad)
Silence tactique. «Nous sommes dans le cadre de la communication de crise, ils sont accusés de faits extrêmement graves qui pourraient leur valoir un emprisonnement ou engendrer des conséquences politiques graves. Et la communication de crise impose d’éviter les pièges de communication susceptibles d’amplifier la crise. Ils sont dans une posture où il va falloir jouer sur la justesse de l’information. Ils vont répondre, mais avant, ils prendront le temps de chercher l’ensemble des éléments de réponse qui leur permettront de convaincre, parce que nous sommes dans une bataille d’opinion. Raison pour laquelle l’accent sera surtout mis sur la cohérence et la justesse de l’information à fournir. […] À mon avis, ce silence est une stratégie.»
Réponse provisoire. «S’ils avaient répondu hier, à chaud, ç’aurait été un argument politique, et ç’aurait été une bonne stratégie, de dire par exemple qu’ils donnaient rendez-vous ultérieurement pour apporter des éléments de réponse. Mais ce silence peut être préjudiciable parce qu’aujourd’hui, l’opinion est en train de consommer ces informations qui sont amplifiées, par les réseaux sociaux, et à un certain niveau, ce sera très difficile pour les accusés de pouvoir se relever, surtout que le pouvoir a joué sur le timing. Ils ont attendu la veille d’élections aussi importantes que ces Législatives anticipées, pour soulever ces questions qui auront sûrement des conséquences néfastes pour les candidats. Surtout pour Amadou Ba qui est arrivé deuxième à la dernière élection présidentielle, ce qui en fait un candidat très sérieux. Donc porter des accusations de ce genre à son encontre pourrait vraiment lui porter préjudice.»
Macky Sall. «À mon avis, il va plutôt contourner le sujet, on l’a vu publier sa nomination comme président du Centre mondial sur l’adaptation aux changements climatiques lors de l’Assemblée générale des Nations unies; comme pour dire que ces accusations ne l’ébranlent pas outre mesure et qu’il est dans des sphères beaucoup plus importantes.»
Diversion. «Je pense que l’Apr prendra le temps de répondre, après avoir rassemblé les éléments de réponse nécessaires. Ils vont soit adopter la stratégie de l’argument financier en démontant les accusations, ou alors la stratégie du contournement. Et cela a commencé hier : au lieu de répondre directement, certains ont créé un autre problème dans le problème, en évoquant le fait que l’actuel ministre des Finances, Cheikh Diba, était un des bras droits des anciens ministres et qu’il serait donc impliqué dans les malversations. C’est une stratégie politique communicationnelle qui marche souvent.»
Mamadou Sy «Albert», analyste politique
Silence d’or. «Pour le Président Macky Sall et les ministres qui étaient sous son magistère, ils ne peuvent pas prendre la parole dans le contexte actuel, parce qu’ils savent que c’est l’autorité étatique qui a attaqué leur gestion. Un Président sortant ne peut pas répondre à un chef d’État en exercice qui détient l’autorité des chiffres. Ce n’est pas dans les traditions de la République que des anciens ministres répondent à un pouvoir en place, il y a un problème de crédibilité qui se pose. S’ils se hasardaient à répondre actuellement, ils perdraient la face. Politiquement, ce n’est pas payant pour eux de répondre à un État qui est là pour cinq ans.»