Il ne faut pas mettre deux fers au feu, dit-on pour éviter l’embarras puis la trahison. Cet article fait suite au précédent sur la priorité à entreprendre sérieusement la libération du Mali pour instaurer la paix et, seulement après, instituer toute réforme constitutionnelle utile ! Le fait du prince et de ses courtisans peut conduire nos fils, les colonels actuels, à faire ce que bon leur semble car le jeu de la force – et de la soupe populaire – est de faire ce qui lui plaît, comme le suppose la vulgarisation annoncée, révélant enfin le bon ton et non le dépit avec la classe politique ! Le devoir nous impose donc de leur dire que la précipitation ne mûrit pas le mil et que la soupe peut faire dire les louanges du père, mais la porte du bonheur vaut mieux que celle du père ! Si c’est bien de réfléchir à la Constitution, il est mieux de penser à son clou. Kurukan Fuga n’a de sens qu’après l’extinction du feu des cases à Kirina par les porteurs de carquois dont le dugu lamini de la victoire les conduit au dankun pour les serments de l’entente ! Cet ordre des priorités qui a jadis consacré Soundiata pour le bien du Mandé, et moins le Mandé pour le bien de Soundiata, nous est plein d’enseignements aujourd’hui !
Dans le projet tel qu’envisagé, clé en main et passe-partout, nous nous perdons à mettre la charrue de la Constitution avant les bœufs de la paix ! Nous ne pouvons même pas labourer à la main, ayant manqué les dabas de la Charte de Kurukan Fuga que sont nos institutions coutumières qui définissent la personne et la nation maliennes par elles-mêmes ! Pas non plus su prévoir les autres cas pertinents de haute trahison d’un pays dont les intérêts supérieurs sont continûment trahis en s’alliant à l’étranger contre son pays ou pour un pouvoir facile. En attendant la priorité de Kirina au Mali d’aujourd’hui, c’est le mur fendu de notre case à Kidal qui symbolise l’état lamentable d’un pays où un margouillat cherche et ne trouve pas son trou. Couper sa queue le lui faciliterait-il comme le dit notre adage ou serait-on gêné par la Minusma qu’on fait rester finement y compris par des manœuvres allemandes, ou bien un margouillat ailleurs doublerait-il le problème que d’étranges politiciens voudraient négocier ? Mais encore l’adage nous avise de ne pas attendre que le bilakoro ait mis le margouillat sur le dos pour le sauver !
Comme d’habitude ce texte n’offre pas les discours descriptifs sur ce que chacun vit et sait déjà, ni le rendu naïf des leçons des autres, leurs dictées de procédures ou de sentences partisanes par spécialistes convenus. Encore moins la rhétorique d’agitation opportuniste pour se faire voir entre francophones suivistes dans leur panier à crabes. On honore juste le lecteur de son état d’adulte de réfléchir pour soi-même et par ses propres actes. On alerte juste le lecteur de tout fait accompli constitutionnel. Il est libre de ne pas voir ce qu’on lui montre : ni la république ni l’islam nous assure la liberté de culte mais la tolérance génétique intrinsèque à notre civilisation africaine ! Gare donc à toute discrétion des religieux sur nos institutions étatiques ! La laïcité est pour nous vide voire nocive et s’en laisser dominer est comme porter le talisman béni des autres ! Gare aussi aux aliénations du malien qui découvre à la fin du Ramadan que sa vraie ferveur religieuse est le culte d’une république d’emprunt dont un président de ‘la démocratie’ récitait ‘Tu seras un homme mon fils’ et ses imams miment la culture arabe ! Bref, nous sommes au dankun, au carrefour idéologique, d’où il faut se dégager de l’aliénation du conditionnement mental pour être soi-même et se libérer.
Il faut craindre des cases qui brûlent par les autorités intérimaires et autres exactions quotidiennes sur les populations du pays qu’une ‘nouvelle’ Constitution ne les cimente ou que l’application ‘intelligente’ de ‘l’Accord d’Alger’ ne les légitime ! Pour autant qu’une révision soit perçue par ses colonels comme une bouée de sauvetage, les maliens et leur jeunesse sommés d’y voir un miracle risquent d’apercevoir les bonbons et sucettes des moules de l’instabilité et des germes de la partition dans la loi fondamentale ! Après les distractions de mots, c’est l’appât de la mangeoire pour un sénat avec ses ‘légitimités traditionnelles’, la présidentialisation extrême avec l’offre aléatoire de démettre son roi, etc. Les événements actuels au Soudan montrent la suite d’une partition programmée… D’ici là, notre présent est la continuité de l’État du régime de ‘l’accord qui doit modifier la Constitution’ : la mise à la retraite est appelée coup d’État et le coup d’État appelé nouvelle Constitution ! La laïcité est enrobée du goût biblique mal digéré par notre élite : déshabiller Pierre pour habiller Paul !
Il faut bien noter que si la bataille de libération n’a pu avoir lieu, le dankun serait appelé sirafara, qui conduit au …Sosso ou plus loin encore avec les guerres de mercenaires ou par procuration, où nous avons les morts et déplacés, les greniers incendiés et le bétail enlevé, les écoles et mairies fermées, les sanctions et les élections mais pas les victoires. Pour avoir celles-ci, il nous faut dissiper l’écran de fumée qui émascule nos armées et invalide nos esprits pour sortir du piège des mots et des séquences et écrire une Constitution des rapports de force de la paix et non de ceux de l’occupation, c’est-à-dire contenant les choses dont nous avons besoin et non celles dont on nous dit avoir besoin. Sinon, nous pâtirons encore des mots et concepts tels laïcité, démocratie, DDR, etc. dont pourtant les équivalents et des meilleurs existent déjà dans nos valeurs et héritages, un peu comme on fait l’impasse des richesses sous vos pieds avec des papiers entre vos mains tels titres, CFA, Accord, etc. !
Car la poursuite de tout enjeu valable requiert le discernement de bien le faire et non simplement la fabrication d’opinion pour le faire croire ! C’est au Mali actuel où l’on peut semer le plus de malheur que faire le bien s’honore le plus. Les maliens voient que malgré l’armée faisant beaucoup de communication, avec Dirpa active, matériel impressionnant et ‘démissions’ de rebelles, les populations souffrent de cette priorité constitutionnelle sur la priorité sécuritaire ! À la télé, l’armée monte en puissance, sur le terrain, hélicos, avions et drones montent en altitude, mais les populations sentent la montée en puissance des bandits armés ! C’est comme si les colonels pouvaient effrayer les bandits mais pas les anéantir ! Les maliens sauront-ils leur montrer raison et ne pas être en laisse ? Sur qui comptera-t-on quand ceux perçus comme patriotes ont tous coopéré à rédiger une Constitution sans discernement de contexte ? Qu’arrive-t-il au Mali des grands hommes ? Il faut espérer qu’il aura tôt ou tard son enfant prodigue avec l’augure et les capacités de sa sécurité et intégrité et de son essor et développement ! Ce sera l’objet du prochain article où le dugu lamini conduira au dankun…
Amadou Cisse
Fonctionnaire à la retraite de la Banque mondiale et
Ancien membre de son Conseil d’administration
Washington, DC