Dans cette nouvelle édition de L’Afrique en marche, Hassen Boubakri, professeur de géographie et des études de migration à l’Université de Sousse, en Tunisie, livre ses analyses des facteurs politiques, géographiques et historiques qui sous-tendent les dynamiques migratoires vers l’Europe.
“La
migration irrégulière maghrébine et subsaharienne vers l’étranger traduisent l’existence d’écarts de développement et d’intégration socio-économique entre les régions attractives du littoral et des grandes villes d’un côté, et les régions répulsives de l’intérieur et du Sud de l’autre”, affirme à Radio Sputnik Afrique Hassen Boubakri, professeur de géographie et des études de migration à l’Université de Sousse et président de l’ONG Centre de Tunis pour la Migration et l’Asile.
Selon lui, “l’Afrique subsaharienne est devenue depuis le milieu des années 90 du XXe siècle une zone fort pourvoyeuse de migrants pour tous les pays d’Afrique du Nord, en raison de trois facteurs principaux : l’explosion démographique, l’élargissement de l’écart de développement avec les pays d’Afrique du Nord et avec les pays développés, l’éclatement des guerres civiles et ethniques en Afrique orientale, centrale et occidentale etc.”
Néanmoins, il indique que la guerre en Libye en mars 2011 a été un facteur aggravant du phénomène migratoire. En effet, “la Libye a toujours été considérée comme un pays de destination pour l’immigration. Selon les données de l’Organisation internationale pour les migrations, en 2011, il y avait environ 2,5 millions de travailleurs migrants en Libye. Ces migrants venaient principalement des pays voisins, mais également de l’Asie et de l’Europe de l’Est”, rappelle-t-il. “Les portes de la Libye étaient ouvertes”.
Et de poursuivre, “les effets de la guerre en Libye, [déclenchée par l’intervention de l’Otan sous instigation française en 2011, ndlr], se sont étendus aux pays du Sahel. Les réseaux criminels de trafic de migrants et de traite des êtres humains ont transféré des centaines de milliers de migrants africains vers la Libye principalement, puis vers l’Europe, durant la décennie 2011-2020”. “À partir du moment où il y a certaines puissances qui ne veulent pas qu’il y ait une stabilisation de la Libye, les groupes armées vont continuer à faire des trafics aussi bien de migrants que de pétrole, des armes ou de la drogue”, avertit Hassen Boubakri.
Pour le chercheur, la politique des anciennes puissances coloniales et “la façon dont elles exploitent et pillent les ressources du continent aboutissent à des conflits internes dans les pays africains. Si on ne règle pas cette question, on ne peut pas avancer et nous aurons de plus en plus des migrants”. Pourtant, suggère M.Boubakri, “si ce bousculement de l’ordre mondial que nous souhaitons aboutisse à ce que l’Afrique prenne son destin en main, on verra peut-être un jour les flux migratoires s’inverser”.
Enfin, il estime qu’”au de-là de toutes considérations, la résolution du problème des migrations irrégulières à partir des pays du Maghreb, comme du reste de l’Afrique, ne peut être obtenue que grâce à l’encouragement et à la mise sur pied de réelles et courageuses politiques économiques et sociales productives de richesses et créatrices d’emplois dans les zones de départ et de transition”.