Dans cette interview, le journaliste sportif, chroniqueur et consultant decortique les resultats du premier tour et des huitiemes de finale du Mondial, parle des pays et des joueurs qui l’ont impressionne et porte un regard sur les quarts de finale qui debutent aujourd’hui
L’Essor : Depuis le mardi 6 décembre, le tableau des quarts de finale affiche complet. Est-ce que vous vous attendiez à voir tous ces pays à ce stade de la compétition ?
Gaoussou Drabo : Il est vrai que ce Mondial 2022 n’a pas été avare en sensations lors de ses deux premières semaines. Il a eu un côté retentissant à travers le résultat inattendu de certaines rencontres, mais il a laissé en fin de compte la logique prévaloir. Les surprises n’ont pas manqué, ni en matches de poule, ni lors des huitièmes de finale. En ce qui concerne les résultats les moins attendus, il y a eu les qualifications pour les huitièmes de finale obtenues par les nations asiatiques (Japon et Corée du Sud) au terme de rencontres épiques. Il y a eu aussi les deux impressionnants coups de tonnerre qui ont marqué l’entrée en lice de l’Argentine défaite par l’Arabie Saoudite et de l’Allemagne surclassée par le Japon.
La logique a été également bousculée avec ce que les Tunisiens et les Camerounais ont réalisé contre la France et contre le Brésil. Mais il faut relativiser ces exploits obtenus face à des teams qui s’étaient passé d’un contingent important de joueurs majeurs. Mais les huitièmes de finale ont été marqués par le retour à l’ordre et le rétablissement d’une certaine hiérarchie. Cela sans que les favoris ne puisent outre-mesure dans leur potentiel.
Le vécu accumulé dans la compétition de haut niveau a été déterminant par exemple dans les qualifications-éclairs du Brésil, de l’Angleterre et de la Croatie. Ces sélections ont démontré avec un réalisme chirurgical que l’essentiel est juste de savoir tirer dans un délai minimum un avantage maximum de son temps fort. La qualification des Lions de l’Atlas n’est qu’une demie surprise. Les sélections ibérique et marocaine se tiennent de très près, même si l’Espagne développe un jeu offensif plus séduisant et démontre une plus intéressante maîtrise tactique.
L’Essor : Jusque-là quelles sont les sélections qui vous ont séduit et celles qui vous ont déçu ?
Gaoussou Drabo : À ce stade de la compétition, l’impression la plus agréable a été dégagée par les sélections de l’Amérique du Nord, c’est-à-dire le Canada et les états-Unis. Toutes deux sont certes handicapées par le manque d’expérience de leurs effectifs. Mais elles sont résolument tournées vers l’offensive quel que soit l’adversaire qu’elles affrontaient et se sont efforcées de rester fidèles à leurs principes de jeu. L’Arabie saoudite entre dans la même catégorie de teams prometteurs, mais n’a pas démontré la même constance que les Canadiens et les Américains.
Au nombre des déceptions, je citerai la Belgique, troisième au classement FIFA lors du Mondial précédent et qui a chuté lamentablement face au Maroc dans les éliminatoires de poule. Les Diables Rouges ont connu la même érosion dans leur jeu que l’Espagne en 2014 et l’Allemagne en 2018 avec sous l’effet conjugué du vieillissement des cadres, du manque de qualité de la relève, des prises de bec des joueurs et de la perte d’autorité du coach sur son vestiaire.
L’Essor : Aucun pays n’a réussi à faire carton plein au premier tour, c’est-à-dire remporter ses trois matches. à votre avis, qu’est-ce qui explique cela ?
Gaoussou Drabo : On pourrait tout d’abord invoquer la forte mobilisation des équipes dites moyennes qui se sont transcendées pour réussir un exploit parfois sans lendemain face aux favoris. Mais la raison principale des résultats en zigzag est liée au calendrier très particulier du présent Mondial dont le déroulement est en déphasage avec celui de toutes les précédentes éditions. Ce calendrier a contraint les grands championnats européens à adopter une cadence par moments infernale dans le déroulement de leurs matches et a privé les joueurs d’une vraie pause qui leur aurait permis d’affiner leur préparation physique. Pour limiter la charge sur les footballeurs, la FIFA a certes accordé un nombre plus élevé de remplacements, mais cette mesure constitue un palliatif à effet discutable.
Les entraîneurs préfèrent recourir à une mesure qui leur est plus familière : faire souffler autant de titulaires que possible lorsque le match est dépourvu d’enjeu crucial. Mais la méthode a ses inconvénients dont le principal est de faciliter les choses pour l’adversaire et de se retrouver avec une défaite vexante. C’est un tel retour de bâton qu’ont subi la France, le Brésil et le Portugal qui pour les troisièmes rencontres dans leurs groupes respectifs, ont mis au repos presque toute leur équipe-type.
L’Essor : Quels commentaires vous inspire la prestation des cinq représentants africains, à savoir le Maroc, le Sénégal, la Tunisie, le Cameroun et le Ghana ?
Gaoussou Drabo : Il y a quelques jours sur la radio BBC, un auditeur africain se désolait de ce que les sélections de notre continent ne gagnent que ce qu’il a appelé «les matches compliqués». Comme par exemple les rencontres d’ouverture de la Coupe du monde qui les opposaient aux champions en titre, rencontres remportées par le Cameroun face aux Argentins ou encore le Sénégal aux dépens de la France en 2002.
L’analyse est lapidaire, mais pas erronée. Avec les effectifs dont ils disposaient le Cameroun n’aurait pas dû être battu par la Suisse, ni le Sénégal par les Pays-Bas, encore moins le Ghana par l’Uruguay. à l’inverse, dans des rencontres sans vrai enjeu, la Tunisie extrêmement médiocre jusque-là et le Cameroun objectivement condamné à une non qualification, ont pris le meilleur sur la France et le Brésil.
Les prestations erratiques de ces sélections et leur incapacité à affronter une très forte pression contrastent avec la maturité tactique du Maroc qui, dans un match d’une rare intensité, a su autant imposer la qualité technique de sa sélection qu’accepter de souffrir ensemble et de tenir bon lorsque l’adversaire est aussi difficile à contrer que l’était la sélection espagnole. Ceci dit, je crois qu’avec le temps, certaines révélations concernant l’envers du décor des sélections africaines se feront et aideront à comprendre les raisons des choix très contestables faits par les coaches.
L’Essor : France-Angleterre sera l’un des plus gros chocs des quarts de finale. Comment voyez-vous cette confrontation entre les champions du monde et les vice-champions d’Europe ?
Gaoussou Drabo : La France, si elle maintient la qualité de jeu démontrée contre la Pologne, partira légèrement favorite. Non pas uniquement parce qu’elle tient en Mbappé un attaquant quasiment inarrêtable. Mais surtout à cause de l’abattage impressionnant de son milieu de terrain (Griezmann – Tchouaméni – Rabiot), de la récente entente Giroud-Mbappé et du danger que représente Ousmane Dembélé sur l’aile droite. Par contre, les Français devraient s’interroger sur les raisons de la forte baisse de régime enregistrée par toute l’équipe lors du deuxième quart d’heure de la première période contre les Polonais.
La Pologne n’était pas loin à ce moment de prendre l’avantage, encouragée qu’elle était de surcroît par les bourdes du portier Lloris. Demain, face à des attaquants extrêmement véloces et face à un milieu anglais certes peu créatif, mais infatigable dans son harcèlement, un passage à vide français se paierait cher. Une des questions majeures qui se pose est donc de savoir si le trio Griezmann – Tchouaméni – Rabiot aura entièrement récupéré de ses efforts consentis en huitièmes de finale. Un trou d’air dans ce compartiment-là sonnerait le glas des ambitions françaises.
L’Essor : Selon vous, quel pays fait figure de favori du Mondial, et pourquoi ?
Gaoussou Drabo : À mon avis, le Brésil et la France se détachent du petit peloton des favoris. Le premier peut compter sur une incroyable armada de joueurs offensifs capables d’apporter des solutions individuelles si jamais le jeu collectif se grippait. Il a récupéré un Neymar qui s’est défait de ses simagrées de star capricieuse et qui se montre (enfin) prêt à tous les efforts pour conquérir un trophée majeur.
Quant au verrou de sécurité Casemiro – Militao – Marquinhos, il s’est montré jusqu’à présent irréprochable. Mais surtout et avant tout, le Brésil a visiblement récupéré cette joie de jouer, cette confiance en soi et cette insouciance affichée sans complexe qui autrefois l’avaient propulsé vers le succès.
En ce qui concerne la France, Didier Deschamps a eu l’habileté nécessaire d’avoir non seulement résolu plusieurs de ses casse-têtes, mais de les avoir également transformés en atouts. Le forfait de Karim Benzema permet au coach d’opter résolument pour le tandem Mbappé-Giroud dont l’entente – enfin réelle – va en se renforçant au fil des matches et de confier l’animation de son aile droite à Ousmane Dembélé.
L’absence de Paul Pogba et Ngolo Kanté, que beaucoup annonçaient comme catastrophique, a été complètement et avantageusement compensée par l’émergence de Tchouaméni et surtout l’épanouissement de Rabiot. Cependant, l’entraîneur français n’a toujours pas trouvé de formule satisfaisante pour son arrière-garde dont les titulaires oscillent entre le passable (Lloris, Varanne, Théo Hernandez, Upmeccano) et le très inquiétant (Kundé).
L’Essor : Que pensez-vous du niveau général des sélections ? Le calendrier de la Coupe du monde a-t-il joué sur les joueurs ?
Gaoussou Drabo : Ainsi qu’analysé plus haut, le calendrier inédit de la Coupe du monde a imposé de très grosses et inhabituelles contraintes aux sélections (dans leur préparation) et aux joueurs (dans le maintien de leur état de forme). Le niveau des matches s’en est ressenti puisque tous les favoris ont cherché à s’économiser et ont «fermé boutique» une fois qu’ils avaient réussi à prendre l’avantage.
Les rencontres de très haut niveau – telles que France-Pologne ou Espagne-Maroc – ont été rares. Tout naturellement les joueurs des «grandes équipes» ont adhéré à la démarche des encadrements et ont également tiré le frein à main aussi souvent qu’ils l’ont pu. Car ils savent que le temps de récupération post Mondial sera bref et que les compétitions de clubs reprendront intensément juste après les fêtes de fin d’année.
Pour le moment, la qualité du Mondial a été partiellement sauvée par l’engagement et par l’enthousiasme des nations moyennes en commençant par les plus expérimentées (comme le Japon, la Corée du Sud et la rugueuse Uruguay) et en incluant les moins rôdées (Canada, états-Unis, Iran et équateur). Il est cependant possible qu’à partir des quarts de finale la qualité fasse un bond en avant et que les équipes se montrent moins avares dans leurs efforts.
L’Essor : Sur le plan individuel, quels sont les joueurs qui vous ont impressionné ?
Gaoussou Drabo : Il serait difficile dans ce classement provisoire d’exclure Kylian Mbappé, meilleur marqueur du tournoi et auteur de deux buts superbes contre la Pologne. L’attaquant français est parfois agaçant par sa suffisance. Mais ce sont de purs talents comme lui qui font aimer le football.
Juste derrière Mbappé, il faudrait faire une mention spéciale pour Messi qui ambitionne de terminer sa carrière internationale avec une consécration au Qatar. L’investissement du Messi de la sélection argentine est fondamentalement différent de celui du Messi du PSG et il est admirable lorsqu’on sait l’âge du joueur. Je terminerai par Modric qui, comme Messi, est régulièrement enterré, mais qui ressuscite littéralement en sélection serbe pour le plus grand bénéfice de ses coéquipiers.
Derrière ce trio des «évidents», une mention toute particulière doit être faite à Vincent Abubakar. Il avait été vilipendé par les bien-pensants à la dernière CAN, parce qu’il avait eu la franchise de critiquer publiquement certains de ses coéquipiers qui ne s’investissaient pas suffisamment. Aujourd’hui, il s’est donné une stature d’intouchable, mais fait aussi regretter que son exemple soit si peu et si mal suivi dans la sélection camerounaise.
Le Mondial a aussi plus confirmé que révélé de bons joueurs dont le mental est à saluer, car ils font honneur à leur statut de leaders. Comme l’équatorien Valencia, le Sud-Coréen Son, les Marocains Achraf Hakimi et Hakim Zyech. Mais comme je le disais, le plus dur est à venir. Attendons pour confirmer les plus méritants.
L’Essor : Et du côté des entraineurs ?
Gaoussou Drabo : Si vous le permettez, je me limiterai à citer Walid Regragui, l’entraîneur du Maroc qui a réussi le difficile exploit de transformer un assemblage d’egos en une machine à jouer. Qu’on se rappelle que les Lions de l’Atlas ont aligné deux éliminations piteuses lors des deux dernières éditions de la CAN, alors que leur valeur intrinsèque les destinait à la consécration continentale. Rappelons aussi que Regragui a été nommé entraineur de l’équipe nationale le 31 août 2022, soit trois mois seulement avant la Coupe du monde. Soulignons enfin qu’il a travaillé insensible aux supputations sur son éventuel échec (il a succédé au pied levé à Vahid Halilhozic qui comme à son habitude avait transformé la sélection en champ de mines en exigeant avant tout la docilité des sélectionnés).
Walid Regragui avait insisté sur la radio Médi 1 sur l’importance de stabiliser l’atmosphère à l’intérieur du groupe. Pari réussi et performance à renouveler face au Portugal. Objectivement, le coach n’a pas bénéficié de conditions de travail meilleures que celles de ses autres collègues africains qualifiés au Mondial. Il s’est surtout employé à écarter tout ce qui pouvait parasiter son discours d’entraîneur et l’empêcher de faire adhérer pleinement les joueurs à l’exigence de performance. Cette exigence qui est résumée par la tranquille audace de la «Panenka» de Hakimi lors de la séance des tirs au but contre l’Espagne.
L’Essor : L’utilisation de la VAR suscite toujours la polémique. Que pensez-vous de cette technologie ?
Gaoussou Drabo : Effectivement l’usage de la VAR reste encore à améliorer. Des efforts suivis doivent venir des arbitres et des instances du football. Les premiers ne doivent pas chercher à se «déresponsabiliser» par des recours prolongés à la technologie pour des situations qu’ils sont aptes à apprécier rapidement. Les seconds doivent faire comprendre au public que la VAR aide à réduire la marge des erreurs arbitrales dans des situations bien précises, mais ne constitue pas une panacée contre la polémique.
Les plus raisonnables devraient se tourner vers le championnat anglais. Là-bas, les arbitres sont coutumiers d’une gestion intelligente des situations difficiles, usent de la pédagogie pour pacifier les rapports entre les protagonistes et désamorcent les tensions avant que celles-ci ne débouchent sur des dérapages. Si bien que lorsqu’ils font intervenir la technologie, la crédibilité dont ils bénéficient réduit la radicalité des polémiques.
Interview réalisée par
Souleymane Bobo TOUNKARA