Naguère accueillie avec une euphorie à réduire au complexe les leaders les plus emblématiques de la tyrannie sous-régionale, la démocratie en Afrique de l’Ouest est manifestement en perte de vitesse si elle ne présente les symptômes d’un mortel essoufflement. Sous les coups de boutoir de ses nombreux désabusés et désillusionnés, elle subit de plein fouet, sous le regard médusé de ses adeptes et autres gardiens du temple, la démystification par ses adversaires opportunistes. Exit l’intangibilité des frontières entre l’audace de transiger sur ses normes et la témérité de les transgresser jusqu’à la désacralisation. Certes, les fameux balises du «Protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance» ne sont pas encore totalement démantelés mais, depuis la levée des sanctions infligées à ses contrevenants, les instances communautaires sentent comme la contrainte de s’accommoder d’un triomphe de la tyrannie et une puissance devant les contre-valeurs qu’elle implique : des leaders politiques sont condamnés à l’exil à défaut de périr en détention, des voix dissidentes sont réduites en silence par la terreur d’une certaine justice sélective et aux ordres, des dispositions constitutionnelles sont tripatouillés à l’envi au nom de textes de fortune, des libertés individuelles et collectives sont allègrement voilées au nom d’une lutte contre l’insécurité, etc.
Et dire que les tenants de cette tendance subversive n’ont chiche d’afficher fièrement leurs traits communs, leur communauté de destin et de se distinguer par des démarches fractionnaires défiantes de l’ensemble communautaire.
Bras dessus, bras dessous, le trio d’Etats putschistes, uni par les retombées politiques d’un hypothétique exploit antiterroriste aux frais de Vladimir Le Terrible, vient de s’illustrer par la démarche très audacieuse de faire bande à part dans un envol fédéraliste. Une initiative noble, mais aussi le prolongement des laborieux efforts d’ennoblissement de pouvoirs imposés par la force – et qui ne désespèrent pas de s’installer dans la durée en déjouant par la volition populaire leurs engagements communautaires les uns après les autres.
C’est pour les besoins de cette cause, en définitive, qu’une corporation des chefs putschistes est en gestation – à défaut d’être porté sur fonts baptismaux – et s’illustre déjà par des méthodes qui n’ont rien à envier aux postures pour lesquelles les contempteurs de la CEDEAO la tourne en dérision à coups de caricatures du genre «syndicat des chefs d’Etat». En effet, c’est bien par-dessus la tête de leurs peuples respectifs que les trois autorités de Transition se sont engagées à donner forme à la rencontre de leurs chefs de la diplomatie dans un document aux allures de manifeste. Duquel conclave un embryon communautaire donne l’air de couver, à en juger par leur intention de mettre en musique tant d’actions et d’initiatives dans une pléiade de domaines de la vie socio-économique. L’aventure ne sera peut-être pas poussée au point d’inspirer une communauté parallèle, mais pour sûre, elle pourrait viser le gain d’une absoute pour tous les péchés et souillures antidémocratiques ayant prévalu à l’excommunication des trois Etats putschistes. Ils en sont d’ailleurs ouvertement demandeurs mais avec leurs propres conditions : accepter la sécurité et l’apaisement comme préalable au retour à l’ordre constitutionnel. Mais, au delà de leurs manœuvres communes pour s’inviter à la table des quinze, le nouvel axe triangulaire ne fait aucun mystère de ses velléités de noyautage des instances communautaires. Aussi indigne qu’elle puisse paraître, cette prétention des bannis de la CEDEAO ne tire pas moins parti de la noblesse mitigée de leurs «bannisseurs», tant ces derniers sont liés et gênés aux entournures par leurs propres turpitudes : le brigandage des mandats par tripatouillage constitutionnel au Sénégal et en Côte d’Ivoire. Et lorsque la manœuvre est adoubée jusqu’à l’échelle internationale, elle ouvre plus de brèche dans le discrédit.
A KEÏTA