Après l’élection présidentielle de 2013, qui a vu accéder au pouvoir Ibrahim Boubacar Keita, candidat malheureux aux scrutins de 2002 et 2007, les Maliens avaient nourri beaucoup d’espoir, que fort de sa légitimité populaire M. Keita réussirait à poser de nouvelles bases de négociation avec la rébellion dite touareg.
En effet, l’Accord préliminaire à l’élection présidentielle et aux pourparlers inclusifs de paix au Mali, signé à Ouagadougou le 18 juin 2013 par les autorités de la Transition (autrement appelé, Accord préliminaire de Ouagadougou), a été dénoncé par une bonne partie de la classe politique et de la société civile malienne. A part le fait qu’il a consacré un cessez-le-feu entre les belligérants et permis l’organisation du scrutin présidentiel dans les régions du Nord, la mention du terme « Azawad » consacrant la dénomination politique des régions du Nord du Mali par les groupes armés rebelles (article 20), le cantonnement sans désarmement (article 10), la composition égalitaire des commissions chargées de la mise en œuvre de l’Accord, la délimitation biaisée des matières à négocier par le prochain pouvoir élu, ont constitué aux yeux de beaucoup de maliens des concessions inacceptables.
IBK, après son investiture et fidèle à sa promesse de campagne, essaya de rétropédaler au sujet des pourparlers de paix. Il affirma, le 19 décembre 2013, lors d’une interview à la faveur de l’inauguration d’une infrastructure hydroélectrique à Kayes : « aucun rebelle ne saura se hisser à ma hauteur, pour discuter d’égal à égal ».
Le ton était donné, le Président de la République ne voulait plus négocier avec les rebelles tant qu’ils n’auront pas désarmé, alors que les parrains de la rébellion, comme gage d’une négociation équilibrée, soutenaient le contraire. Pour faire plier le Président, après seulement quelques mois de son élection, on révéla dans les médias des affaires scandaleuses le concernant : achat douteux d’avion présidentiel à hauteur de près de 20 milliards de F CFA, en fin 2013 ; affaire Tommy, mai 2014, où il est accusé de s’être fait corrompre par un richissime homme d’affaires corse, du nom de Michel Tommy, considéré en France comme un parrain de réseaux mafieux.
Ces scandales ont démystifié l’homme ; l’intégrité et l’incorruptibilité dont la masse l’affublait se décomposèrent ; sa popularité en a pris un gros coup.
Le coup de grâce viendra avec la débâcle de l’armée à Kidal, en mai 2014.
Tout devait se passer comme une simple visite d’un PM, chef de l’Administration publique, dans une de ses circonscriptions. Mais, les circonstances du voyage auguraient d’une situation pour le moins tendue.
En effet, le Premier ministre Moussa Mara avait annoncé au moins une semaine en amont, son intention de boucler sa tournée de contrôle administratif dans les régions, par Kidal où était cantonné à la faveur de l’Accord préliminaire de Ouagadougou un contingent de l’armée malienne. La coalition des groupes armés rebelles aux commandes à Kidal, trouvait cette visite prématurée ; d’autant plus qu’il n’y avait encore eu aucun Accord de paix qui scellait le statut de Kidal.
Les partenaires internationaux ayant participé aux négociations de Ouagadougou, avec la France en tête, ont cherché par tous les moyens de dissuader le Premier ministre Mara d’effectuer cette visite, de plus en plus problématique.
Le Premier ne pouvait pas comprendre, le Président IBK non plus, encore moins l’opinion publique nationale, que la tournée du gouvernement dans toutes les régions fasse abstraction de Kidal. Ce serait la preuve que Kidal n’est pas malien, contrairement aux termes de l’Accord préliminaire de Ouagadougou, qui consacraient le respect de l’intégrité territoriale et de l’unité nationale par les parties signataires.
Fort de ce soutien national, il maintint sa décision et prit les précautions de sécurité auprès du Chef d’État-major général des Armées, le Général Mahamane Touré. Ce dernier le rassura de toutes les mesures de sécurité prises, pour que sa visite se passe sans dégâts. Promesse qui ne sera pas tenue.
Avant de prendre son départ à Gao, son Ministre de la Défense, Soumeylou Boubeye Maïga, se plaignit d’un mal de ventre pour être excusé de la délégation. Personne n’était dupe. Il avait été réticent à cette mission et cherché même à convaincre le Premier de son report, sans succès.
La délégation ministérielle atterrit à Kidal, le 17 mai 2014. Son cortège a été hué et a subi quelques jets de pierre d’une poignée de protestants civils, de l’aérodrome au Gouvernorat de la région où devait se tenir une rencontre entre le Premier ministre et les chefs des différentes circonscriptions administratives, en l’occurrence une cinquantaine de préfets et sous-préfets. Les requêtes de renforcement du convoi de sécurité, par la Minusma et les forces françaises présentes, sont restées sans suite. Le Premier ministre dût se contenter du contingent de l’armée malienne, admis à Kidal un an plutôt avec un armement léger.
Arrivés au Gouvernorat, symbole de l’autorité de l’Etat malien, et la réunion à peine commencée, les rebelles lançaient leur surprenant assaut. Sous le feu de l’ennemi, le Premier ministre fut évacué immédiatement au camp de la Minusma, laissant derrière, les préfets et sous-préfets. Peu de temps après, le Gouvernorat tomba, et la plupart des officiels furent massacrés.
Le soir, interviewé sur RFI, le Premier ministre déclara à raison, que le Mali venait de faire l’objet d’une déclaration de guerre et que nous n’avions d’autre choix que de nous défendre.
Le lendemain soir, en entrant à Bamako, il fut accueilli en héros et escorté par la foule jusqu’au domicile du Président. Ce dernier le félicita pour son courage et assura que le voyage avait été fait sur son instruction. Toutefois, il se garda de corroborer les propos de son Premier ministre, selon lesquels le Mali était désormais en état de guerre contre les groupes armés rebelles. Et jusque-là, il ne s’était pas adressé à la Nation.
Il le fera le 19 mai 2014, 48 heures après les évènements, pour inviter publiquement au dialogue avec les groupes armés rebelles, tout en préparant une opération militaire de reconquête du Gouvernorat. En prenant ainsi le contre-pied de son Premier ministre, il manquait de défendre son peuple, comme il avait fait serment de le faire.
Quand une Nation subit un acte d’agression de la sorte par des groupes de rebelles, l’objectif ne doit en aucune façon être de récupérer un bâtiment occupé, mais de détruire les capacités de nuisance de ces malfrats. Et pour cela, on ne mobilise pas une opération militaire, on mobilise toute la machine de guerre et on mobilise tout le peuple.
La bonne stratégie ayant fait défaut, l’opération militaire sécrète déclenchée le 21 mai, échoua. D’après des témoignages de soldats, elle réussit momentanément à reconquérir le Gouvernorat. Aussitôt après, l’ennemi reçut des renforts dont certains seraient des soldats français, avec une tactique et des armes sophistiquées, pour forcer les troupes maliennes à abandonner leur position et se replier sur Gao. Le camp militaire malien à Kidal fut également évacué. Le Mali venait de perdre toute présence officielle à Kidal.
Le Président réagit à cette défaite, par l’abdication. En pacifiste bon teint, il cherchait un cessez-le-feu, que le Président mauritanien, Président en exerce de l’UA, lui obtint le 23 mai. Le Mali venait de se faire humilier une nouvelle fois.
En résumé, dans le démembrement de Kidal, la responsabilité morale et politique est celle du Président IBK lui-même : il ne s’est pas assuré que Mara disposait de tous les moyens dont il avait besoin ; quand la Minusma et la France lui ont refusé leur appui sur le terrain, IBK devait menacer de les dénoncer et de rompre avec elles ; après l’acte d’agression de l’Etat, de tentative d’élimination du Premier ministre du Mali, IBK devait appeler à la mobilisation générale et engager une guerre totale contre la présence des rebelles à Kidal.
Quant au Premier ministre Mara, il a commis deux erreurs : le fait de quitter le Gouvernorat sans les préfets et sous-préfets qu’il avait invités à le rencontrer, sauf s’il y était contraint manu-militari ; quand IBK s’est rebiffé, à son retour, pour dialoguer avec les rebelles, il devait toute suite démissionner, pour ne pas avoir à partager le fardeau moral d’encourager l’impunité de ceux qui ont attenté à la vie des dizaines de représentants de l’Etat à ses côtés. Parce que personne n’a payé pour ces crimes, comme il en a été de même pour les soldats maliens froidement abattus à Aguel-hoc, le 24 janvier 2012.
Le Président IBK, dorénavant, ne parlait plus que de négociation de paix avec les rebelles. Et les premières rencontres furent introduites par le même Premier ministre, Moussa Mara, qui avait été malgré lui à la base de toute cette malheureuse aventure. Il devait négocier avec ceux-là qui ont massacré ses préfets et sous-préfets sur leur propre site administratif. C’était la honte de trop qui devait le convaincre à présenter sa démission au Président. Il préféra son fauteuil. Hélas !
Ainsi, le gouvernement malien entama-t-il les négociations à Alger, sous la houlette de l’actuel Ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, Abdoulaye Diop, dans des conditions de faiblesse orchestrées sur le terrain.
En résultat, il signa au bout de six mois de négociation, un Accord de paix à Bamako, le 15 mai et 20 juin 2015, qui a cristallisé les positions et semé les germes d’un fédéralisme déguisé.
En effet, l’Accord dit d’Alger n’a fait que codifier les désaccords entre les parties, et les renvoyer au jugement des rapports de force sur le terrain. On y trouve une chose et son contraire, notamment :
- la connotation géographique et politique de l’Azawad, défendue par la CMA (préambule, deuxième paragraphe) ;
- la connotation culturelle et mémorielle de l’Azawad, défendue par le gouvernement (article 5, alinéa 2) ;
- le statut particulier des régions du Nord, défendu par la CMA (article 4, Titre III et IV, à travers entre autres, une représentation majoritaire des ressortissants des régions du Nord dans la fonction publique des collectivités territoriales, une meilleure représentation dans les institutions et grands services publics, corps et administrations de la République, un soutien prioritaire de l’Etat et des partenaires dans le cadre des appuis au développement au titre de cet Accord) ;
- la promotion d’un développement équilibré de l’ensemble des régions du Mali, tenant compte de leurs potentialités respectives, défendue par le gouvernement (article 1, alinéa d, article 4) ;
- la reconstitution des Forces armées et de sécurité à redéployer dans les régions du Nord, à forte composante des personnes originaires de ces régions, défendue par la CMA (article 22) ;
- l’inclusivité et la représentation significative de toutes les populations du Mali au sein des Forces armées et de sécurité, défendues par le gouvernement (article 17).
Au gré des pressions internationales et l’évolution des rapports de force sur le terrain, l’Accord a connu des succès et des reculs dans sa mise en œuvre. A part la mise en place des organes collégiaux d’administration de l’Accord, des autorités intérimaires dans les collectivités territoriales, de quelques timides investissements de partenaires au Nord, aucune œuvre substantielle nécessaire à l’instauration d’une paix définitive entre les parties n’a été, pendant ces 07 dernières années, complètement menée à bout : ni le processus de DDR, ni les réformes politiques et institutionnelles, encore moins les mesures de développement économique.
A l’heure actuelle, les derniers rapports de l’observateur indépendant de la mise en œuvre de l’Accord font penser à une situation de blocage, liée à la mauvaise foi et au manque de confiance entre les parties.
Ce que, par contre, ce processus de paix sclérosé a réussi à faire, c’est de créer une métastase au Centre du pays, où une partie des groupes terroristes s’est implantée et a ravivé des antagonismes intercommunautaires. En réaction, des groupes d’auto-défense locaux se sont créés en vrac, transformant cette région en une seconde zone de guerre. Et les moyens de riposte de l’Etat, déjà éprouvés au Nord, se sont vus davantage dilatés vers le Centre. L’Etat a été obligé, pour y faire face, d’élaborer un Plan de Sécurisation Intégré des Régions du Centre (PSIRC) et prévoir un DDR bis pour ces régions. Était-ce la bonne stratégie ? Pourquoi, n’avoir pas organisé ces groupes d’auto-défense communautaires en milices paramilitaires assumées, pour défendre un pays en guerre ? Ailleurs, dans des conditions similaires, des groupes de combattants volontaires ont été formés et déployés par l’Armée, notamment aux USA, et plus récemment en Éthiopie et au Burkina Faso. Pourquoi, continuer de s’en priver si on peut les gérer ?
Cependant, depuis 2019, les populations maliennes appellent collectivement et régulièrement à la révision de l’Accord de paix, pour mieux sauvegarder l’unité nationale, l’intégrité territoriale et le développement équilibré de toutes les régions du Mali. Cet appel est resté sans suite…
Le Président de la République et son gouvernement ont profité de cette scabreuse situation pour s’adonner à la mauvaise gouvernance dans tous les domaines, en témoignaient les nombreux scandales de l’équipement militaire, de la gestion des marchés publics, de la gestion du secteur de la santé, de l’éducation, et des élections.
Sa réélection sur fond de fraudes en 2018 et le traitement tendancieux des résultats des législatives de 2020 ont provoqué une grande contestation populaire, qui a pris la forme d’un mouvement dénommé, Mouvement du 5 juin Rassemblement des Forces Patriotiques (M5RFP). Ce mouvement réclamait tout simplement la démission du Président de la République, précédée de celle de son gouvernement et la dissolution de l’Assemblée nationale (son régime).
A suivre…
Dr. Mahamadou Konaté
Juriste publiciste, Analyste politique
Conseils Donko pour la Gouvernance et la Sécurité