Boeing est convoqué jeudi au tribunal pour faire face aux proches de passagers tués lors des crashs de deux 737 MAX, qui demandent la révision d’un accord passé entre l’avionneur et le gouvernement américain.
Lors de cette audience à Fort Worth, au Texas, un représentant de Boeing doit théoriquement plaider coupable ou non-coupable des accusations portées à l’encontre de l’avionneur pour son rôle dans les accidents des avions de Lion Air en 2018 et Ethiopian Airlines en 2019, qui avaient fait 346 morts au total.
Des familles de victimes prendront ensuite la parole pour faire valoir leurs griefs.
Le ministère américain de la Justice avait conclu en janvier 2021 un accord avec Boeing, l’accusant d’avoir induit en erreur le régulateur de l’aviation lors du processus d’autorisation du MCAS, un système clé de l’appareil mis en cause dans les accidents, mais lui accordant également au passage une certaine immunité.
L’accord dit de poursuite différée (DPA), qui incluait le versement de 2,5 milliards de dollars d’amendes et de compensations, prévoit que le ministère retire l’inculpation au bout de trois ans si l’entreprise respecte certaines conditions.
Un accord bien trop complaisant aux yeux des familles, qui ont saisi la justice pour ne pas avoir été consultées.
Le magistrat en charge du dossier, Reed O’Connor, a reconnu en octobre qu’elles pouvaient être considérées comme des “victimes de crimes” et avaient donc, à ce titre, le droit d’être entendues. La semaine dernière, il a convoqué Boeing à une audience.
– “Traitement de faveur” –
Les plaignants aimeraient idéalement que le juge révise l’accord, notamment en imposant à l’entreprise un auditeur indépendant, selon un document versé au dossier mercredi dans lequel ils estiment que Boeing “a commis le crime le plus mortel jamais commis par une entreprise dans l’histoire des Etats-Unis”.
“Nous pensons que Boeing a bénéficié d’un traitement de faveur”, a indiqué à l’AFP un avocat des victimes, Paul Cassell. “C’est une affaire impliquant la mort de 346 personnes. Pourquoi ne voudriez-vous pas qu’une équipe indépendante s’assure que les comportements criminels ne sont plus en cours?”
Boeing et le ministère américain de la Justice s’opposent à la réouverture de l’accord.
Dans son acte d’accusation, le ministère avait épinglé les agissements de deux salariés de Boeing mais n’avait pas mis en cause la direction.
Les procureurs avaient également estimé qu’il n’était pas nécessaire de nommer un auditeur indépendant car les actes répréhensibles n’étaient “pas généralisés” ou “facilités par les hauts responsables”.
A l’appui des accusations des familles de victimes, l’autorité américaine des marchés financiers a reproché en septembre au groupe et à son directeur général de l’époque, Dennis Muilenburg, d’avoir émis plusieurs messages affirmant, après les deux accidents mortels, que le 737 MAX ne présentait pas de risque alors même qu’ils savaient que le système MCAS posait problème.
Sans reconnaître ni démentir les conclusions de l’autorité, Boeing avait alors accepté de verser 200 millions de dollars.
Savoir si le magistrat va accéder aux demandes des familles reste très incertain.
“Le juge pourrait annuler le DPA, mais je pense que c’est peu probable”, estime John Coffee, professeur à l’université Columbia, pour qui l’accord est révélateur de la tendance des autorités à ne pas vouloir s’attaquer trop durement aux grosses entreprises.
Quand il s’agit d’engager des poursuites, “la loi accorde aux procureurs et au pouvoir exécutif une grande discrétion”, explique-t-il à l’AFP.
Brandon Garrett, juriste à l’université Duke, estime que les tribunaux devraient prendre en compte l’intérêt général lorsqu’ils doivent valider ou non les DPA.
Mais ils optent généralement pour une approche “très restrictive”, ajoute le professeur.
Et même si le juge O’Connor décidait de réviser l’accord, “j’imagine que le ministère ferait appel en invoquant son droit à suspendre les inculpations”, relève-t-il.
Interrogé mercredi sur l’audience par la chaîne CNBC, le patron de Boeing Dave Calhoun n’a pas voulu se prononcer sur le fond de l’affaire. Mais il est normal que les familles saisissent toute occasion pour partager leurs griefs, a-t-il estimé. “Cela rappelle (…) à quel point la sécurité est importante.”