Les agressions foncières sont courantes au Mali et même les domaines affectés aux structures de recherche agricole ne sont pas épargnés. À sa création, l’Institut d’économie rurale (IER) disposait de plus de 1.000 hectares de titres fonciers à vocation agricole à Sotuba. Il n’en reste plus qu’environ 268 hectares. En d’autres termes, ce sont plus de 700 hectares qui sont désormais occupés par des particuliers. Certains ont été autorisés à s’y installer par les autorités communales. Il y a aussi l’État qui, pour des raisons en rapport avec ses besoins, change la vocation agricole de ces domaines afin de les utiliser à d’autres fins. Au grand dam des chercheurs qui ont nécessairement besoin d’espaces pour mener leurs activités.
Ce n’est pas seulement à Bamako que les propriétés de l’IER sont spoliées par des particuliers. Bien que la situation soit beaucoup plus critique à Sotuba et à Samako, le problème est réel partout où l’Institut dispose des terres. «Aucune station ou sous-station n’est épargnée par les agressions foncières», fait constater le directeur des services d’appui technique de l’IER. M’Piè Bengali pointe un doigt accusateur vers les riverains de ces domaines et les autorités communales. Les premiers grignoteraient dans ces terres, sans aucune autorisation. Tout comme les seconds qui, pour des besoins d’urbanisation, essayent permanemment de les confisquer.
Pour démontrer l’ampleur du phénomène, M’Piè Bengali met en avant la situation dans laquelle se trouvent actuellement les stations de Sotuba et de Samako où l’IER disposait, il y a une vingtaine d’années, de vastes parcelles à vocation agricole. À Samako, la dernière agression remonte à quelques années : un décret a changé la vocation d’une superficie d’environ 20 hectares, pour en faire des parcelles à usage d’habitation.
De nombreux cas d’agressions foncières ont été également signalés sur les domaines de l’IER de Sotuba. Parmi ces cas, le plus retentissant a été orchestré par la mairie du District de Bamako. M’Piè Bengali revient sur cette affaire, encore pendante devant la justice. «Les autorités communales du District avaient autorisé le morcellement d’une partie de nos propriétés à Sotuba où elles ont délimité pas plus de 700 lots sur environ 16 hectares au profit d’un groupe de déguerpis. On a porté l’affaire devant la justice. À deux reprises, les jugements ont été défavorables à l’IER. Nous avons fait appel et, depuis deux ans, le dossier est au niveau de la Cour suprême», explique-t-il.
ENVIRON 268 HECTARES- Chaque année, selon le directeur des services d’appui technique, l’Institut perd des terres. Il rappelle que c’est l’Usine malienne de produits pharmaceutiques (UMPP) qui délimitait (côté ouest) le domaine foncier de l’IER. Actuellement, l’IER de Sotuba ne dispose plus que d’environ 268 hectares alors que son patrimoine dépassait 1.000 hectares. De l’UMPP jusqu’au rond-point du général Abdoulaye Soumaré, les immeubles dominent désormais le décor. Et également, déplore M’Piè Bengali, dans la Région de Kita, une cinquantaine d’hectares de l’IER sont désormais occupés par des habitants des villages environnants.
Ces agressions ne sont pas sans conséquence sur les activités de l’Institut qui contribue au développement de l’agriculture et à l’atteinte de la souveraineté alimentaire. «Les gens sont tentés d’occuper nos parcelles vides. Alors que toutes les parties de nos stations de recherche ne doivent pas être exploitées. Il y a des espaces naturels où on fait des observations et des expérimentations par rapport à l’évolution de la végétation», explique-t-il. Ajoutant que la terre est un outil de travail pour les structures de recherche. Cette recherche, dit-il, permet de mettre au point les variétés qui font de grandes productions et créent de la richesse. «Donc, une fois qu’on touche les domaines de la recherche, cela affecte la souveraineté alimentaire du pays», alerte M’Piè Bengali.
La situation n’est pas meilleure au Laboratoire central vétérinaire. À sa création en 1939 sous le nom de Laboratoire vétérinaire de production et de sérothérapie, l’actuel Laboratoire central vétérinaire (LCV) disposait d’un domaine foncier de 150 hectares pour ses activités de recherche. Ce domaine est reparti sur deux sites. Le premier site, qui fait 100 hectares, se trouve au bord du fleuve Niger à Sotuba. Et le deuxième site (50 hectares) est au bord de la route bitumée communément appelée «Kilomètre huit». Sur ces 50 hectares, le Laboratoire ne dispose plus que de «14 hectares à cause de la spéculation foncière», explique le secrétaire général du comité syndical du LCV.
TITRE GLOBAL D’UTILITÉ PUBLIQUE- Et comme si cela ne suffisait pas, nous confie Moussa Sissoko, «l’IER est en train de réclamer la paternité du domaine de 100 hectares du LCV à Sotuba». Et pourtant, il affirme qu’à l’origine, le LCV a été créé bien avant l’IER. «C’est sur ce domaine que l’IER a fait tirer récemment un titre foncier à son nom au détriment du Laboratoire. Alors que cette partie appartenait au LCV quand il était encore appelé Laboratoire de production et de sérothérapie. La zone était réservée pour nos animaux d’expérimentation. Nous sommes en train de la perdre», insiste Moussa Sissoko. Pour lui, cette situation est donc consécutive au changement de nom de la structure dont il impute la responsabilité à l’État.
Aussi, selon le syndicaliste, les particuliers qui se sont installés sur ces sites deviennent un véritable problème pour le laboratoire. «Nous produisons d’énormes déchets biologiques. Depuis un certain temps, nous avons du mal à nous débarrasser de ces déchets», se plaint-il. En effet, les germes des maladies manipulés au laboratoire sont des zoonoses, extrêmement dangereuses. À en croire le spécialiste, 80% des maladies humaines sont d’origine animale. «À cause du manque d’espace pour l’isolement des animaux malades, nous ne sommes plus bien outillés pour faire des travaux d’analyse», déplore Moussa Sissoko qui précise que le respect des normes de biosécurité est l’une des exigences de la procédure de certification des produits du laboratoire.
Pour protéger le peu qui lui reste de son domaine foncier, la structure a introduit une demande de déclaration d’utilité publique. «L’État doit aider le LVC à régler définitivement son problème foncier et protéger le reste de son domaine en créant un titre global d’utilité publique», plaide Abdoul Salam Maïga, secrétaire administratif du comité syndical du LCV. Cela est d’autant plus nécessaire que cette structure joue un rôle important dans la protection du cheptel de notre pays. Pour cette année, les prévisions sont estimées à 60 millions de doses de vaccins dont une partie sera exportée vers des pays de la sous-région. C’est dire que le Laboratoire, en tant que structure de production et de commercialisation de vaccins, selon notre interlocuteur, « fait aussi entrer des devises au pays ».
Makan SISSOKO