Le célèbre avocat franco-espagnol aurait forcé des femmes à avoir des rapports sexuels non consentis avec lui. Les confessions des victimes présumées, recueillies par le journal français Libération, sont accablantes.
Voici l’histoire de quatre femmes qui accusent Juan Branco de viols et d’agression sexuelle. Le journal français Libération (vendredi 13 décembre), qui a recueilli leurs témoignages, préserve leurs identités derrière Marie, Charly, Joséphine et Louise, des prénoms fictifs.
Les trois premières ont livré leur version des faits aux enquêteurs tandis que la quatrième, mise en relation avec ces derniers, a refusé de faire une déposition. «Par confort, par lâcheté, s’en veut Louise. Ses textes publiés quelques mois plus tard m’ont donné raison, c’était si diffamant, si humiliant, j’étais horrifiée. Je veux témoigner pour protéger d’autres femmes, mais pas voir mon nom dans ce dossier.»
Louise fait référence aux publications de Branco, sur les réseaux sociaux et sur un site qu’il administre, où ses accusatrices sont vilipendées, notamment par la publication des procès-verbaux de leurs auditions.
Ce lynchage public vaut à l’avocat 36 mois de suspension d’activité, dont 9 ferme. Cette sanction du Conseil de l’ordre du barreau de Paris a été prononcée dans la foulée de l’ouverture d’une information judiciaire contre le concerné pour «diffusion à un tiers de reproduction de pièce ou acte de procédure et menace ou acte d’intimidation pour déterminer une victime à se rétracter ou à ne pas déposer plainte». Le Franco-Espagnol continue d’exercer son métier, l’appel qu’il a déposé étant suspensif.
Branco est présumé innocent. Selon Libération, il n’a pas donné suite à ses sollicitations pour recueillir sa version.
Marie : «Il m’a léché l’oreille, m’a proposé du sexe oral…»
Les faits reprochés à l’avocat ont commencé en 2017 avec Charly. Mais ils ont été ébruités en 2018, à la suite de la plainte de Marie.
Marie est Branco se sont connu cette année-là. Elle avait 20 ans, lui 31 ans. Un jour, la jeune femme félicite l’avocat sur Instagram pour son livre Crépuscule. Il répond et propose une rencontre à son admiratrice, qui veut suivre des études de sciences politiques comme lui. «J’étais si naïve, j’ai cru à une discussion intellectuelle, je n’ai pas vu la drague. J’y suis allée sans aucune arrière-pensée, sans aucune méfiance», rembobine Marie.
Le premier rendez-vous se passe bien. Une promenade au jardin du Luxembourg, dans le 5e arrondissement de Paris, en compagnie d’un Branco «agréable et poli». L’avocat propose un deuxième rendez-vous en début de soirée sur les quais de l’île Saint-Louis. Il arrive avec des chaises et des bières. Deux heures passent, le téléphone de la jeune femme se décharge. Il l’invite chez lui, dix mètres en face.
Arrivé dans son appartement, l’avocat propose à sa visiteuse du whisky et des cachets de Lamaline, un antalgique à base d’opium, de doliprane et de caféine. Marie accepte. Son hôte prend le «triple» de sa dose, affirme-t-elle.
La soirée s’emballe. «J’ai d’abord esquivé ses baisers, gênée, raconte la plaignante. Puis il a commencé à vriller, à devenir de plus en plus insistant. Il s’est jeté sur moi, m’a léché l’oreille, m’a proposé du sexe oral, réclamé un jeu érotique avec les pieds. À chaque avance, chaque attouchement, chaque fois où il est revenu à la charge, j’ai dit non.»
Marie reconnaît avoir été prise de cours. «On n’est jamais préparée à vivre un viol, justifie-t-elle. C’est terrifiant de voir quelqu’un que vous idolâtrez pendant des années se transformer en prédateur sexuel face à vous.»
Elle pense à fuir, mais se retient : «J’avais peur qu’il me rattrape et qu’il soit dix fois plus violent. J’ai seulement réussi à lui demander de mettre un préservatif. Inconsciemment, je savais qu’une grossesse non désirée ou une maladie serait une double peine.»
‘’Sous le choc, incapable de bouger, selon le récit de Libération, elle sombre et ne se sauve qu’au matin. Sur les conseils de sa cousine avocate, à qui elle se confie, elle se rend au commissariat.’’
Elle a déposé une main courante décrivant un viol le 29 avril 2021. ‘’Le surlendemain, reprend le journal français, elle lit, dévastée, le contenu de sa déposition dans la presse, tronquée et déformée, détaille Libération. La contre-attaque de son agresseur est aussi, selon elle, particulièrement mensongère : il donne alors sur Facebook, ainsi qu’à certains de nos confrères, une version romantique de la relation, niant toute contrainte.’’
L’avocat de Marie dépose une plainte pour violation du secret de l’instruction. Celle-ci est classée sans suite. Sur le fond, une enquête est ouverte. La plaignante pense à stopper la procédure, «par peur de représailles», mais elle sera finalement entendue à plusieurs reprises par les enquêteurs.
Joséphine : «Il a mis sa main dans ma culotte…»
Trois ans plus tard. Mai 2021, Juan Branco passe sur le plateau de «Touche pas mon poste» de Cyril Hanouna. Il se moque des accusations de Marie, aux confins de la «suffisance» et du «mépris», pointe la plaignante. Après l’émission, un des enquêteurs est alerté. Muni d’informations qui lui sont parvenues, il contacte Charly et Joséphine. ‘’Chacune rapporte des faits d’agression sexuelle et de viol, survenus en 2017’’, révèle Libération.
Cette année-là, Juan Branco est candidat aux élections législatives pour la France insoumise en Seine-Saint-Denis. Il cherche un vidéaste pour doper sa communication. Pour Joséphine, assistante réalisatrice, cela tombe bien. D’autant qu’elle vient de perdre son père et espère décrocher «un projet pour fuir la dépression et rebondir».
Elle intègre l’équipe de campagne du candidat. Une bande de «vingtenaires peu qualifiés», décrit-elle, soulignant que le groupe beigne dans l’informel : ‘’sans locaux ni bureaux, les réunions se font chez Branco, sur son lit. […] La limite est floue entre pro et perso, amitié et séduction’’, relaye Libération.
Un soir, après le travail, Joséphine et Branco se retrouvent seuls. «Contrairement à ce qu’il dit, j’ai toujours été honnête, y compris auprès de la police : oui, notre relation était ambiguë, on se cherchait un peu. Mais même dans ce contexte, ce n’est pas normal de me toucher comme il m’a touchée. Ce n’est pas dans cet ordre-là que se déroulent les choses. Il a mis sa main dans ma culotte. Je lui ai demandé d’arrêter, il a continué à me toucher les fesses, je l’ai repoussé physiquement.»
Ne prenant pas au sérieux le refus de Joséphine, d’après le récit du journal français, l’avocat lui propose de passer la nuit. La jeune femme décline. «Il s’est alors vexé de me voir partir», confie Joséphine.
Elle tourne la page. Les années passent. Jusqu’à ce qu’elle apprenne l’existence d’autres victimes. Elle décide de parler. «Je ne suis pas traumatisée, mais je le fais pour les autres», clame-t-elle dans Libération.
Charly : «Il baisse mon pantalon, me pénètre en me tenant fermement par la taille»
Charly travaillait dans le cinéma. Elle a déclaré avoir dû «recommencer sa vie à zéro à cause du viol» survenu le 9 novembre 2017.
Elle a connu Branco en 2007, en première année de Sciences-Po Paris. La jeune femme n’appréciait pas le futur avocat. Il le trouvait «prétentieux» et souligne qu’il «saoulait déjà avec son lyrisme polico-philosophico-obscur». «Il méprisait déjà les autres avec son verbiage emprunté et faussement intelligent», rapporte-t-elle.
Malgré tout, en 2010, cherchant un stage dans le milieu du cinéma, Charly demande à Branco le contact de son père, le producteur portugais Paulo Branco. Ce dernier enrôle la jeune femme pour son grand festival à Lisbonne avant de l’engager comme assistante et chargée de production jusqu’en 2014. Elle était devenue ‘’une intime de la famille’’, relève Libération.
«Ces années-là, je me suis beaucoup rapprochée de la sœur de Juan, qui faisait partie intégrante de mon groupe d’amis, rembobine la jeune femme. Lui nous rejoignait parfois pour des cafés. Nous habitions tous à quelques rues d’écart. Je n’ai jamais été proche de lui. Ce qui m’est arrivé, je ne l’ai pas vu venir.»
Le 9 novembre 2017. Charly se rend à une projection. Puis, elle se joint à l’équipe du film, qui souhaitait faire la fête. Direction Mikado, une boîte du 18e arrondissement parisien. Pour maximiser leurs chances d’entrer, elle contacte Branco, qui avait ses entrées dans les night-clubs de la capitale française. L’avocat se joint au groupe, ‘’collant, voire oppressif avec les femmes’’, selon la remarque de la jeune femme relayée par Libération. «Il a tenté d’en embrasser plusieurs sur la bouche sans prévenir et sur le moment, j’ai pris ça à la rigolade», appuie la plaignante.
Branco propose à Charly de lui payer un cocktail. La jeune femme accepte et retourne danser. Après la soirée, au moment de rentrer, l’avocat propose de payer le taxi pour Saint-Germain-des-Près. ‘’Au lieu de se faire déposer le premier, il décrète qu’il dormira chez sa mère, rue de Rennes, près de chez Charly donc, qui habite à cette époque rue de Sabot. Il veut prolonger la soirée dans l’appartement familial qu’elle connaît bien’’, rapporte le quotidien français. «C’est terrible parce qu’aujourd’hui, je perçois ce qui aurait dû m’alerter, mais sur le moment, on n’imagine évidemment pas qu’un viol peut survenir», admet la victime présumée.
Aux yeux de Charly, Branco se montre étrange dans le taxi. ‘’Rires frénétiques’’, ‘’gestuelle invasive’’…, l’attitude suspecte de l’avocat, décrite par Libération, pousse la jeune femme, arrivée chez lui, à prendre les escaliers pendant que le Franco-Espagnol s’engouffre dans l’ascenseur. «Ce qui m’a rassurée, c’est que sa mère était là», contextualise Charly.
C’était le calme avant la tempête. Après s’être éclipsé dans l’une des pièces du long couloir, Branco resurgit derrière la jeune femme, qui fumait une cigarette, penchée sur le parapet de la fenêtre. «La suite se passe hyper soudainement, rembobine Charly. J’entends du bruit, il surgit dans mon dos, baisse mon pantalon, me pénètre en me tenant fermement par la taille. J’ai ressenti un énorme choc, de la terreur, mon corps s’est pétrifié. Il me renverse sur le canapé juste à côté et je me rappelle l’avoir esquivé de la tête pour ne surtout pas qu’il m’embrasse. Puis, plus aucun souvenir.»
«Au matin, poursuit la jeune femme, je me réveille dans ce même canapé. Branco était là, le dos tourné, plein de boutons dont je garde une vision cauchemardesque. Me voyant à demi-nue, je me lève direct et me rhabille sur le palier pour ne surtout pas le réveiller. Une fois chez moi, je m’écroule. Une heure plus tard, je lui écris ce texte : ‘’Va en cours’’.» Branco enseigne alors dans un lycée de Seine-Saint-Denis, précise Libération. «Ça paraît absurde, mais c’était une façon de faire la cool, la forte, comme si rien ne s’était passé», justifie la plaignante.
‘’Aujourd’hui, Charly se demande si Branco n’a pas glissé un médicament dans son verre en boîte de nuit’’, souffle Libération. En tout cas, trois ans après les faits, la jeune femme a tourné le dos à la capitale française. «Je ne peux plus dormir à Paris. Je ne viens qu’accompagnée lorsque j’ai un impératif, mais nous ne faisons que des allers-retours», révèle-t-elle.
Louise : «J’ai compris qu’on avait eu un rapport non protégé, à mon insu.»
Louise et Branco ont entretenu une relation pendant quelques mois, entre 2018 et 2019. Ils étaient «comme deux amants et sans rien se devoir», explique la jeune femme. «On buvait des verres à Saint-Germain-des-Près, et j’ai dû passer une dizaine de nuit chez lui […] dans la l’ancienne garçonnière de son père sur l’île Saint-Louis.»
Louise décrit Branco en homme aux comportements «toxiques», pas très porté aux relations protégées. «Il avait notamment un rapport très ambivalent aux préservatifs : c’est le seul mec, dans ma vie, qui a réussi à m’imposer de ne pas en mettre. Lors de deux rapports, il a insisté lourdement jusqu’à ce que je cède. Une autre fois, il l’a enlevé pendant l’acte sans mon accord.»
Une nuit, elle retrouve l’avocat dans un club parisien. Elle venait de prendre «un ou deux verres» avec des amis. «Je prends une autre bière. Puis on part danser ailleurs. Là, il me propose un cocktail à base de tequila. Je refuse car, je n’aime pas l’alcool fort, mais je termine les trois dernières gorgées du sien. Mon dernier souvenir de la soirée : il est 5 heures du matin et je veux partir.»
Louise se réveille chez Branco. Elle était nue. L’avocat aussi. «J’ai rassemblé mes affaires. Il m’a juste dit : ‘’Si j’étais vous, je prendrais une pilule du lendemain’’ et j’ai compris qu’on avait eu un rapport non protégé, à mon insu.»
C’était un jour de février. Louise quitte l’appartement de Branco en vitesse. «J’ai refait le calcul de ce que j’avais bu, cela n’expliquait pas mon black-out. À ce moment-là, j’ai pensé qu’un mec avait mis un truc dans le verre. Maintenant, je crois que c’était lui. […] J’ai mis du temps à comprendre que ce n’était pas ma faute, moi qui faisais beaucoup la fête. C’est dur d’accepter qu’on n’a pas eu le contrôle sur son corps, qu’on se sent salie.»
Mise en contact avec des enquêteurs, Louise refuse de faire une déposition. Elle a juste accepté de «témoigner pour protéger d’autres femmes».
Branco nie les faits. Et passe à l’offensive. D’abord en attaquant ses accusatrices sur les réseaux sociaux puis en assignant en justice les experts réquisitionnés par la justice pour ses affaires, une policière, une greffière et un magistrat. De plus, rapporte Libération, ‘’près d’une trentaine de notes, signées de la main Branco ou de ses conseils, souvent très bavardes, ont été versées’’.
Par ailleurs, Branco occupe l’espace public. Il a annoncé sa candidature pour la présidentielle française de 2027. ‘’Puis il a signé un monologue violent et très confus sur les sur les affaires qui le visent. Objectif : instiller à nouveau l’idée d’un complot du pouvoir politique’’, décrypte Libération. «Ils me veulent mort, a clamé l’avocat franco-espagnol. […] Le ministre de l’Intérieur, le président du tribunal de Paris, le procureur général, et enfin le premier président de la cour d’appel de Paris ont, d’un seul tenant, demandé mon élimination judiciaire définitive au bâtonnier de Paris.»