La dépression est une maladie mentale méconnue au Sénégal. Pourtant, ils sont 1,5% de la population à être confrontés à cette pathologie mentale, selon le ministère de la Santé. Certains ont même tenté de mettre fin à leur vie. Il se pose aujourd’hui la question de la prise en charge des malades.
Ramatoulaye Diallo est agent commercial dans une société de la place. Cette jeune dame de teint clair, taille moyenne, a divorcé moins de deux ans après son mariage. Aujourd’hui, elle a en charge un bébé de 8 mois. Ramatoulaye n’est pas sortie indemne de ce divorce, car elle est devenue dépressive à force de ressasser ses souvenirs et malheurs. Le début a été dur pour elle car elle dit avoir accumulé beaucoup de déceptions. « Petit à petit, je sentais l’envie de me détacher du monde. Même mon enfant, c’est ma mère qui s’en occupait. Au travail je n’étais pas productive. Je suis spasmophile et faisais des crises d’angoisse souvent. Mon endroit favori était la mer, j’y passais le plus clair de mon temps», se remémore la jeune femme.
Un quotidien assez sombre, des nuits blanches
Ramatoulaye revient sur le début de sa dépression. C’était le cauchemar au quotidien. «Se lever le matin était compliqué, affronter une journée était un combat de Titan. On n’a plus la force d’avancer, mais on doit quand même le faire. C’est à partir de là qu’on a conscience qu’on doit faire quelque chose. Me concernant, c’était pour mon fils. Là, on met un masque pour que personne ne s’en rende compte », confie-t-elle.
«En général, c’est le soir qu’on commence à se sentir plus stressée parce qu’on sait qu’on va être seule. On essaie de faire notre possible pour dormir. C’est une maladie réelle, si on ne la vit pas, on ne pourra jamais comprendre », se désole la commerciale qui s’est résignée à chercher de l’aide. «Un jour, je me suis dit stop, ça ne peut plus continuer. J’ai pris un rendez-vous chez un psychologue. Ce qui m’a permis de me sortir de ce trou noir », souligne-t-elle.
Si c’est un divorce brusque qui a conduit Ramatoulaye à la dépression, les causes sont bien différentes pour Mamadou Gningue. Brillant étudiant ayant obtenu avec brio son Master, Mamadou travaille dans une grande boîte en tant que gestionnaire de projet. Un travail qui, selon lui, demande beaucoup d’énergie. «J’avais l’habitude de travailler sur plusieurs choses à la fois. Les délais étaient serrés et pourtant, je devais les respecter. Cependant, la culture d’entreprise toxique et les attentes exagérées de mes supérieurs ont graduellement affecté ma santé mentale », révèle Mamadou. A ces facteurs, il faut ajouter les longues réunions, les critiques constantes et le manque de reconnaissance qui ont conduit Mamadou dans un état d’épuisement total.
«1,5% des sénégalais sont dépressifs»
D’après Mamadou, sa dépression s’est manifestée par une fatigue constante et une incapacité à se concentrer. « J’avais l’impression de porter un poids invisible qui m’a lessivé. Mes relations personnelles en ont beaucoup souffert et mon couple a été éprouvé », se souvient-il. Même si le gestionnaire de projet savait qu’il était dépressif, ce n’est qu’après avoir perdu son emploi qu’il a réalisé qu’il doit se ressaisir. « Je ne pouvais plus ignorer ce que je traversais. J’en ai parlé à mon épouse qui m’a suggéré de voir un psychologue. Chose faite, j’ai lentement commencé à retrouver le Mamadou d’il y a 7 ans», glisse-t-il avec une vive satisfaction.
La santé mentale est un réel problème au Sénégal. Les statistiques publiées en 2023, par le ministère de la santé montrent qu’1,5 % des sénégalais, présentent des symptômes dépressifs, et plus de 9,4% font l‘objet d’un risque suicidaire et suspicion de troubles d’anxiété généralisée.
Il est important de noter que la dépression peut toucher n’importe qui, quelles que soient ses origines ou sa notoriété. Malheureusement, beaucoup de célébrités ont mis fin à leurs jours à cause de la dépression. Parmi elles, on peut citer : Robin Williams (acteur comédien), Dalida (chanteuse française)…
D’ailleurs le grand animateur, Pape Cheikh Diallo a ouvertement parlé de sa lutte contre la dépression dans une émission. Il a partagé son expérience pour sensibiliser les sénégalais sur les troubles mentaux et briser le tabou sur le sujet. Toutefois, cette maladie reste encore méconnue des sénégalais.
«50% plus de femmes atteintes»
Dr Abou Sy
Le Docteur Abou Sy est psychiatre au Centre hospitalier national universitaire de Fann. D’après lui, la dépression est une maladie qui fait partie du groupe des pathologies mentales. « C’est une maladie qui est fréquente. Les derniers chiffres de l’Organisation mondiale de la Santé montrent qu’elle est fréquente à hauteur de 3,8% en population générale avec une fréquence de 5,7% chez les sujets (personnes) âgés. Elle est 50% plus fréquente chez les femmes que chez les hommes », révèle le docteur.
Selon Dr Abou Sy, la dépression se manifeste par un ensemble de signes qui peuvent être regroupés en ralentissement psycho moteur et des signes somatiques. L’humeur dépressive se caractérise par une tristesse profonde qui dure longtemps et qui ne s’explique pas. Il y a aussi un signe qui est fréquent. C’est le désinvestissement des activités qui faisaient plaisir auparavant. En général, ces personnes se détournent souvent de leur centre d’intérêt. « A côté de cette tristesse, on a le ralentissement psycho moteur. C’est une personne qui va être plus lente que d’habitude dans sa façon de penser mais aussi dans son comportement général. Ce qui va se traduire par une impression de fatigue constante, des troubles de la mémoire ou de la concentration, une tendance à ne pas faire des activités et à rester toujours au lit », explique le Docteur Sy. Ce dernier cite également l’insomnie parmi les symptômes de la dépression. Car, les personnes qui ne dorment pas la nuit, vont ressasser ce qu’elles ont fait la journée. « Elles sont frappées de pessimisme sur leur personne, sur leur avenir etc. Ces personnes voient la vie en noir. C’est cela qui va être à l’origine des tentatives de suicide qui sont très fréquentes chez les personnes dépressives », analyse Dr Sy.
Il y a plusieurs formes de traitements, à en croire le médecin. Ils sont souvent organisés autour de deux axes. Toutefois, le diagnostic de la dépression doit s’accompagner d’une classification en dépression moyenne, légère ou sévère.
Dans la plupart des cas, explique Dr Abou Sy, «quand il s’agit de dépression moyenne ou légère, le traitement médicamenteux n’est pas indiqué. Dans les cas de dépression sévère, c’est le traitement médicamenteux qui est recommandé. Ce traitement est basé sur les antidépresseurs. On peut avoir des signes associés tels que l’agitation, l’insomnie qui vont justifier l’ajout de tranquillisants ou d’hypnotiques. Ensuite il y a le traitement psychanalytique avec des entretiens avec plusieurs théoriques (systémiques, cognitivo comportementalistes…) ».
Soutien familial, Incompréhension…
Le Docteur Sy confie que les moyens de soutien sont basés sur l’environnement familial parce que la personne dépressive a besoin d’être soutenue dans l’identification des symptômes qui va aboutir à poser le diagnostic pour pouvoir prendre ses médicaments.
Il reconnaît que ce n’est pas facile dans un pays où la dépression est souvent confondue à de l’impolitesse. « Quand une personne est atteinte de dépression, la première réaction des gens qui l’entourent c’est qu’ils disent qu’elle est impolie parce que la personne dépressive a tendance à prendre ses distances. Elle reste dans son coin, ne mange pas, pleure sans raison apparente. Dans notre culture, la dépression est une maladie méconnue. Maintenant, les choses bougent grâce à l’information », se réjouit M.Sy
Effectivement, les choses bougent car maintenant, même les marraines de quartier sont informées et font un travail remarquable dans ce sens.
L’une d’elles, Fama Diop habite dans un quartier de la banlieue où vivent de nombreuses personnes dépressives. «Je reçois souvent des personnes qui viennent se plaindre du comportement de leur enfant, mari ou proches. Ils leur reprochent d’être distants et d’avoir des comportements bizarres. Puisqu’on bénéficie souvent de formation sur la santé et autres, nous marraines de quartiers, avons donc un petit aperçu du sujet », informe la quinquagénaire. Elle revient sur un cas qui l’a beaucoup marquée. Il s’agit d’une femme qui est venue se plaindre du comportement de son mari qui est devenu indifférent et violent. «Son époux était un homme d’affaires influent et avait beaucoup de biens. Quelques années plus tard, il a commencé à s’endetter. N’étant plus maître de la situation, il finit par vendre tous ses biens et même sa maison. Lui et ses enfants sont finalement allés vivre chez son frère. Ne pouvant plus supporter la situation, il commence à être colérique, s’irrite pour un rien et frappe son épouse », explique Mme Diop qui a tout de suite compris ce qu’il fallait faire. « Quand elle a fini de me raconter son histoire, j’ai tout de suite appelé un médecin pour tout lui raconter. Il lui a donné rendez-vous et quand le diagnostic est tombé, il était effectivement dépressif et a été vite pris en charge», se réjouit la dame qui regrette que les personnes en état de dépression ne soient pas vite prises en charge.
« Parfois les personnes dépressives veulent se faire soigner mais elles manquent souvent de moyens pour aller voir les personnes habilitées à les aider et finissent par sombrer », regrette Fama.