Si les droits qui protègent les enfants contre certaines formes de travail sont les prunelles de tout Etat de droit au monde, il n’en est pas de même pour le Mali qui n’arrive toujours pas à recadrer les choses et mettre un frein aux formes de travail qui dépassent les capacités tant physiques que morales des enfants. Au nombre de ces formes qui enfreignent les droits des enfants figurent visiblement les pires formes de travail. Cette mauvaise pratique à l’égard des enfants est un véritable obstacle à leur épanouissement. Et pourtant les enfants constituent de tremplin pour l’avenir d’un État. Selon l’article 3 de la convention 182 de l’OIT (Organisation Internationale du Travail) initiée en juin 1999 à Genève sur les pires formes de travail des enfants telles que la mendicité, les activités minières (orpaillage), les conflits des armées, la prostitution et la pornographie enfantines, le trafic des stupéfiants, l’esclavage et la servitude ou encore servage, les enfants croupissent sous le faix de ces exploitations de l’homme par l’homme. Le code de protection de l’enfant adopté par l’ordonnance N°02-62/P-RM du 05 juin 2002, statue qu’est considéré comme enfant, toute personne humaine âgée de moins de 18 ans et qui n’a pas atteint l’âge de la majorité par dispositions spéciales. Compte tenu de la montée en flèches de cette pratique à l’encontre des enfants qui n’honore pas le monde humain, il nous a été imposé d’aller en quête des témoignages de celles et ceux qui ont connu ou qui continuent de connaitre les affres de cette pratique humiliante et déshumanisante.
Selon l’Organisation internationale du travail, le travail des enfants regroupe l’ensemble des activités qui privent les enfants de leur enfance, de leur potentiel et de leur dignité, et nuisent à leur scolarité, santé, développement physique et mental. Dans un rapport de l’OIT, il est indiqué qu’au début de 2020, sur 160 millions d’enfants engagés dans le travail infantile, 79 millions font les travaux dangereux qui entrent dans le cadre des pires formes du travail des enfants. Et parmi ces enfants travailleurs 9 sur 10 vivent en Afrique, en Asie et dans le pacifique. L’enquête de 2022 de l’Institut National de la Statistique du Mali (EMOP) a prouvé que le travail précoce des enfants concerne un quart des enfants âgés de 5 à 11 ans, cela augmente avec l’âge et touche davantage les garçons que les filles. Face à l’ampleur du problème, le Mali avec ses partenaires techniques et financiers mène une lutte sans merci contre les pires formes du travail des enfants. A titre illustratif, l’Organisation Internationale World Vision Mali à travers son projet JOFA-ACTE (Joining For Africa) ou Agir Contre le travail des enfants au Mali, piloté par un consortium composé de l’Educo, du Plan International, de Terre des Hommes, du Save the Children, des SOS Children’s Villages, travaille d’arrache-pied à la satisfaction des doléances N°8.7 de l’Objectif de Développement Durable (ODD), qui veut que le travail des enfants sous toutes ses formes soit éliminé d’ici 2025 et qui souhaite une collaboration collective à tous les acteurs concernés, nationaux et internationaux dans le combat. Et l’État malien, à travers la Cellule Nationale de Lutte Contre le Travail des Enfants (CNLTE) en charge du ministère du travail, d’emboiter le pas à ce consortium pour concrétiser les avancées des articles 6, 7 et 8 de la convention 182 de l’OI.Plusieurs stratégies allant dans ce sens ont été abordées notamment la mise en œuvre de la convention 138 et 182 de l’OIT, le Plan d’Action National pour l’Elimination du Travail des Enfants au Mali (PANETEM2), la Feuille de route pour l’élimination du travail des enfants dans les zones de l’agriculture, la liste des travaux dangereux et des travaux légers etc.La protection des droits de l’enfant est obligatoire, c’est une lutte qui remonte au déluge et qui ne cesse de faire couler beaucoup d’encre. Chacun doit y mettre du sien. Les droits de l’enfant doivent rester intacts et inviolables pour que l’enfant au retour puisse s’acquitter de ses devoirs.L’enfant a droit à l’éducation, à la santé, au développement et au bon environnement etc. Cependant il a aussi des devoirs à accomplir. Selon la Charte Africaine sur les Droits et le Bien-être de l’Enfant (CADBE) et les dispositions du code de protection de l’enfant du Mali, l’enfant a des devoirs envers sa famille, il doit respecter ses parents et les biens de la maison, il doit faire des travaux socialisants jusqu’à ses 12 ans, des travaux légers de 13 à 14 ans et des travaux ordinaires de 15 à 18 ans. L’enfant a des devoirs pour sa communauté tels que la solidarité, l’assistance, le respect des us et des coutumes. Il a aussi des devoirs pour son État comme, respect de l’engagement décennal. Malgré les engagements de l’Etat du Mali et ses différents partenaires, la lutte contre les pires formes du travail des enfants est loin de prendre son épilogue au Mali.
À notre première approche, nous avons rencontré Mademoiselle Kafounè KONE, une jeune fille de 30 ans. Possesseur d’un restaurant et de trois bars sur un site d’orpaillage entre le Mali et Le Sénégal. S’exprimant à visage découvert à notre micro, la jeune dame nous fit part de son calvaire ainsi : 《 Je rejette toutes mes erreurs à mes parents qui n’ont pas su gérer leur part de responsabilité dans ma vie d’enfance. Ils ont failli à tous les niveaux tant éducatifs que matériels. Je vivais vraiment dans une famille où les conditions étaient vraiment misérables. On mangeait à peine les trois repas quotidiens. Cette situation des non désirables m’ont empêchée de poursuivre mes études. En 7ème déjà, j’ai abandonné l’école avec la complicité de mes parents au profit des sites d’orpaillage car ils étaient séduits par l’argent accumulé par une de mes amies qui travaillait sur un site d’orpaillage. A ses 14 ans, elle avait acheté une moto neuve pour son papa et donné une certaine somme à sa maman pour qu’elle fasse de petits commerces. Tombée dans cette cupidité, j’ai finalement emprunté le chemin des sites d’orpaillage à la recherche d’une vie meilleure. Dieu merci, même si je n’ai pas pu étudier, mes projets ont été florissants et je travaille pour moi-même. Malgré ma richesse, je regrette amèrement car mon rêve d’être une grande personnalité a été brisée en cours », nous a-t-elle confié.
Pour A B, un natif de Sanankoroba, les écoles coraniques sont sources de problèmes pour bon nombre d’enfants au Mali. Il lamente : « Je suis natif de Sanankoroba dans la région de Koulikoro. A mon âge de sept ans normalement l’âge pour les enfants d’être inscrits à l’école, mon père m’a confié à un maître coranique à Djenne pour que je puisse lire, écrire et surtout bûcher le coran. Après trois 3 ans, le vent a visiblement soufflé dans le sens contraire, au lieu d’étudier, on nous incitait à la mendicité et aux travaux champêtres pour notre maitre coranique. L’effectif des élèves dépassait le chef qu’il ne parvenait même pas à donner à boire, à manger et surtout à soigner tous ces enfants. N’ayant plus eu le courage de supporter cette vie, j’ai décidé de m’enfuir vers Bamako avec le peu de monnaies que je mettais de coté à l’insu de notre maitre. Arrivé dans la capitale malienne où je ne connaissais personne, je me suis retrouvé à « Raïda ». Là-bas aussi, c’était un véritable enfer. « L’accroupissement est la vieille habitude du vieux chien », dit-on. J’ai fait recourir à la mendicité. La nuit je dormais aux bordures de l’Assemblée Nationale. Avec la pluralité des mendiants nationaux et étrangers, on ne gagnait pas beaucoup et j’ai enfin décidé d’adhérer à un réseau de malfrat et de négoce des produits stupéfiants. Grâce à une ONG que j’ai rencontrée, j’ai tourné le dos à cette vie de merde et je travaille actuellement comme coursier au compte de cette ONG. Souvent ces tristes souvenirs s’éveillent en moi et me coupent le sommeil.
Monsieur M A, habitant de Tombouctou, abandonne de force l’école en classe de 9ème année. Il a été enlevé avec les yeux attachés pour servir dans les conflits armés. Ce cas lugubre nous a été révélé lors d’une audience publique de la Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR) où les victimes sur les droits humains sont appelées à s’exprimer. Il dit avoir été kidnappé par un groupe armé un matin devant les regards impuissants de ses parents quand il n’avait que 15 ans. 《 Depuis qu’on m’a embarqué dans la voiture, on m’a attaché les yeux vers une destination inconnue. Arrivé sur un lieu, on m’a détaché les yeux devant un groupe d’hommes lourdement armés. Mes membres tremblaient de peur bleue. On m’a emmené dans une cour où il y avait tant d’autres enfants de ma génération. On apprenait à monter, démonter les armes et j’ai ainsi servi dans leur armée sans mon consentement. J’ai fait à peu près six ans sans aucune nouvelle de mes parents », a-t-il affirmé d’une voix tremblotante.
Au regard de tout ce qui a été dit, si nous nous referons aux conclusions des articles 6, 7 et 8 de la convention 182 de l’OIT qui recommandent à l’Etat du Mali, qui traine à pas pesant vers la cible 8.7 de l’ODD, de renforcer les mesures législatives tout en adaptant le contenu au contexte malien afin de mettre en place un système éducatif varié, simple et très adulé sur le marché de l’emploi pour réduire le poids de la pauvreté qui pèse lourdement sur la population. Et comme une arête coïncée au travers de la gorge, les pires formes du travail des enfants restent toujours des épines aux pieds des autorités maliennes qu’elles ont du mal à ôter.
YOUBA DOUMBIA