Au Burkina Faso, il y a plus de trois mois que le Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) deuxième du nom, a pris le pouvoir. C’est le 30 septembre 2021 que celui-ci a mis fin au pouvoir du premier MPSR, pour les motifs que celui-ci avait invoqué pour renverser le président élu Rock Marc Christian Kaboré le 23 janvier 2021, à savoir l’absence de résultats gagnants dans la lutte contre le terrorisme.
Le pays est en proie à des attaques récurrentes de groupes armés depuis 2015 et le moins qu’on puisse dire est que le pays est confronté à la plus grave crise de son existence qui réveille de vieux démons. Les militaires sont au pouvoir depuis un an, le MPSR II après trois mois donne-t-il des signes de pouvoir vaincre le terrorisme ?
Quelles sont les premières indications de sa trajectoire que l’on peut lire de ses 100 premiers jours d’exercice du pouvoir ? Quels sont les choix essentiels en matière de gestion du pays, de ses relations avec les voisins et le monde ? A ce moment de l’exercice du bilan ne se résume-t-il pas à une volonté affichée qui suscite de l’espoir et des menaces toujours aussi fortes ?
Commençons par les bonnes nouvelles, la tête du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration, président de la transition, chef de l’Etat, le capitaine Ibrahim Traoré, affiche une bonne volonté. Malgré l’absence de résultats probants, l’opinion lui reconnaît sa sincérité, son désir de se battre.
En trois mois, son capital sympathie est intacte alors que les problèmes et les difficultés se sont accumulés. Il faut dire qu’il a aussi diminué son temps de parole, et laissé tomber les propos accusateurs du genre nous sommes tous coupables, au profit de la recherche des solutions. Ce que l’on demande à un dirigeant c’est de résoudre les problèmes, mais pas de rester dans les dénonciations. Ce rôle est celui de ceux qui sont en incapacité, ceux qui ne détiennent pas le pouvoir, n’ont aucune manette pour contrôler le jeu et marquer des buts.
Concernant les actions on n’en citera quelques-unes puisqu’elles sont au début et la plupart ne sont pas encore totalement mises en pratique. La création d’un fonds patriotique pour l’effort de guerre est une des mesures phares qui vient, avec le recrutement des 50 000 Volontaires pour la défense de la patrie, inciter le peuple à compter sur ses propres forces et à se battre pour sa patrie au lieu de porter des étendards de pays étrangers appelés en renfort.
L’aspect positif dans la création du fonds a été de ne pas être allé au conflit avec les partenaires sociaux en imposant les prélèvements initiaux, mais de faire confiance aux dons volontaires et les taxes sur les boissons, le tabac, les véhicules etc. On peut reprocher aux taxes qui vont alimenter le fonds de ne pas être des impôts justes ni pour les véhicules ni pour les boissons alcoolisés car les taux ne suivent pas une logique perceptible.
La taxe sur les boissons alcoolisées est présentée comme une taxe sur les taux d’alcool et introduit des différences selon les procédés de fabrication bière et vin. Il y’a des bières qui sont plus alcoolisées que certains vins mais la taxe des vins est plus élevée. Les taxes privilégient les consommateurs aisés comme la taxation de vin moins chers au même taux que le champagne qui coûte plus cher.
Le MPSR II s’est penché sur la réorganisation de l’armée. Les créations de nouvelles régions militaires et de gendarmerie avec l’ajout de deux bases aériennes font partie des mesures nouvelles. Tout cela mettra du temps à quitter le papier pour le terrain.
Par contre, les bataillons d’intervention rapides qui sont censés répondre aux défis de la lutte contre le terrorisme par une arrivée rapide sur le terrain auraient pu se déployer vu que les menaces terroristes se sont multipliées dans le mois de décembre 2022 dans plusieurs régions du pays. A moins que là aussi, la logistique face défaut et que c’est l’effet d’annonce qui a été recherché.
Le président Ibrahim Traoré a célébré une victoire sur les groupes terroristes, celle de la reprise de la ville de Solenzo tombée aux mains des ennemis depuis la saison des pluies qui isole cette partie du pays du reste du Burkina, faute de routes. Le président y est allé prononcer son discours du nouvel an. Comme une hirondelle n’annonce pas le printemps, dans cette même région de la Boucle du Mouhoun les groupes terroristes ont multiplié les actions dans la Kossi, le Sourou, le Nayala avec des villages chassés de leurs terres, des assassinats.
De multiples menaces persistantes
En fin novembre 2022, l’inquiétude a été grande quand les rumeurs de coup d’Etat se sont répandues dans les réseaux sociaux et que certaines OSC (organisations de la société civile) ont confirmées, puis démenties par le porte-parole du gouvernement le 1er décembre. C’est encore de coup d’Etat que l’on parle le 27 décembre 2022 avec l’arrestation du lieutenant-colonel Emmanuel Zoungrana qui venait d’être libéré de la MACA où il était détenu pour tentative de coup d’Etat contre le président Kaboré et qui est resté prisonnier sous le MPSR I. Mais à peine libéré, il est accusé de tentative de coup d’Etat, cette fois contre le MPSR II. Voilà l’une des grosses menaces à la sécurité du pays. Et elle est la plus grosse préoccupation des différents régimes. Tant et si bien que nos services de sécurité qui sont prompts à trouver les putschistes ne nous ont jamais annoncé des démantèlements des réseaux terroristes.
La population est d’autant plus inquiète de cette menace de coup d’Etat, parce que le dénouement du putsch dernier a été facilité par l’intervention de la rue qui a motivé les chefs coutumiers et religieux à négocier l’abdication du lieutenant-colonel Paul Henri Sandaogo Damiba pour éviter le bain de sang.
Ce dernier a obtenu son départ au Togo, mais le nouveau pouvoir ne s’est jamais installé au palais de Kossyam qui est le siège de la Présidence. Pourquoi le MPSR II ne prend-t-il pas possession de ce lieu du pouvoir central et se contente de l’ancien palais présidentiel devenu depuis longtemps la Primature ?
Cela donne des interprétations les plus folles sur la possibilité de la reprise de la bataille du 30 septembre. Même si pour des raisons sentimentales, le capitaine Ibrahim Traoré pour régler son pas sur celui du capitaine Thomas Sankara veut gouverner de là où celui-ci dirigeait le pays alors qu’il n’était pas né, il y a lieu de rassurer le pays que le MPSR I est tombé, totalement tombé. Ce besoin de sérénité se veut aussi pour toute l’armée. Les Burkinabè veulent enfin une armée unie, prête à se battre ensemble, sans que Pierre ne soupçonne Paul de vouloir lui tirer dessus pour prendre le pouvoir.
Ce n’est qu’ainsi que toutes les forces armées seront bien équipées pour lutter contre les groupes terroristes. L’instabilité institutionnelle emmène l’éternel recommencement à la tête des organes de l’Etat : des hommes et des politiques. L’insurrection de 2014 c’était aussi pour refuser une armée divisée comme l’a voulu Blaise Compaoré avec sa garde prétorienne, le Régiment de sécurité présidentielle, suréquipé et surentraîné pour défendre seulement son pouvoir.
Outre les difficultés avec l’absence d’unité de l’armée et les risques de coup d’Etat, le pouvoir est confronté aux désirs fous de sa base civile composée d’OSC vuvuzelas et ceux qui prétendent l’avoir aidé à obtenir le pouvoir en sortant dans la rue. Une bonne partie de ces personnes aimeraient voir le MPSRII jouer au copier-coller du pouvoir putschiste malien en se fâchant avec les pays de la CEDEAO, la France…, alors que Assimi Goïta avait des raisons de le faire avec l’embargo de la CEDEAO et l’échec de Barkhane au Mali. Il faut dire que les nouveaux dirigeants par leurs discours ambigus donnaient à entendre cela sans le dire.
Or la politique réaliste est de traiter avec tout le monde, la Russie comme la France en choisissant ce qui nous arrange là où cela existe. Pour certains, c’est en multipliant nos ennemis que nous gagnerons la guerre contre le terrorisme. Le pouvoir qui semble les tolérer a intérêt à ne pas se laisser déborder sur ce flanc, car ce n’est pas eux qui apporteront la lumière, l’intelligence et la sagesse que requièrent la complexité de notre situation et celle du monde.
Une vieille menace est le risque de guerre ethnique et d’extermination des peulhs si le pouvoir ne forme pas l’armée, les VDP, les Koglwéogo et dozos à la protection des droits humains pour prévenir et empêcher les massacres de peulhs dont le dernier à Nouna a fait 28 victimes. La justice doit pouvoir travailler en toute indépendance sur les dossiers des crimes ethniques comme Yirgou, Nouna, et aussi les drames d’Inata, Solhan…
Le MPSR II a la chance de sa vie avec la sympathie que suscite son président, il est de son devoir d’en tirer parti en ressoudant l’armée, la nation, le pays. Il lui faudra de la sagesse, beaucoup d’intelligence dans cette guerre qui nous est imposée. Nous avons le devoir de réussir ensemble cette mission de sauver le pays de préserver son unité et son vivre ensemble.
Sana Guy