Chaque année, le gouvernement sénégalais attribue une aide financière aux médias pour soutenir le secteur de la presse. Mais cette subvention, censée aider les médias à faire face aux défis économiques et à maintenir leur indépendance éditoriale, est sujette à moult interrogations si l’on sait que des médias fantômes en ont bénéficié.
Al Watan, dakarmusiquetv, Al Hadash, Kafunel, Al Missirah, Le Choix, PME Afrique, PM Info, L’Équipe Type, Liberté Info, Monde de l’Éducation, Presse Arabe Sénégal, Dakar Minute Arabe. Al Minbar, Train de vie, Al Oumah…la liste est très longue. Tous ces « médias », inconnus des Sénégalais et dont l’existence reste douteuse, ont bénéficié de l’aide à la presse, selon les informations exclusives de Libération. Une situation qui soulève des questions sur la transparence et l’équité dans la distribution de l’argent public, provenant des impôts des Sénégalais.
Nous avons interpellé le Conseil des diffuseurs et éditeurs de presse du Sénégal (Cdeps) sur cette affaire qui continue de défrayer la chronique. Mais pour son président, le patronat de la presse ne peut pas se prononcer sur la subvention aux médias. « Nous avons tout le temps réclamé la publication de l’arrêté de répartition de l’aide à la presse. Le nouveau ministre a dévoilé certains montants de l’aide à la presse 2022 et 2023, mais il a donné juste quelques chiffres. Nous ce que nous demandons, c’est que le montant de 1.700.000.000 pour 2022 et 1.900.000.000 pour 2023 qu’on donne la liste de tous les bénéficiaires, tous les postes de dépenses de cette aide soient communiqués à l’opinion et non pas qu’on tire simplement le nom de certaines entreprises pour les donner en pâture à l’opinion. Donc nous estimons qu’il faut donner l’intégralité des bénéficiaires de l’aide à la presse », a notamment commenté Mamadou Ibra Kane, dans un bref entretien avec Seneweb.
Poursuivre le processus d’assainissement du secteur des médias
Le patron du groupe Afrcom, éditeur de « Stades » et « Sunu lamb », -deux médias sportifs qui ont finalement suspendu leur parution-, réclame plus de lumière sur la destination des 800 millions F Cfa attribués à « d’autres structures » que des entreprises de presse. « Cela veut dire qu’il y a problème. Pour cela, dans un souci de transparence, il faut dévoiler la liste de tous les bénéficiaires, quelques structures que ce soit, que ce soit une entreprise de presse ou autre. D’ailleurs, ils peuvent le faire sur une période de 5 ans parce qu’ils en ont parlé alors qu’ils rendent ça public. Qu’ils mettent ça comme on le fait pour les rapports sur les sociétés nationales, les rapports sur les ministères. C’est cette information qui permettra aux Sénégalais de savoir où va l’argent du contribuable », est convaincu M. Kane. Ce dernier a tenu à rappeler que quand on distribue l’argent public, on établit d’abord des critères de distribution et ensuite, on dit nommément les bénéficiaires de cette aide publique, ce qui n’est pas encore le cas.
Quoi qu’il en soit, cette liste de médias dévoilée par la presse de ce lundi prouve qu’il urge de poursuivre jusqu’au bout le processus d’assainissement du secteur des médias. « Avec le nouveau code de la presse, on voulait faire de l’assainissement à deux niveaux. Au niveau des journalistes et des techniciens des médias avec la délivrance d’une carte nationale de presse et deuxièmement l’assainissement également des entreprises de presse, en déterminant ce qui peut être une entreprise de presse, des entreprises de presse qui sont recensées au niveau du ministère de la Communication. Ce travail n’a jamais été fait et il doit être fait », a enfin plaidé le président du Cdeps.
«Vol organisé de l’argent public »
Face à la presse, vendredi, le ministre des Télécommunications, Alioune Sall, a fait le point sur les difficultés rencontrées par les médias non sans dévoiler les montants des subventions versées par l’État sénégalais dans le cadre du Fonds d’appui à la presse.
Mais les révélations du journal Libération ont suscité de vives réactions. Sur les réseaux sociaux, des Sénégalais invitent les nouvelles autorités à aller jusqu’au bout et à auditer cette affaire. Certains pensent même que si ces médias ne peuvent prouver qu’ils existent et qu’ils travaillent réellement, ils devraient rembourser chaque franc reçu. “Détourner l’aide à la presse sous prétexte de soutenir des médias est un vol organisé de l’argent public, une trahison de la confiance des citoyens et une atteinte grave à la liberté de la presse. D’ailleurs, les différents ministres qui ont dirigé ce département n’ont jamais voulu prôner la transparence sur cette question. Aucun d’eux n’a publié la clé de répartition de cette aide. Aujourd’hui, on sait pourquoi”, a par exemple commenté Kheuch Gora.