Ces scientifiques s’inquiètent d’une possible arrivée du RN au pouvoir. Ils dénoncent un programme « vide » et le manque de compétences du parti populiste sur les questions climatiques.
« Pour l’écologie de la joie de vivre ! ». Cette phrase, écrite dans le programme de campagne du Rassemblement national pour la présidentielle de 2022, résume le projet du parti d’extrême droite en matière d’environnement : ne pas faire bouger d’un iota le quotidien des Français pour ne pas les brusquer. Une stratégie d’inaction qui rend impossible la baisse de nos émissions de gaz à effet de serre et la tenue de l’Accord de Paris sur le climat.
Le résultat des européennes plaçant le RN loin devant avec 31 % des suffrages, suivi de la dissolution de l’Assemblée avec le risque de l’arrivée du parti populiste à Matignon, a été un choc pour les scientifiques. Certains sont même sortis de leur devoir de réserve, à l’instar du climatologue Jean Jouzel, mondialement reconnu pour ses travaux au sein du Giec, qui se désole dans Le Monde : « Le RN n’a aucune ambition en termes de lutte contre le changement climatique. C’est le vide. ».
Son homologue, le climatologue Christophe Cassou a, lui, partagé sur X un communiqué du Front populaire, arguant : « Et si les forces de progrès social et de protection de l’environnement enfin ensemble (…) pouvaient déchirer une page d’histoire dominée par la tromperie, la xénophobie, et l’inhumanité ? ». De son côté, la paléoclimatologue Valérie Masson-Delmotte fustige, encore dans les colonnes du Monde, que « [le] changement climatique ne va pas disparaître parce qu’on l’ignore ».
Aurélien Boutaud, docteur en sciences de la terre et de l’environnement et auteur de Déclarer l’état d’urgence climatique (Éditions Rue de l’échiquier), partage leur colère. Répondant aux questions du HuffPost, le chercheur à l’université de Lyon explique le danger que représenterait l’accession au pouvoir d’un parti qui freine des quatre fers pour instaurer des politiques climatiques d’envergure.
Le HuffPost : Peut-on dire que le RN est climatosceptique ?
Aurélien Boutaud : Historiquement, le Front national, devenu le Rassemblement national, ne s’est jamais intéressé à l’écologie. Il y a une grande majorité de députés RN qui relativisent le problème climatique. Un élu RN a même dit que le Giec avait tendance à « exagérer le réchauffement climatique » (NDLR : propos tenus par Thomas Ménagé, ex-député RN du Loiret, en août 2023, sur France Inter). Donc oui, il y a un fond climatosceptique persistant au sein de ce parti d’extrême droite.
Pourtant, le RN s’est récemment saisi de la question climatique, pourquoi ?
Depuis 2019-2020, en marge des premières Marches pour le climat, l’environnement s’est hissé à la première place des préoccupations des Français. Cela est devenu intenable pour un parti, aussi climatosceptique soit-il, de ne pas avoir quelques propositions sur le sujet.
Le RN prône une « écologie nationale » et « locale », que se cache-t-il derrière cette vision ?
Une écologie française, ça ne veut rien dire. Les problématiques climatiques sont un enjeu global, cela signifie qu’on a besoin de cadres et des lois à l’échelle européenne et mondiale. Sans quoi on tombe dans des logiques opportunistes nationalistes qui consistent à dire « si ce pays ne s’engage pas pour le climat, moi non plus ».
Au-delà de ça, l’exemple du « localisme » est symptomatique de l’incompétence du RN sur les questions climatiques. Manger local est une bonne chose, mais le transport de marchandises ne représente qu’une toute petite partie de l’empreinte carbone des aliments que nous consommons. Ce sont les étapes de production et de transformation qui émettent le plus de CO2.
Pour donner un exemple parlant, un kilo de viande produit à côté de chez vous a une empreinte carbone bien supérieure à celle d’un kilo de céréales produites en Australie. Certes il faut relocaliser, mais il faut surtout réduire la part de protéines animales dans nos assiettes. Mais mettre en avant cette réalité scientifique ne serait bien évidemment pas populaire auprès des électeurs du RN. (NDLR : pour aller plus loin, vous pouvez consulter cette étude qui montre à quel point réduire sa consommation de viande est plus efficace pour la planète que de manger 100 % local).
Justement, dès qu’il s’agit de réduire notre consommation de viande, de freiner sur nos trajets en voiture ou en avion, ou encore d’utiliser moins de pesticides, le RN sort l’argument de l’« écologie punitive ». Pourquoi ce slogan est-il dangereux ?
C’est l’attentisme politique qui est dangereux. Pour faire face à l’urgence climatique, il faut radicalement changer le fonctionnement de la société afin de sortir des énergies fossiles. Il faut agir sur l’aménagement du territoire, l’isolation des logements, la production agricole… C’est une révolution de nos modes de vie qui est en jeu pour sauver la planète. Mais le RN ne veut surtout pas toucher au quotidien des Français, dans le seul but de flatter son électorat.
En l’occurrence, le RN martèle aussi que ce sont les plus pauvres qui sont victimes des politiques climatiques…
Oui, le RN n’assume pas la réalité qui veut que la transition écologique nécessite des politiques de justice sociale. Il faut aider les personnes défavorisées, qui polluent d’ailleurs le moins, à investir dans une voiture électrique et à isoler leur logement pour qu’elles subissent moins la hausse des prix de l’énergie. Sans cette dimension de solidarité, la transition n’aura pas lieu.
Le RN mise aussi principalement sur la technologie pour réduire nos émissions à gaz à effet de serre, est-ce viable sur le long terme ?
Moi c’est ce que j’appelle le « conservatisme technologique ». Pour ne pas faire évoluer les modes de vie, le RN promet que la technologie nous sauvera. Par exemple, le parti populiste affirme que le nucléaire permettra de décarboner l’économie, sans qu’on ait besoin de demander aux Français de réduire leur consommation. Mais la sobriété est indispensable à toute transition énergétique : il faut diviser au moins par deux notre consommation énergétique d’ici 2050. (NDLR : pour aller plus loin, lire le rapport du gestionnaire de l’énergie RTE sur les futurs énergétiques en 2050 qui montrent l’importante de la sobriété et d’un mix énergétique intégrant des énergies renouvelables pour atteindre la neutralité carbone).
Pensez-vous que la montée en puissance du RN traduit une baisse de l’intérêt des questions écologiques chez les Français ? Comment remobiliser sur ce sujet ?
Quand on travaille sur ces questions-là depuis des décennies, on se rend compte que l’intérêt pour l’environnement fonctionne par vague. Là, on est dans un creux, je dirais même qu’on a touché le fond, mais on peut rebondir grâce à la mobilisation citoyenne, scientifique, et politique. Tous les partis peuvent s’investir et remettre l’écologie au cœur de leur programme. Sauf le RN. Son positionnement sur les politiques climatiques et sociales ne permet pas de porter le combat immense pour sauver la planète.